En activité depuis 1938, le Cinéma Camera à Meknès conserve la mémoire de générations de cinéphiles et de cinéastes, amoureux de ce joyau architectural qui constitue désormais la seule salle obscure de la cité ismaélienne. Son propriétaire, Jamal Tazi, nous raconte son histoire, mais aussi celle sa rénovation, qui marquera un tournant en la transformant en salle numérisée. Revoir le film générationnel «Marock» de Laïla Marrakchi mais en 35 millimètres, «Kharboucha» de Hamid Zoughi ou encore «Le temps des camarades» de Mohamed Chrif Tribak, entre autres films marocains ou classiques internationaux dans le même format, c'est le moment de redécouverte et de nostalgie à la fois que permet le Cinema Camera à Meknès, depuis une dizaine d'années. La seule salle obscure de la cité ismaélienne n'a pas été numérisée, mais elle a continué à tenir des projections en fonction des bobines auxquelles les propriétaires ont pu accéder, afin de ne pas fermer boutique. En rénovation, elle se dotera à partir de mai prochain d'outils numériques flambant neufs, pour accueillir enfin les projections des dernières sorties nationales et mondiales. Lieu mythique encore cher aux Meknassis, cinéma Camera conserve la mémoire de plusieurs générations de cinéphiles, depuis son ouverture en 1938. Ce bijou architectural de style art-déco se distingue aussi par sa fresque murale intérieure, finalisée la même année par le peintre Marcel Couderc, enseignant de dessin au Lycée Poeymirau de la ville entre 1932 et la fin des années 1940. Cette œuvre d'art fascinante longe les escaliers et arrive jusqu'au plafond, se distinguant par ses thèmes variés, ses couleurs finement choisies et ses perspectives qui s'entrecroisent. Elle attend aussi de faire peau neuve pour retrouver toute sa splendeur, dans le cadre du même projet. Véritable source d'inspiration en elle-même, la salle a été immortalisée par le réalisateur Faouzi Bensaïdi, lui-même natif de Meknès, dans son film «Mille Mois» ainsi que «Salle, une certaine idée du cinéma». Propriétaire de la salle et président-directeur général de de la société de projection cinématographique Vox, Jamal Tazi déclare à Yabiladi que les trois phases de la rénovation de la salle sont en effet la remise aux normes, la numérisation et la restauration de la fresque. En raison de dettes anciennes dues à des pénalités de retard de paiements, la salle est non-éligible aux subventions du Centre cinématographique marocain (CCM). Ainsi, les trois phases sont financées à 100% par lui, ses frères et sœurs, héritiers et maîtres du lieu. L'avantage, par ailleurs, est que la salle n'a jamais été laissée à l'abandon et que son matériel analogique est encore en très bon état. La structure blindée du bâtiment a permis cette longévité, puisqu'«il s'agit techniquement d'une très belle construction bien faite et bien conservée, qui a bien vieilli sans fissures dans les murs, avec une bonne conservation aussi des parterres en mosaïque et du marbre des escaliers», souligne Jamal Tazi. «Ces douze dernières années, elle a été maintenue ouverte sous perfusion financière, car le souci a été de ne pas priver Meknès de la seule salle de cinéma qui lui reste», indique-t-il. Cinéma Camera à Meknès / Ph. Ghita Zine - Yabiladi Projecteur numérique et 35 millimètre cohabiteront Jamal Tazi souligne aussi que «beaucoup d'autres personnes ont soutenu ce projet, pour doter Meknès d'une salle pouvant accueillir et projeter les dernières production nationales et internationales». «La décision a été prise un mois à peu près avant le ramadan, avec le soutien du directeur artistiques Festival international du cinéma d'animation de Meknès (FICAM) Mohamed Beyoud, ainsi que le directeur et fondateur de Film Event Consulting, Mohamed Khouna. Nous nous attelons à mettre la salle dans les normes internationale et à la préparer pour demain», nous a déclaré le propriétaire. Ce n'est pas pour autant que Camera tirera un trait sur son passé. «Les deux installations de projecteur de 35 mm, qui ont presque 60 ans, sont aussi en excellent état et la salle va les garder», a-t-il souligné, confirmant ainsi laisser la possibilité pour montrer des films numériques, mais aussi d'autres en bobine, selon les disponibilités. Outre la remise aux normes, notamment au niveau de l'éclairage et de l'électricité, la plomberie, l'étanchéité et la peinture, la cabine de projection sera ainsi préparée pour recevoir un projecteur numérique attendu dans les jours qui viennent, le matériel de secours étant un vidéoprojecteur numérique professionnel déjà en place. Ce nouveau matériel côtoiera l'ancien, qui reste ainsi à portée de main. Projecteur 35 mm à la salle de projection du cinéma Camera de Meknès / Ph. Ghita Zine - Yabiladi «En mai prochain, nous espérons célébrer la réouverture, avec la projection du film