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Histoire : Le sultan Yaqub al-Mansur a-t-il soutenu Saladin face aux Croisés ?
Publié dans Yabiladi le 12 - 11 - 2024

Si beaucoup connaissent les rois chrétiens comme Philippe Auguste de France et Richard Cœur de Lion d'Angleterre en tant que figures de la troisième croisade contre Saladin, il reste encore une zone d'ombre. C'est le débat historique sur le rôle d'un dirigeant musulman de l'extrême nord-ouest de l'Afrique, qui aurait rallié une armée pour soutenir le dirigeant ayyoubide, en défendse de «la Terre Sainte».
La question de savoir si le sultan almohade Abu Yusuf Yaqub al-Mansur (1184 – 1199) a fourni un soutien militaire à Salah al-Din al-Ayoubi (Saladin) dans ses batailles contre les croisés au XIIe siècle est depuis longtemps au cœur des débats historiques. Les historiens se sont penchés sur des récits contradictoires, certains suggérant que Yaqub al-Mansur a envoyé une flotte pour aider Saladin après un refus initial. D'autres soutiennent que le souverain de la dynastie Almohade (1121 – 1269) a finalement refusé de se mobiliser.
Cet article examine les preuves disponibles retenues par de nombreux historiens et chroniqueurs médiévaux, tout en rapportant les éclairages documentés d'érudits modernes, pour évaluer les récits contradictoires autour de cette question intrigante.
La demande d'aide de Saladin
Pour comprendre les actions de Yaqub al-Mansur dans le contexte de la Guerre des croisades (1095 – 1291), un examen des circonstances ayant poussé Saladin à demander cette aide est nécessaire. Plusieurs sources historiques rappellent comment Saladin, dans sa lutte prolongée contre les croisés venus d'Europe, s'est trouvé assiégé par les forces franques. Celles-ci ont été menées par les rois alliés Richard Cœur de Lion d'Angleterre et Philippe II Auguste de France, dans la ville portuaire d'Acre (Akka), en août 1189.
Ph. Un mémorial au sultan marocain Yaqub al-Mansur al-Muwahidi au Palais Pitti de Florence (Italie). Sous son portrait est écrit : «Des rivages de l'océan Atlantique aux terres de Sicile. Sur les rives des mers Tyrrhénienne et Adriatique, j'ai défendu le contrôle musulman sur les terres européennes… et l'Italie et l'Espagne tremblent encore au son de mon nom.»
Bâtisseur du prestige de l'empire almohade et artisan de sa puissante flotte, reconnue comme exceptionnelle en Méditerranée et comme l'une des plus imposantes du monde à l'époque, le calife Yaqub al-Mansur a été sollicité par Saladin. En effet, cette réputation ne peut que conforter le sultan de la dynastie Ayyoubide (1169 – 1250) dans sa conviction que l'homme fort du Maghreb possède les moyens infaillibles de bloquer le détroit de Sicile aux armées chrétiennes. De cette façon, la Terre sainte serait pérennement épargnée des incursions des Francs. Pour faire aboutir le projet, Saladin a porté sa confiance sur l'ambassade à Marrakech, dirigée par Abd Al-Rahman ibn Munqid.
Historien du XIIIe siècle, Ibn Khallikan fournit l'un des premiers récits sur ces faits, dans son célèbre dictionnaire biographique «Wafayat Al-Aeyan» (Morts d'hommes éminents). Il écrit :
«Au milieu de sa lutte contre les Croisés, Salah al-Din al-Ayoubi, qui assiégeait les Francs, qui à leur tour assiégeaient les musulmans à Acre, fit appel au sultan marocain Yaqub al-Mansur. Il envoya même une délégation, en lui demandant de fournir certains de ses navires de guerre.»
Ibn Khallikan
Ce récit est repris par l'historien maghrébin du XVIe siècle al-Maqqari, dans son ouvrage «Nafh Al-tayyeb» (Le Souffle du Parfum). Il cite le passage d'Ibn Khallikan et ajoute que les envoyés de Saladin se sont dirigés vers le chef-lieu almohade, porteurs de présents pour le sultan. Al-Maqqari affirme que la délégation «a trouvé al-Mansur en al-Andalus, alors ils l'ont attendu dans la ville de Fès jusqu'à son retour. Ils l'ont rencontré et lui ont transmis le message de Saladin».
