L'opinion publique est perplexe au sujet de l'Affaire Amina. Une première partie accuse Mustapha de l'avoir violé et mérite la prison. Une seconde partie plus perspicace pointe du doigt une mentalité et une loi attardées .Une troisième et dernière piste parle d'une veritable histoire d'amour qui a mal fini. En écoutant tout un chacun de l'entourage d'Amina, l'opinion publique reprend du recul dans une affaire qui a eu beaucoup de mal a séparé le coeur de la logique. Hamida El Filali, sœur d'Amina (la confidente) D'après Amina, Mustapha se rendait à son école et la menaçait d'un couteau pour le suivre dans la forêt. Elle s'absentait souvent et on ne savait pas où elle était. Un jour, on l'avait perdu de vue et ma mère est sortie la chercher. Zouhair, un ami de Mustapha lui dit qu'Amina était avec Mustapha qui l'a menacé pour le suivre. Dans la forêt, ma mère les repère. Le violeur s'enfuit. A la maison, Amina affirme avoir subi des menaces de Mustapha qui l'a violée. Aussitôt, ma mère part chez Khadija, la mère de Mustapha et lui dit qu'il faut trouver un compromis très vite pour couvrir sa fille du déshonneur, sans prévenir le Makhzen (sic). La mère de Mustapha refuse sous prétexte qu'Amina traîne souvent avec d'autres hommes dans la forêt. Ma mère part ensuite avec Amina à l'hôpital Lalla Meriem pour obtenir le certificat de virginité. Ce dernier étant négatif, ma mère décide de déposer plainte contre le violeur. Le lendemain, Mustapha, ma mère et Amina sont convoqués par le procureur général. Devant ce dernier, Amina et Mustapha affirment leur volonté de se marier. Ils les invitent alors à fournir les papiers nécessaires pour établir l'acte de mariage. Chose qui permettra à Mustapha d'éviter la prison. Durant plus d'une semaine, ma mère se rendait seule chez le Adoul alors que Mustapha trouvait toujours des excuses pour ne pas venir. Il a finalement apporté les papiers qui manquaient pour l'acte de mariage mais n'a pas voulu payer la dot. Mais le cauchemar n'est pas fini. Mustapha passait la majorité de son temps à emmener Amina avec lui. De temps en temps, il la déposait chez nous. La belle-famille ne voulait pas d'elle, la maltraitait et l'affamait. Bref, d'après Amina, ils ont fini par l'empoisonner. Le samedi 10 mars, une voisine vient dire à ma mère qu'Amina agonisait. Affolée, ma mère se rend chez les beaux-parents pour sauver sa fille. La nuit, à l'hôpital, Amina réclame à plusieurs reprises de l'eau fraîche. Le lendemain, on nous a annoncé qu'elle était morte. Mustapha est un menteur ! Il n'a jamais été question d'une histoire d'amour, c'est un viol ! Lahcen El Filali, père d'Amina (l'homme aux mille questions) Bien avant le viol, j'avais déposé plainte contre Mustapha pour séquestration. La police n'a rien pu faire. Il la séquestrait au sein d'une étable non loin de la forêt. Zouhair nous apprend par la suite que Mustapha le chargeait de faire des courses et chargeait parfois d'autres hommes de surveiller Amina quand il devait sortir de sa cachette. Pour Mustapha, j'ignorais qui il était. Jusqu'au jour où ma femme me dit que ce mariage est obligatoire et qu'elle risque de me quitter si je m'y oppose. Personnellement, j'étais contre ce mariage. Je refuse qu'on marie ma fille à son violeur. Amina, elle, était traumatisée. J'avais remarqué qu'elle ne parlait pratiquement plus. Les sujets du viol, du déshonneur et du mariage l'ont hanté. Sous la pression, Amina disait à la famille de Mustapha qu'elle l'aimait. Idem devant le procureur général. Aucune enquête sérieuse n'a été réalisée. Elle est mineure, en pleine adolescence, et personne ne s'est interrogé sur sa santé physique ou morale. Je suis convaincu que m'a fille n'était pas consentante. J'accuse la justice et Mustapha d'avoir tué ma fille. Si Mustapha était en prison, Amina se serait remis de son viol et aurait repris une vie plus épanouie. C'est très dangereux d'avoir une justice qui décriminalise le viol par le mariage. L'article qui stipule cela doit être supprimé ! Zohra, mère d'Amina (l'inconsolable) Je revenais du souk et ma voisine est venue me dire qu'Amina agonisait chez Mustapha. Je n'en revenais pas, j'ai immédiatement pris un taxi. Arrivée chez Mustapha, je l'ai trouvé par terre et je me suis jetée sur elle et je l'ai serré contre moi. Elle m'a avoué qu'ils l'ont empoisonnée. A l'hôpital les visites étaient restreintes. Le lendemain, je suis parti chez moi lui apporter des vêtements propres et quelque chose à manger. A mon retour à l'hôpital, on m'a dit qu'elle a rendu l'âme. Ce violeur qui a tué ma fille mérite la prison à perpétuité. Il aurait dû me tuer avec elle !