marocain "Dados" d'Abdelouahed Mjahed, en présence de l'équipe du film», a déclaré Jamal Tazi à Yabiladi. A partir de là, une programmation s'étendra du lundi au vendredi, proposant trois séances par jour (14h, 17h et 20h), avec «probablement des films différents pour chaque séance, afin d'en proposer au moins deux par jour». «Les samedis et dimanche à 11h, une quatrième séance à 11h est consacrée au jeune public, avec une programmation dédiée», a ajouté le propriétaire. Par ailleurs, la troisième phase de la rénovation que sera la restauration de la fresque de Marcel Couderc pourrait prendre du temps. «Ne serait-ce que pour cette fresque, le Cinéma Camera pourrait être classé monument historique», selon Jamal Tazi. «Cette fresque a 85 ans aujourd'hui et nous souhaiterions lui redonner 85 nouvelles années de vie, mais dans les règles de l'art. Nous sommes en train de chercher des experts marocains de la restauration, qui pourraient travailler avec des peintres marocains également, pour redonner vie à cette œuvre picturale étendue sur une superficie de 75 à 80m2. Aujourd'hui, tout ce qui peut être fait par le Maroc doit être fait au Maroc et tout ce qui peut être fait par des Marocains doit être fait par eux.» Jamal Tazi Détail de la fresque murale de Marcel Couderc au cinéma Camera de Meknès / Ph. Ghita Zine - Yabiladi Un cinéma qui «appartient à tout le monde» Au même titre que d'autres cinéma à Meknès, Camera a été construit par Cosme Sandeaux, né Cosmos Xanthopoulos à Caristeran (Turquie) et naturalisé français en 1926. Venu de Corse avec sa famille pour s'installer dans la cité ismaélienne, il a construit cette salle entre février et décembre 1938, ainsi que le cinéma Empire qui n'existe plus, puis deux cinémas dans la médina, qui ont fermé également. En tout, la famille est derrière la mise en place de cinq salles à Meknès seulement. «C'étaient des amis de mes parents, ce qui a encouragé feu mon père à leur racheter le cinéma Camera, peu après l'Indépendance en 1956. Juste après, mon père a construit le cinéma Rif au nouveau Mellah et dont l'espace est en activité encore aujourd'hui, sous forme de complexe culturel et artistique que nous avons confié à l'Association Ismailia Kobra», nous déclare Jamal Tazi. Avec 1 000 places, ce lieu est ainsi voulu comme un théâtre pour la ville. Photo ancienne du Cinéma Camera / Ph. rol-benzaken Fils de l'exploitant des cinémas à Meknès, Marius Sandeaux et son épouse ont notamment été les directeurs du Camera et de Rif. «Il est resté à Meknès jusqu'à sa mort. Pour s'orienter dans le cinéma, la famille a peut-être dû exploiter des salles de cinéma avant de s'installer dans la ville», souligne le propriétaire actuel. «C'est d'ailleurs à travers eux que mes frères et sœurs et moi avons développé notre engouement pour le septième art», se rappelle-t-il. Jamal Tazi garde aussi des souvenirs intacts de ce qu'a été le cinéma Camera, à l'époque. «C'était souvent le lieu de la première sortie galante ou de la première rencontre des fiancés. On s'habillait donc pour l'occasion et on se préparait à la sortie», indique-t-il. «Comme beaucoup de jeunes de mon époque, j'aimais avoir ce rituel d'aller à la salle de cinéma, où l'on se rend en famille, entre amis ou en couple. C'était aussi un lieu de rencontre de tous les gens de culture, les amoureux de l'art et les cinéphiles, les cinéastes aussi et les écrivains.» Jamal Tazi Entrée du cinéma Camera vue d'en haut / DR. En plus des projections cinématographiques de l'époque, Camera a longtemps accueilli les cycles de rencontres intitulés «Connaissance du monde», lors desquels «les journalistes reporter, voyageant à travers le monde, viennent montrer leurs reportages et parler de ces destinations à partir de leur travail, qu'ils présentant et autour duquel ils échangent avec le public, à la fin de la projection». Pour sa part, le cinéma Empire a été connu pour son ciné-club, «où tous les cinéphiles se rencontrent autour de films à thème, souvent liés à des évènements de la conjoncture internationale», ajoute Jamal Tazi. Aujourd'hui, le propriétaire du cinéma Camera estime que ce dernier «appartient à tout le monde». En témoigne d'ailleurs le choix du film de réouverture de la salle. «Beaucoup de nos fidèles spectateurs ont demandé après ce long-métrage et nous leur proposons donc, en réponse, cette projection spéciale», a-t-il déclaré. «C'est le lien que nous entretenons avec notre public et les amoureux de la salle. A chaque fois que l'un d'eux se dirige vers le guichet pour demander après un film, nous en prenons note, de manière à tenir une projection, si nous rassemblons un nombre suffisant de demandes pour le faire», souligne-t-il. «Nous sommes conseillés par beaucoup de professionnels du secteur à travers le Maroc et tout le monde y contribue», indique Jamal Tazi.