Dans son documentaire «Dance of Outlaws», le réalisateur marocain Mohamed El Aboudi, suit Hind, danseuse dans les mariages, violée à l'adolescence, sans existence légale faute de carte d'identité, mais qui se bat pour survivre. «Hind, c'est Amina Filali qui aurait pris la route en sens contraire», explique le réalisateur. Hind est danseuse dans les mariages à Ouezzane, au nord du Maroc. DR : Illume Ltd Elle a trois enfants, dont un né d'un viol. Sur cette photo, elle porte le dernier né. Le succès de la troupe où elle travaille dépend de la beauté de ses danseuses. Eprouvée par la vie, la jeune femme se drogue et boit beaucoup. Elle est actuellement en prison sans que l'on sache exactement pourquoi. Elle se repose avec sa troupe de musiciens et de danseuses. Hind discute avec Mohamed El Aboudi, le réalisateur de documentaire : « Dance of Outlaws » Mohamed El Aboudi a présenté son documentaire «Dance of Outlaws», autrement dit «La danse des hors la loi», le 11 mars, au festival du film de Tempere, en Finlande, où il vit avec son épouse et ses enfants. Marocain d'origine, né dans un village près de Larache, il revient chaque été pour les vacances. En 2009, «j'étais avec un ami qui est dans un groupe de musiciens, à Ouezzane. Un homme est entré, il avait besoin d'une troupe pour une fête. Il a tout de suite demandé si mon ami avait des danseuses. Le musicien a répondu oui, bien sûr, et les a désignées dans un coin de la salle. C'étaient de très belles femmes. L'homme a immédiatement embauché la troupe pour sa fête. Mon ami m'a expliqué : 'tu vois, c'est comme ça que ça se passe, les gens ne s'intéressent pas à la musique, si tu as de belle danseuses ton groupe cartonne», raconte Mohamed El Aboudi. Suite à cette scène, le réalisateur marocain a assisté à une répétition du groupe où il a rencontré les jeunes femmes dont Hind. Dans «Dance of Outlaws», il raconte son histoire. Violée à 15 ans, la jeune femme a refusé de se marier avec le violeur. «Sa famille a recherché l'homme pour qu'il l'épouse, mais il y a plusieurs versions contradictoires, je n'ai pas su finalement qui il était», explique Mohamed. Elle fuit alors son village et sa famille, sans aucun papier. Faute d'une simple carte d'identité, elle ne peut pas travailler, ni louer d'appartement, elle n'a aucune existence légale. Mohamed El Aboudi l'a suivie dans son travail, danseuse dans les mariages. Droguée, alcoolique, se prostituant parfois, Hind ne cesse pas malgré tout de se battre pour récupérer ses papiers dans le but de se marier avec Bilal, son compagnon qui l'a aimée sans la juger. Amina et Hind ont la même histoire En mars 2012, Mohamed El Aboudi est en train de monter son film, lorsque l'affaire de Amina Filali, la jeune femme violée et contrainte d'épouser son violeur, éclate au Maroc. «Amina et Hind ont à peu près la même histoire, elles viennent toutes les deux de villages très proches dans la région de Larrache», a remarqué le réalisateur. Violées, elles ont subi la volonté de leur famille de les marier avec le criminel. «Amina Filali a suivi la décision de son entourage et de se marier avec l'homme qui l'avait violée, puis elle s'est suicidée, Hind a pris la route à contre sens. Elle a refusé le mariage que souhaitaient ses parents, elle a quitté le village et elle a pris le premier bus pour un avenir très incertain», analyse Mohamed El Aboudi. Une existence éprouvante où la jeune femme a tenté a plusieurs reprises de se suicider. Aidée par la présence de l'équipe finlandaise, Hind a pu retourner dans son village, dans sa famille. Elle a annoncé qu'elle voulait se marier avec Bilal et qu'elle avait besoin de ses papiers pour ça. «La caméra a étouffé les tensions, un moment, mais la famille n'arrivait pas à croire que son petit ami se marierait réellement avec elle», raconte Mohamed El Aboudi. La tension est montée et finalement ses parents et ses frères et sœurs l'ont jetée dehors en répétant plusieurs fois «vas-t-en, on n'a pas besoin de toi». Son frère menace de la tuer Ils ne lui ont pas donné l'acte de naissance dont elle avait tant besoin. «Même son petit frère dont elle m'avait beaucoup parlé, qu'elle aimait beaucoup et dont elle me disait que c'était le seul à l'aimer, lui a jeté en partant 'Va-t-en sale pute !'», s'indigne encore le réalisateur. Selon lui, la jeune femme aurait été totalement incapable de revenir dans son village sans l'équipe de tournage. «Elle risque la mort ! Son grand frère a plusieurs fois menacé de la couper en morceaux», se rappelle le réalisateur. «Je lui ai dit [à sa mère, ndlr] que je n'avais plus personne. Ni père, ni mère. Je lui ai dit que je vivais seule, que je n'avais plus personne. Je souffre trop. Je n'ai nulle part où aller. Je n'ai pas de carte d'identité. Je ne peux pas louer d'appartement. Qu'est-ce que je peux faire ? Je ne veux même plus me marier. Je veux juste m'occuper de mon bébé. C'est dur de survivre. J'essaie de survivre, c'est mon destin», laisse tomber Hind, en larmes, face caméra, suite à cette rencontre. Prison La jeune femme a déjà trois enfants. Une fillette née du premier viol, un enfant plus jeune «que son père a vendu», explique Mohamed El Aboudi, et un troisième, nouveau-né au moment du tournage. Aujourd'hui, ils vivent sans leur mère, car elle a été arrêtée et condamnée à 2 ans de prison, sans que le réalisateur ne sache pourquoi. «Une de ses collègues de travail m'a dit que c'était parce qu'elle maltraitait ses enfants, mais j'ai peine à y croire. Comme je ne suis pas de la famille, je ne peux pas obtenir d'informations.» L'histoire de Hind n'est pas anecdotique et alarme le documentariste marocain. «C'est incroyable que des histoires pareilles existent au XXIe siècle. Ces femmes [les danseuses, ndlr] ont entre deux et quatre enfants. Les enfants c'est l'avenir du Maroc ! Quel avenir va-t-il avoir ? C'est … catastrophique», lâche-t-il dans un soupir. Extraits du documentaire «Dance of Outlaws»