Mustapha, l'accusé du viol (le concis) Tout a commencé quand elle m'a appelé. Quelqu'un a dû lui donner mon numéro de téléphone. Elle m'avait dit : Mustapha, je veux te voir. On s'est vu. On allait au centre-ville ou au jardin. Un jour, avec son consentement, nous avons couché ensemble. Surpris par sa mère, ses parents portent plainte. On m'a fait subir des allers-retours insupportables entre Larache et Tanger. On m'a dit qu'il fallait l'épouser : j'ai accepté. Ensuite, elle s'est installée chez moi. On sortait de temps en temps et elle participait aux tâches ménagères de la maison. Samedi, après le déjeuner, elle a vomi. J'ai appelé mon frère et le père d'Amina pour l'emmener à l'hôpital. Le lendemain, on m'a annoncé sa mort. A ceux qui disent que j'ai violé Amina, telle est ma version des faits. Elle était consentante, on sortait ensemble et on s'est même promis de nous marier. Il est donc hors de question de m'accuser de viol. Chez nous, aimer est encore un tabou. D'ailleurs, si c'était elle qui voulait m'envoyer en prison, elle l'aurait fait depuis longtemps. Devant le procureur général, elle a dit que j'étais innocent. Pour l'histoire du suicide, quand Amina partait des fois chez ses parents, elle revenait rapidement chez moi et elle vomissait. Je lui demandais ce qui n'allait pas, elle me répondait que son père la battait et lui demandait de s'en aller. C'est ce comportement qui a poussé Amina au suicide. Je suis très triste, mais je dois m'armer de patience.
Chouâa, Deuxième femme de Lahcen (l'effet cathartique) A la place d'Amina je serai évidemment tout le temps traumatisée et je souffrirai tout le temps et ressentirai un manque indescriptible dans mon for intérieur. Le plus grand drame pour une femme, c'est d'être violée. Mais je ne pourrais imaginer ce que vont dire de moi les gens. Ma vision des choses a changé maintenant. Si cela m'arrive j'essaierais et je ferais face à la vie, malgré tout.
Entretien avec Les Nations-Unies appellent à une réforme Le bureau des Nations-Unies au Maroc réagit au drame de Amina El Filali. L'organisation appelle l'Etat marocain à « accélérer les réformes juridiques». Plusieurs jours après le suicide de Amina El Filali, vous réagissez par voie de communiqué. Pourquoi vous avez pris du retard pour faire part de votre position ? Nous pensons que le drame qu'a connu le Maroc avec le suicide de Amina est une affaire qui dépasse un timing déterminé. Dans votre communiqué, vous dites bravo au Maroc pour les réformes qu'il a entreprises pour la protection des droits de la femme et des enfants. Dans tout le communiqué, à l'exception de la première phrase dans laquelle vous expliquez les raisons de la publication de ce communiqué, il n'y a ni dénonciation ni avis clair de votre organisation sur les « lois incriminées par les associations » notamment le code pénal et la Moudawana. Pouvez-vous nous éclairer ? Les Nations Unies appellent à « l'accélération des réformes juridiques et institutionnelles », je vous réfère à l'avant dernier paragraphe du communiqué. En effet, le drame de Amina El Filali appelle non pas à la réforme du seul code pénal, mais également celle du code de la famille qui ouvre la voie au mariage de mineures. Quel est le message que vous voulez véhiculer à travers ce communiqué ? Les Nations-Unies au Maroc appellent à l'accélération des réformes juridiques et institutionnelles visant une plus grande protection des femmes et des enfants contre toute forme de violence, selon une approche globale d'interdépendance dans la promotion et la protection des droits humains, préservant l'intégrité physique et psychologique des femmes et des filles et leur autonomie, et garantissant leurs libertés individuelles et leurs droits fondamentaux. Etant entendu que l'accélération des réformes à laquelle nous appelons, devra se faire conformément aux normes universelles des droits de l'Homme auxquels le Maroc a souscrit, et reconnues en tant que hiérarchie des normes dans le cadre de la constitution du Maroc. L'UNICEF a publié la semaine dernière un communiqué dans lequel elle dénonce les failles de la loi marocaine. Exprime-t-elle la position uniquement de l'UNICEF ou également celle des Nations-Unis ? Le présent communiqué reflète la position de l'ensemble des agences des Nations-Unis, y compris l'UNICEF et est le fruit d'une coordination étroite avec les agences onusiennes présentes au Maroc. Propos recueillis par