«Les femmes héritent la moitié de ce qu'héritent les hommes » : c'est là l'une des prescriptions les plus célèbres de la religion islamique et à l'intérieur de laquelle on a délimité toute la question de l'héritage en islam. Or, disons le d'emblée, la législation sur l'héritage en islam, très complexe par ailleurs, ne se résume pas à cette répartition qui reste restreinte à un exemple de cas bien précis, mais, avouons le aussi, assez fréquent. Toute la thématique de l'héritage doit donc être, à ce titre, considérée comme étant une révolution majeure ayant bouleversé le statut social des femmes à cette période de l'histoire de la civilisation humaine. Il faudrait donc, pour pouvoir comprendre les finalités de cette prescription coranique, la replacer dans le temps et l'espace social du vécu et des limites historiques de cette période. En effet, dans la société tribale de l'époque où les guerres et les pillages étaient monnaie courante, les femmes étaient les êtres les plus vulnérables de la société et faisaient partie du butin à conquérir. Elles représentaient une lourde charge pour ceux qui devaient les entretenir. Elles n'avaient aucun droit à l'héritage et bien au contraire elles faisaient partie des biens que les hommes s'appropriaient à la mort de leurs proches. Il faut préciser, qu'elles n'étaient pas les seules exclues du système successoral, puisque les enfants, les personnes âgées aussi l'étaient, et tous ceux qui n'avaient pas de monture, ne portaient pas de sabre et ne pouvaient pas mener un combat. Ceux qui avaient droit au patrimoine étaient ceux qui participaient à la défense de la tribu. Cet état de chose, faut –il le rappeler n'était pas spécifique à la péninsule arabique puisqu'il était prédominant dans toutes les civilisations humaines de l'époque, fondées sur «l'économie» du butin, de la force physique et de la guerre. C'est donc dans ce cadre là, qu'il faudrait réévaluer l'apport du Coran sur cette question. C'est dans ce sens, qu'il faudrait aussi resituer la question de l'héritage et notamment garder à l'esprit une donnée fondamentale à savoir que c'est avec la révélation islamique que les femmes ont eu d'emblée le droit à l'héritage, droit, qui faudrait-il le rappeler aucun texte révélé, ni idéologie ou système politique, antérieurs n'ont évoqué encore moins pratiqué. En octroyant ce droit à l'héritage aux femmes, inconnu dans les autres civilisations, l'islam a initié une reconnaissance des droits juridiques aux femmes jamais avérées jusqu'à lors à travers l'histoire de l'humanité[1]. Quand on revient à la source première du Coran et qu'on répertorie les versets concernant l'héritage on est d'abord interpellé par deux versets qui semblent essentiels dans la répartition des biens successoraux et qui résument à eux deux toute la philosophie du Coran quant à cette question. En effet, ces deux versets sont les suivants : Coran 4 ;7 : «Il revient aux héritiers hommes une part (nassib) dans l'héritage laissé par leurs parents ou leurs proches ; de même qu'il revient aux femmes une part (nassib) dans l'héritage laissé par leurs parents ou leurs proches ; et ce, quelle que soit l'importance de la succession, cette quantité est une obligation (nassiban mafroudan)» Coran 4 ;32 : «N'enviez pas les faveurs par lesquelles Dieu a élevé certains d'entre vous au –dessus des autres ; aux hommes reviendra la part (nassib) qu'ils auront méritée par leurs œuvres et aux femmes reviendra la part (nassib) qu'elles auront méritée par leurs œuvres» On constate à travers ces deux versets que le Coran instaure une règle de base qui est celle de l'égalité dans les parts (nassib), des hommes et des femmes, dans l'héritage laissé par leurs parents ou proches respectifs et ce – et comme le précise le verset – quelle que soit l'importance de cette succession. On notera au passage, l'insistance du Coran à la fin du verset sur «l'obligation» de cette répartition égalitaire (nassiban mafroudan). Avant d'avancer dans le propos il serait peut être utile de revoir les circonstances de révélation de ces versets qui comme à l'accoutumée nous éclairent aussi bien sur le contexte de l'époque que sur l'esprit qui sous tend la révélation du dit verset. Pour le verset 4 ;7, la majorité des exégèses classiques rapportent que c'est en réponse à la requête d'une femme nommée Oum Kouha qu'il fût révélé. En effet, cette dernière, était venue se plaindre au prophète dans ces termes : «Mon mari vient de mourir et m'a laissé avec des filles; Il a laissé des biens importants qui sont tous aux mains de ses proches[2]. Ils ne veulent rien nous donner ni à moi ni à mes filles alors que nous sommes toutes dans le besoin ». Le prophète a alors convoqué