La politique sombre dans le fait divers et porte un coup fatal aux institutions. Même la recomposition par le haut ne fonctionne pas. La transition est en danger Allal El Fassi, Bouabid et Abdellah Ibrahim se retournent sûrement dans leurs tombes. Leur combat est perverti par leurs héritiers et leur idéal démonétisé par des marchands de sièges sans vergogne. On savait que la classe politique, on serait tenté d'écrire crasse politique, avait de quoi s'occuper cet été entre les communales, les conseils provinciaux, les chambres professionnelles et le renouvellement de la chambre des conseillers. Ils ont choisi de nous pourrir l'été en étalant la déchéance de ce qui est sous d'autres cieux la plus belle des vocations : servir la chose publique. Cela a atteint des… profondeurs, et la tragédie continue. On est même arrivé à un clash diplomatique avec Paris, en conséquence de la lutte pour la présidence d'Oujda. Le PAM, parti qui se veut transcendant les clivages qu'ils soient idéologiques ou éthiques, l'alliance contre-nature PJD-USFP, les rebuffades du RNI, l'opportunisme de l'Istiqlal, la déshérence du PPS, tout cela n'est qu'écume et faux- semblant. La politique, la vraie est morte et les odeurs nauséabondes de sa dépouille polluent la marche de la société marocaine vers la modernité. La fin d'une expérience Il faut nous rappeler, parce que dans le magma actuel ce n'est pas évident, que le rôle des politiques, c'est de créer du sens, ce qu'ils ont abandonné depuis le début des années 90. L'auteur de ces lignes avait écrit un article, en Arabe, à la suite de la nomination de Youssoufi. L'entame de cet article racontait une anecdote safiote. Quand on voulait chambrer les membres d'une grande famille, on leur rappelait l'origine supposée de la fortune, toute relative par ailleurs. La légende voulait que leur aïeul qui était responsable de la perception des taxes au port, notait les noms des bateaux avec l'inscription «est entré vide, est sorti vide, pour réparer ses appareils». L'article se terminait par un avertissement sur le risque qu'ils sortent vides, mais en cassant les appareils, c'est exactement ce qui s'est passé, au point qu'ils n'osent même plus sortir, non seulement du gouvernement mais du carcan qu'ils se sont imposés : le consensus à tout prix. Car ce qui a tué la politique ce n'est pas une volonté externe, ni un machiavélisme quelconque, mais la perte de sens, née d'une idée du consensus totalement anti-démocratique. Tout, absolument tout, relève du «consensus national». La démocratie c'est le clivage entre une majorité et une opposition porteuses de deux visions antagonistes. Les consensus, bien entendu, qu'il en faut. Ils concernent les fondamentaux, la monarchie et son rôle, les règles du jeu démocratique, la nature de l'école que l'on veut. Le reste, tout le reste doit faire l'objet d'un débat national. C'est parce qu'ils ont abdiqué cette latitude que les partis traditionnels ont perdu, non seulement leur rayonnement, mais y compris leur propre raison d'existence. On peut s'interroger sur l'attitude, le rôle historique d'un homme : Abderrahmane Youssoufi. C'est lui qui a négocié une alternance au rabais, sur la base d'élections truquées. Il a accepté un gouvernement «piégé», une résistance de l'intérieur de son cabinet à ses projets de réformes. Il a imposé le silence à son parti, a tenté avec succès de le normaliser. Après son éviction par la nomination de Driss Jettou, il a dénoncé l'éloignement de la démarche démocratique, avant de négocier et imposer les mêmes figures, au nom de la poursuite des réformes. Puis il est parti à Bruxelles, dire la vérité, sur les fragilités de l'expérience. A l'internationale socialiste le bilan était lucide, engageant. Pourquoi ce double langage ? On ne le saura jamais, parce que Youssoufi n'a jamais considéré qu'il était comptable de ses faits et gestes ni devant son parti ni devant la Nation. Quelle sortie ? Aujourd'hui les syndicats balkanisés ne représentent plus rien. On peut d'ailleurs relever que la CDT doit ses résultats électoraux aux troupes d'Al Adl Wal Ihsane. Les associations n'ont aucun lien avec les partis et tendent même à vouloir les remplacer ce qui est une imbécilité absolue, la presse partisane ne survit que bien difficilement, l'encadrement de la jeunesse est nul. Surtout que l'idée démocratique est pervertie par la pratique politique. Au risque de se répéter, les structures partisanes n'ont d'utilité sociale que si elles sont représentatives des intérêts de couches sociales bien définies. Ce sont les antagonismes au sein de la société qui fondent les divergences politiques. En dehors de cette configuration il y a deux cas : le fascisme, qui, justement hait la démocratie parce qu'il considère que la nation n'a qu'une seule voie ou le cirque que nous vivons. Ce constat établi, que pouvons-nous attendre ? La régénérescence du système par lui-même est très compromise. Ce que nous vivons aujourd'hui, les violences verbales et physiques, n'annonce pas de retour à la politique, bien au contraire. Cela cache mal le vide au niveau du positionnement sociétal. Parce que nous sommes un pays avec une histoire qui a empêché la naissance d'une droite autonome, conservatrice ou libérale, c'est encore au magma appelé gauche que revient la tâche historique de la régénérescence. Un nouveau projet réellement de gauche, prônant l'approfondissement de la démocratie, la libération des individus, réaffirmant l'aspiration égalitaire, a encore des chances de raviver la flamme. La recomposition par le haut, prônée par plusieurs intellectuels est une impasse. Les structures partisanes ont démontré leur capacité de vider de sens toute législation contraignante. Les congrès sont une véritable mascarade, les meetings des halkas et la démocratie interne un vœu pieux. Si l'Etat ne fausse plus les résultats, les partis le font. Le Souverain dans un discours avait rappelé qu'il n'y avait pas de démocratie sans démocrates. C'est à ceux-ci collectivement de rendre vie à la politique. Sinon, invariablement, nous nous dirigeons tout droit vers des institutions de façade, vilipendées, au profit d'une seule source de pouvoir. On sera revenu au point de départ avec une extension du champ des libertés, indéniable mais qui n'est pas la démocratie. Celle-ci ne se résume pas aux opérations votatives qui n'en sont qu'un moment. Pour l'avoir oublié, les partis n'ont plus de vie.