Dans son écrit en plusieurs volumes «Al-Istiqsa Li Akhbar Dowal Al-Maghrib Al-Aqsa» (Enquête sur les nouvelles des dynasties des pays du Maghber de l'Extrême-Occident), le chroniqueur marocain du XIXe siècle, Ahmad ibn Khalid al-Nasiri, fournit des détails supplémentaires sur la date et l'itinéraire des représentants de l'ambassade de Saladin. Al-Nasiri rapporte qu'après son pèlerinage à La Mecque en 586 AH (1190 AD), l'envoyé pour cette mission a pris la direction de Marrakech, début 587 AH. De là, il a voyagé vers le nord pour rencontrer Yaqub al-Mansur à Fès, durant le mois de Jumada al-Aoula/juillet de la même année.
Ces récits attestent bien que Saladin a sollicité l'aide navale de son homologue almohade, à un moment critique de la guerre contre les Croisés. La réponse qu'il a reçue reste cependant sujette à débat.
Ph. Portrait du sultan Saladin
Récits contradictoires : Al-Mansur a-t-il fourni de l'aide ?
A travers l'examen des documents historiques au sujet de la réponse de Yaqub al-Mansur à l'appel de Saladin, deux récits contradictoires émergent. Certaines sources soutiennent que le calife almohade a bien donné suite à cette requête, avec le déploiement de navires en soutien à la lutte contre les croisés. Mais d'autres avancent que la mobilisation de cette ampleur n'a pas eu lieu.
La preuve la plus directe qu'Al-Mansur a changé d'avis et envoyé une flotte pour soutenir Saladin, après avoir initialement décliné, est formulée par le grand érudit maghrébin du XIVe siècle, Ibn Khaldun. Dans son ouvrage d'Histoire du monde «Kitab Al-Ibar» (Le Livre des exemples), l'auteur du XIVe siècle écrit :
«On dit qu'après ce [refus initial], il a équipé cent quatre-vingts navires et empêché les chrétiens [d'attaquer] les côtes du Levant.»
Ibn Khaldun
Cette formulation exacte est reprise presque mot pour mot dans «Al-Istiqsa» d'al-Nasiri, ce qui suggère que ce dernier s'est probablement basé sur l'écrit antérieur d'Ibn Khaldun. Dans ce même sens, l'historien libanais du XXe siècle Philip Hitti et ses coauteurs reproduisent l'affirmation, dans leur ouvrage exhaustif «Tarikh Al-Arab» (Histoire des Arabes). «[Al-Mansur] équipa une flotte de cent quatre-vingts pièces pour empêcher les chrétiens d'atteindre les côtes du Levant», ont-ils écrit.
Aussi l'expert médiéval Dominique Valérian s'appuie-t-il sur le témoignage des archives génoises, rapportant les faits de la même manière. «On constate qu'en 1190, aucun acte écrit génois n'a été établi pour une destination au Maghreb, ce qui pourrait s'expliquer par une fermeture des ports almohades aux chrétiens, ou du moins aux Génois participant alors à la troisième croisade», écrit-il.
Ces témoignages archivés corroborent la version selon laquelle Yaqub al-Mansur a pris des mesures concrètes pour barrer la route aux croisés. Ibn Khallikan va jusqu'à affirmer que le sultan almohade serait enterré dans la vallée de Bekaa, au sud du Liban, faisant écho à une légende que l'historien Ahmed al-Maqqari Tlemcani dément formellement. Bien que certainement apocryphe, la persistance de tels récits souligne la forte association entre Yaqub al-Mansur et le Levant, dans l'imaginaire populaire.
Ph. Un sanctuaire désigné par certaines légendes comme étant le tombeau du sultan almohade du Maroc, Yaqub al-Mansur, dans la vallée de Bekaa au Liban.
Le contre-récit : Al-Mansur a repoussé Saladin
De leur côté, nombre d'historiens suggèrent plutôt que Yaqub al-Mansur a refusé fermement de s'engager auprès de Saladin dans la guerre des croisades. Ibn Khallikan est l'auteur de cette référence, mentionnant expressément le refus de la demande de la délégation ayyoubide.
Historien marocain du XIIIe siècle, Abd al-Wahid al-Marrakushi ne fait aussi aucune mention d'une quelconque aide almohade à Saladin, dans son dictionnaire biographique «Al-Moajib Fi Talkhis Akhbar Al-Maghrib» (L'agréable synthèse de l'Histoire du Maghreb). Sans constituer une preuve définitive, cette omission d'une source locale contemporaine mérite bien d'être soulignée.
