Alors que les campagnes médiatiques de l'Algérie contre les Emirats arabes unis ont souvent été l'apanage de l'audiovisuel et la presse privés, ce sont désormais les supports officiels qui tirent à boulet rouge sur Abou Dhabi, après que la récente visite du roi Mohammed VI a donné lieu à la signature de plusieurs accords stratégiques. La campagne médiatique en Algérie contre les Emirats arabes unis s'est intensifiée, après la récente visite du roi Mohammed VI à Abou Dhabi et la signature de plusieurs accords, dont celui relatif aux investissements au Sahara, ou encore celui portant sur le soutien au projet de gazoduc maroco-nigérian. Jusque-là, des tirs groupés similaires ont souvent été l'œuvre des médias privés en Algérie. Mais la visite royale aux Emirats arabes unis aura fait changer cette situation, en provoquant l'ire des supports officiels à Alger. Ces derniers ont ainsi intensifié les hostilités contre le pays du Golfe, tandis que les gouvernements de part et d'autre gardent leur réserve. Des tensions insidieuses Après son élection pour succéder à feu Abdelaziz Bouteflika, le président algérien Abdelmadjid Tebboune s'est rendu au Koweït, au Qatar et en Arabie saoudite, mais pas aux Emirats arabes unis. Son homologue, Cheikh Mohammed ben Zayed Al Nahyan, n'a pour sa part pas été présent à l'édition du Sommet arabe, tenue en novembre 2022 en Algérie. Pourtant, le chef d'Etat à Alger n'a ménagé aucun effort en faveur de la participation du plus grand nombre de dirigeants arabes. En juin dernier, la chaîne privée Ennahar a rapporté que le ministère algérien des Affaires étrangères avait posé un ultimatum de 48 heures à l'ambassadeur émirati pour que ce dernier quitte le pays. Selon le média, les autorités à Alger auraient arrêté «quatre espions émiratis travaillant pour le Mossad israélien», ce qui présagerait un froid diplomatique. Mais le gouvernement algérien s'est empressé de s'activer pour que les conséquences de telles déclarations médiatiques ne fassent pas tache d'huile. Pour ce faire, la diplomatie a publié un communiqué niant catégoriquement les allégations «fausses et mensongères» concernant l'ambassadeur des Emirats arabes unis. Quelques heures plus tard, le président Tebboune a limogé son ministre de la Communication, Mohamed Bouslimani. En août dernier, le journal privé Echorouk proche du sérail a affirmé que des responsables locaux avaient surveillé des «mouvements suspects» de l'attaché militaire auprès de l'ambassade des Emirats arabes unis. Citant des «sources diplomatiques étrangères», le média a ajouté que cet officiel avait déclaré que «si une guerre se déclenchait entre l'Algérie et le Maroc», son pays mobiliserait «toutes ses capacités» pour se dresser aux côtés du royaume. L'Algérie et les Emirats divergent par ailleurs sur de nombreux dossiers régionaux et internationaux, à commencer par celui du Sahara. A ce titre, Abou Dhabi pèse de tout son poids régional en faveur de la position du Maroc. Depuis 2020, Laâyoune accueille d'ailleurs un consulat émirati. Fait inhabituel, l'Algérie a évité de commenter la décision d'Abou Dhabi de mettre en place sa représentation dans la province marocaine du sud. Sur le plan régional plus large, l'Algérie et les Emirats arabes unis diffèrent sur plusieurs autres questions, notamment la situation en Libye, ou encore la normalisation avec Israël. Les médias gouvernementaux se joignent à la campagne contre les Emirats Au début de ce mois de décembre, le roi Mohammed VI s'est rendu à Abou Dhabi. Avec le président Cheikh Mohammed ben Zayed, il a été convenu de «faire évoluer les relations bilatérales et la coopération vers des horizons plus larges, à travers des partenariats économiques efficaces, au service des intérêts supérieurs communs, pour le développement et le bien-être des deux peuples frères». En Algérie, les médias ont porté un grand intérêt à cette visite. Ils ont notamment argué que les Emirats arabes unis cherchaient à aider le Maroc à «détourner le plus grand projet économique d'Algérie», en référence au gazoduc avec le Nigeria. Par la même occasion, Abou Dhabi a été taxée d'être partie prenante dans la supposée «guerre» menée par le Polisario contre le Maroc. Il y a quelques jours, la campagne s'est intensifiée, cette fois-ci à travers les médias officiels. Les critiques à l'égard d'Abou Dhabi, relayées par le site de la Radio Algérie Internationale, ont prétendu que «les Emirats arabes unis ont accordé 15 millions d'euros au Maroc pour lancer une campagne médiatique et des contenus hostiles via les forums sur les réseaux sociaux, dans le but de porter atteinte à la stabilité des pays du Sahel». Et d'ajouter que cette campagne s'étendrait également à «la diffusion de fausses informations et d'une propagande malveillante, dans le but de créer des tensions dans l'atmosphère entre l'Algérie et les pays du Sahel». Les mêmes sources vont jusqu'à prétendre qu'il existerait «un axe entre l'entité israélienne, les Emirats arabes unis et le Maroc», œuvrant à «saper la stabilité» de l'Algérie. L'Algérie s'enlise dans son isolement Mercredi dernier, Radio Algérie Internationale a affirmé que ce qu'elle qualifiait d'«axe du mal» entre les Emirats arabes unis, Israël et le Maroc viserait notamment à «fausser les relations de l'Algérie avec les pays du Sahel». Dans l'une de ses émissions, la même radio a reçu un «analyste politique», qui a déclaré que lors de la récente visite royale à Abou Dhabi, «la préparation de complots visant à attaquer le rôle traditionnel de l'Algérie dans la région africaine du Sahel» aurait été évoquée. L'analyste, présenté comme ayant la nationalité marocaine et résidant en Espagne, a ajouté que la visite du roi Mohammed VI aux Emirats «n'avait pas seulement pour but d'amener davantage d'investissements émiratis au profit de l'économie marocaine (…) mais elle est directement liée à la concurrence avec l'Algérie sur le projet économique stratégique et le gazoduc vers l'Europe, via le Niger». Dans la région arabe, l'Algérie souffre d'un isolement concernant sa position sur le conflit du Sahara. Dans ce sens, Alger n'a réussi à convaincre aucun des Etats arabes actifs sur le plan régional, y compris les Emirats arabes unis, à abandonner leur soutien à la marocanité des provinces du sud. En octobre 2016, neuf pays arabes se sont même retirés du quatrième Sommet afro-arabe, tenu en Guinée équatoriale, en raison de la présence d'une bannière du Front Polisario. Les Emirats arabes unis, aux côtés de l'Arabie saoudite, de Bahreïn, du Qatar, du Sultanat d'Oman et de la Jordanie, ont fait partie des Etats ayant décidé de se retirer des travaux de cette rencontre, dont l'échec a ainsi été précipité.