les hommes en question qui ont justifié leur refus de donner une quelconque part à la femme et ses filles par le fait que ces dernières ne montent pas à cheval, ne combattent pas l'ennemi et ne portent aucun fardeau, en somme et selon les coutumes de l'époque, elles ne représentaient à leurs yeux aucune source de rentabilité et devraient donc être exclues de tout héritage. Ce verset est venu inaugurer une nouvelle règle juridique dans les normes sociales de l'époque, celle qui non seulement donne aux femmes une part de l'héritage, à laquelle elles n'ont jamais eu droit, mais une part égale à celles des hommes ! Ce verset est incontestablement le verset qui fonde l'égalité dans l'héritage entre les hommes et les femmes. La réponse coranique révélée suite à la plainte de la veuve démunie, à qui on refuse de donner une part de l'héritage de son défunt mari et qui a des filles à sa charge, est en soi une réponse claire et évidente quant à la détermination du Coran d'en finir avec les coutumes discriminatoires envers les plus démunis en général et les femmes en particulier. L'exégète classique Ibn Kathir affirme ainsi dans son interprétation de ce verset : « tout le monde est à pied d'égalité devant cette loi Divine et tous - hommes et femmes - sont égaux dans les principes de base de l'héritage (aljamii fihi sawaa fi hukmi Allah wa yastawoune fi assl alwiratha)[3]. Cette réponse, ainsi révélée, est venue encore une fois plaidé la cause des plus démunis, des exclus de la société, qui en tout temps, sont majoritairement représentées par les femmes. Dans toutes les sociétés humaines, les systèmes juridiques érigés par les élites au pouvoir, font en sorte, que seuls, ceux qui font partie de cette élite, les riches, les puissants, puissent tirer profit des richesses héritées. Les opprimés, les démunies, les enfants et les pauvres ainsi que les personnes âgées hommes ou femmes étaient exclues, exploitées et confinées dans les arrières fonds des hiérarchies sociales. C'est là une de ces lois inhérente à l'histoire de la civilisation humaine et qui de tout temps à édifié sa morale sur ce mode de sélection discriminatoire. Quant au deuxième verset, (Coran 4 ;32), on note qu'il souligne la même répartition égalitaire entre les hommes et les femmes mais cette fois ci et selon l'exégèse classique, en tenant en compte aussi de la part des œuvres et des labeurs, fournis par les hommes et les femmes au cours de leur vie sur terre. Il s'agit là d'un verset important dans l'affirmation de l'indépendance économique des femmes, puisque l'on note l'insistance faites quant aux efforts fournis dans le travail et ce autant par les hommes que par les femmes ; « aux hommes reviendra la part (nassib) qu'ils auront méritée par leurs œuvres et aux femmes reviendra la part (nassib) qu'elles auront méritée par leurs œuvres». Formulé dans le langage courant de notre contexte, les principes de ce verset correspondent à ce que l'on dénomme aujourd'hui, comme étant, le droit à l'égalité salariale. Les femmes, à l'instar des hommes, ont eu le droit, depuis l'avènement de l'islam, à la gestion autonome de leurs biens, de leur propre commerce, à la conclusion de contrats de vente et d'achats ainsi qu'à la capacité de léguer de testaments, locations ou procurations légales. C'est d'ailleurs ce verset 4 ;32 qui constituera aussi le fondement du principe juridique islamique qui stipule que les femmes, ayant droit à une totale indépendance et autonomie financière, les époux n'ont absolument aucun droit sur leurs revenus et leurs biens respectifs. Mais malheureusement, ce n'est pas l'interprétation que vont en faire un certain nombre de commentateurs classiques qui vont rester otages de leur propre champ culturel et qui vont refuser de reconnaître l'égalité entre les hommes et les femme, malgré la révélation de ces versets pourtant extrêmement clairs dans leur formulation[4]. [1] Faut-il rappeler que le Code Napoléonien en 1804 consacre l'incapacité juridique des femmes mariées et qu'en général les femmes en Occident n'ont accédé pleinement à l'héritage qu'au 20ème siècle. [2] Il s'agit de Souyid et Akrama le cousin du mari et un tuteur de la famille. [3] Tafssir Ibn Kathir, du verset 4 ;7. [4] C'est le cas du commentaire de l'imam Arrazi qui dans son interprétation de ce même verset 32 de la sourate 4, affirme ce qui suit : «les hommes auront une part qu'ils auront mérité par leurs œuvres, c'est à dire de leur entretien et de la charge matérielle des femmes et pour les femmes leur part consiste à protéger leur chasteté, au devoir d'obéissance au mari et à leur responsabilité dans le foyer familial comme faire la cuisine, faire du pain et laver les habits»[4].