Biopic #10 : Salaheddine El Ayoubi, le chef de guerre qui vainquit les Croisés et reprit Jérusalem
Les historiens maghrébins ultérieurs confirment cette version, en apportant un contexte supplémentaire à la décision d'al-Mansur. Dans «Nafh Al-tayyeb», al-Maqqari cite un passage faisant état du mécontentement du sultan à l'égard de Saladin, car celui-ci ne serait pas adressé au souverain almohade avec son titre préféré. Il écrit :
«[al-Mansur] constata que l'on évitait de l'appeler «Commandeur des Croyants». Il en resta mécontent, tout en le gardant pour lui. Il traita le messager avec générosité, le renvoya vers celui qui le lui avait adressé et ne répondit pas à la demande.»
Ahmed Al-Maqqari
Ce récit s'est ensuite répandu au-delà des frontières du Maghreb. Il a été rapporté par l'historien syrien Abu Shama al-Maqdisi, dans sa chronique du XIIIe siècle sur le règne de Saladin, «Kitab Al-Rawdatayn Fi Akhbar Al-Dawlatayn» (Livre des deux jardins, histoire des deux règnes). Abu Shama corrobore le récit d'al-Maqqari : «L'aide demandée au sultan [maghrébin] ne s'est pas concrétisée. J'ai appris que c'était parce que contrairement à l'usage, [Saladin] ne s'est pas adressé à [al-Mansur] en le considérant Commandeur des Croyants.»
Parmi les chercheurs universitaires modernes, certains ont également adopté cette version des faits. Elle est mentionnée par Philip Hitti et ses collègues, dans «Tarikh Al-Arab» : «Puisque Saladin reconnaissait l'autorité des califes abbassides, son messager ne s'adressa pas à Abu Yusuf [Yaqub al-Mansur] comme commandeur des croyants. Il l'appela commandeur des musulmans, ce qui offensa Abu Yusuf al-Mansur, qui ne répondit pas à la demande [du dirigeant].»
Tensions géopolitiques entre Almohades et Ayyoubides
Outre la question de savoir comment Saladin s'est adressé au calife almohade dans sa correspondance, nombre de chroniqueurs soulignent les relations tendues entre les deux Etats, notamment sur le plan militaire. Selon eux, ce serait là une raison possible du refus présumé d'al-Mansur de fournit de l'aide.
Ibn Khaldun fournit des informations de base cruciales sur cette dynamique. Avant de demander de l'aide, raconte-t-il, Saladin a envoyé son neveu Taqi al-Din et le commandant Sharf al-Din Qaraqush à la tête d'une armée turkmène, dans le cadre d'une expédition visant à conquérir un territoire dans l'est du Maghreb (aujourd'hui la Libye). Leur objectif a été de «disposer d'un bastion pour se retrancher contre les persécutions de Nur al-Din bin Zanki», le souverain zengide de Syrie à qui Saladin a effectivement retiré le pouvoir en Egypte.
Selon le récit d'Ibn Khaldoun dans «Le Livre des exemples», Qaraqush a réussi à prendre le contrôle de la ville de Tripoli et de ses environs. Il proclame officiellement l'autorité ayyoubide de Saladin et de Taqi al-Din. Il forge ensuite une alliance avec les Banu Ghaniya, clan rival qui a précédemment soutenu la dynastie almoravide renversée, puis qui s'est engagé dans une guerre prolongée contre les Almohades à travers le Maghreb. Unis dans leur opposition à ces derniers, le commandant ayyoubide et ses alliés des Banu Ghaniya ont mené des raids et des escarmouches contre les forces de Yaqub al-Mansur.
Témoin direct de nombreux événements majeurs de son temps, l'historien marocain du XIIIe siècle Abd al-Wahid al-Marrakushi fournit des détails supplémentaires sur l'impact politique et militaire des campagnes de Qaraqush. Dans sa chronique «L'agréable synthèse de l'Histoire du Maghreb», il écrit : «Lorsque la nouvelle de Qaraqush et de ses alliés parmi les Arabes et les Banu Ghaniya dans le Maghreb oriental lui parvint, le calife Yaqub était sur le point de vaincre Alphonse VIII, roi de Castille, et de rendre Tolède aux musulmans. La seule chose qui l'amena à accepter une trêve était la nouvelle de l'activité d'Ibn Ghaniya en Ifriqiya avec l'Ayyoubide Qaraqush.»
Al-Marrakushi poursuit en disant que Yaqub Al-Mansur «se confronta à de grandes difficultés dans la guerre contre Qaraqush et ses alliés, et fit de nombreux sacrifices pour réprimer leur mouvement». Au début, il est vaincu par ses ennemis, qui ont dispersé son armée, mais qu'il finit par attaquer à nouveau, pour enfin prendre le dessus et éliminer leur mouvement, selon la même source.
Cette incursion des subordonnés de Saladin a eu des conséquences majeures sur le califat almohade. Elle a obligé al-Mansur non seulement à abandonner une campagne potentiellement décisive contre les chrétiens d'al-Andalus, mais aussi à mobiliser des moyens militaires et humains importants, pour en finir avec l'axe ayyoubide-Banu Ghaniya. Selon plusieurs historiens modernes, cet épisode constitue probablement l'un des principaux facteurs contribuant au refus supposé du calife d'engager sa flotte auprès de Saladin.
Le spécialiste marocain Abdelmajid Ben Jelloun inscrit son propos dans la deuxième thèse. Faisant référence au conflit à la frontière orientale des Almohades, il affirme dans son livre «Hadi-hi Murrakush» (Voici Marrakech) : «Si al-Mansur s'était trop rapproché de la mer Méditerranée, sa flotte étant l'une des plus puissantes flottes islamiques, il aurait été possible de changer le cours de l'Histoire arabe.»
La cour de Saladin n'ignore pas comment cette invasion antérieure serait perçue par les Almohades. Dans «Kitab Al-Rawdatayn», Abu Shama al-Maqdisi cite une lettre du ministre en chef, al-Qadi al-Fadil. Cette missive donne des éléments de réponses à l'envoyé ayyoubide Ibn Munqidh auprès de Yaqub al-Mansur, en cas de demandes d'explications sur les actions de Qaraqush.
«Les deux esclaves [Qaraqush et Yuzba] et ceux qui les accompagnaient ne font partie ni des principaux mamelouks et des princes, ni des eunuques et des saints comptés, mais leur marché a stagné et ils ont été suivis par des foules comme eux. Ils ne sont pas de ceux qui, s'ils sont absents, sont mis en avant. Ils sont en incapacité de nuire ou de commettre une exaction qui donnerait lieu à une plainte pour crime. Dieu nous préserve de commander à un malfaiteur de semer la corruption dans le pays. Je n'ai d'autre intention que de réformer, dans la mesure de mes moyens.»
Le vizir Al-Fadil, conseillant l'ambassadeur Ibn Munqidh sur ses dires
Malgré cette tentative de déresponsabiliser Saladin des actions de ses hommes forts, les sources sont incontestables l'invasion de ces dernier et leur collusion avec les ennemis d'al-Mansur comme facteurs ayant détérioré les relations entre les dynasties ayyoubide et almohade. Plus qu'un différend sur les titres, cette acrimonie et cette méfiance persistantes ont probablement été un élément clé derrière le refus éventuel par Yaqub al-Mansur de la demande de soutien de Saladin, selon les partisans du deuxième récit.
Les Marocains d'Al-Qods : Descendants des volontaires ou de l'armée de Yaqub al-Mansur ?
Entre ces deux récits historiques contradictoires, il est impossible de trancher si l'Etat marocain officiel de l'époque, «l'Etat almohade», sous la conduite du sultan Yaqub al-Mansour, a envoyé des forces pour soutenir Saladin. Ce qui est sûr, c'est que les Marocains se sont mobilisés massivement aux côtés de Saladin pour libérer Al-Qods, comme le confirment les témoignages de la plupart des historiens et du dirigeant ayyoubide lui-même, après avoir vaincu les Croisés et conquis la Terre sainte. Souhaitant retourner dans leur patrie, les Marocains se sont vus demander par Saladin de rester.
C'est alors qu'il leur a accordé un terrain pour construire leur quartier. Connu sous le nom de Harat al-Maghariba, il est rasé en 1967 après la guerre des Six Jours. C'est dans ce contexte que Saladin a prononcé sa célèbre citation :
«J'ai établi ici ceux qui résistent sur terre et frappent avec force en mer. Ce sont eux les mieux placés pour se voir confier la mosquée Al-Aqsa et cette ville.»
Saladin
Ph. Porte du Maroc dans la vieille ville historique d'Al-Qods, nommée d'après les familles ayant vécu dans le quartier marocain «Harat al-Maghariba», détruit en 1967
Les descendants des Marocains qui ont combattu aux côtés de Saladin y résident encore aujourd'hui. En effet, plusieurs familles ont enrichi ce quartier au fil des siècles. Communs au Maroc, leurs noms témoignent bien de leurs origines : les Filali (du Tafilalet), les Alami (du Jbel Allam), les Serghini (de Sraghna), les Meslouhi (de Tameslouht), entre autres.
La question qui se pose est de savoir, entre ces deux récits contradictoires, si les ancêtres des Marocains d'Al-Qods, qui ont combattu aux côtés de Saladin, sont venus en tant que volontaires, ou s'ils font partie des contingents mobilisés à travers les 180 navires de guerre qu'al-Mansur aurait déployés en soutien à Saladin.
Harat al-Maghariba : Quand les Marocains ont vécu à Al Qods après avoir repoussé l'armée des croisades
Il existe cependant une autre possibilité : premièrement, le nombre de Marocains qui ont combattu aux côtés de Saladin se compte par milliers, à tel point que leur représentation est estimée entre 20 à 30% au sein de l'armée de Saladin, lors de la bataille de Hattin. Un nombre aussi important rend improbable l'hypothèse d'une simple mobilisation volontaire. Il faut donc conclure que le jihad, équivalent de la «guerre sainte» dans le christianisme, a été déclaré.
Le sultan doit approuver la mobilisation de ses sujets dans une bataille
Dans l'Histoire de l'islam en général et dans celle du Maroc en particulier, il est bien connu également que l'appel au jihad ne peut être lancé que par le guide des musulmans, à savoir le sultan.
A ce titre, il existe d'innombrables exemples historiques. La plupart des grandes batailles ayant marqué le récit national, comme Sagrajas (1086), Alarcos (1195), Las navas de Tolosa (1212), Wadi al-Makhazin (1578) et d'autres, n'auraient pas pu rassembler des forces aussi importantes sans l'appel du sultan à la mobilisation et au jihad.
Dans ce contexte, même l'hypothèse selon laquelle les al-Fukaha (les religieux) auraient pu déclarer le jihad de manière indépendante est invraisemblable. Etat centralisé, la dynastie almohade a régné sur toute l'Afrique du Nord (à l'exception de l'Egypte, chef-lieu des Ayyoubides), en exerçant son influence sur toutes ses zones d'influence. A titre d'exemple, les Almohades n'ont confié le gouvernement des provinces de Tunis et de Tripoli (loin de leur capitale Marrakech) qu'à la famille hafside de la tribu Hintata.
Ces derniers sont issus du même groupe tribal que les souverains almohades, la tribu Masmuda, qui a affirmé sa loyauté au pouvoir central et son contrôle sur ces régions éloignées. Ainsi, il aurait été impossible pour les religieux de déclarer le jihad sans l'ordre, ou du moins l'approbation, de l'autorité dirigeante.
Deuxièmement, la déclaration de Saladin sur la capacité de résistance des marocains confirme que le dirigeant ayyoubide est bien informé sur les capacités navales de l'empire de l'époque. Mais en Terre sainte, cette compétence au combat n'est sans doute pas l'œuvre exclusive des soldats de la flotte almohade, riche de son expérience des confrontations avec les Castillans et d'autres royaumes ibériques. L'Etat almohade a fourni les ressources nécessaires à la construction navale et à l'entraînement au combat, ce qui penche pour la première version du récit, selon laquelle le sultan Yaqub al-Mansur a déployé 180 navires chargés d'équipement et de moyens pour aider Saladin.
De ce point de vue, il est fort probable que le souverain almohade Yaqub al-Mansour ait ordonné de venir en renfort à Saladin et que. Bien qu'il ait d'abord refusé, il a par la suite donné une suite positive. Cette perspective réconcilie les récits historiques contradictoires et fournit un argument convaincant pour comprendre la présence et le rôle des Marocains, qui ont combattu aux côtés du dirigeant ayyoubide, lors de la libération d'Al-Qods, ainsi que la présence des descendants vivent encore aujourd'hui sur cette terre.


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