Pourquoi le Code de la famille met la femme algérienne derrière son homologue de la Tunisie ou du Maroc en la relégant au « deuxième sexe »? Personne ne pourra dire que les Algériens sont égaux, sans distinction de race ni de sexe, et légiférer des textes qui consacrent la différence entre l'homme et la femme. » (2) Le code tunisien des statuts personnels, promulgué le 13 août 1956, quelques mois à peine après la proclamation de l'indépendance, dispose d'un arsenal juridique dont la femme tunisienne tire sa fierté. A titre d'exemple, l'abolition de la polygamie et de la répudiation, l'instauration du consentement au mariage ou encore l'affirmation de l'égalité des sexes face au divorce. Les Tunisiennes sont enfin libres. Le roi Mohammed VI a annoncé le vendredi 10 octobre 2003, lors de son discours d'ouverture de la nouvelle session parlementaire marocaine, la réforme de la Moudawana (Code marocain de la famille). Une réforme réclamée par les associations de femmes marocaines depuis de nombreuses années. Onze nouvelles règles donnent ainsi vie aux revendications de ces associations. La plus importante : la responsabilité conjointe des époux au sein de leur famille. Ce qui marque la fin de l'inégalité juridique entre l'épouse et son mari. Deuxième point important : la règle qui soumettait la femme à la tutelle d'un membre mâle de sa famille et faisait d'elle une éternelle mineure est abolie. L'âge du mariage passe de 15 à 18 ans pour la femme, la polygamie est désormais soumise à des règles restrictives (la première femme a notamment le droit de s'y opposer), la répudiation devrait être remplacée par le divorce judiciaire (qui peut être demandé, tant par l'homme que par la femme). Des mesures de simplification de la procédure de mariage des Marocaines résidant à l'étranger ont également été prises ainsi que d'autres concernant l'héritage. Enfin, les Marocaines sont libres !... Et la femme algérienne, ce « deuxième sexe », où est sa liberté ? Qui l'a soumise à la volonté de l'homme ? Qui l'a reléguée au statut de « deuxième sexe » ? En effet, c'est le 9 juin 1984 que l'APN, sous la présidence de Rabah Bitat, qu'elle (la femme) a obtenu un statut de « deuxième sexe ». Le contenu du texte, qui l'a reléguée à ce statut, a été tenu secret jusqu'à son adoption, comme une lettre à la poste. De tous les textes législatifs, seule la loi n° 84-11 portant sur le code de la famille qui dénie la pleine égalité entre les sexes, notamment en matière de polygamie, de successions ou de tutorat. Un code qui n'est en réalité qu'un cocktail des survivances des coutumes de l'Arabie pré-islamique, des injonctions religieuses inspirées du Coran et des hadiths (paroles du prophète) ; qui est en contradiction flagrante avec l'article 29 de la Constitution algérienne qui proclame, elle, l'égalité des sexes : « Les citoyens sont égaux devant la loi, sans que puisse prévaloir aucune discrimination pour cause de naissance, de race, de sexe, d'opinion ou de toute autre condition ou circonstance personnelle ou sociale », le 1er article de la déclaration universelle de la Ligue des droits de l'homme qui stipule : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ; et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité », et à l'article 28 aliéna 2 de la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (Cedaw) qui prévoit qu'aucune réserve incompatible avec l'objet et le but de la présente convention ne sera autorisée ». Dire que les traités sont supérieurs, comme stipulé dans la loi en article 132 de la Constitution (3), est complètement aberrant… Après l'amendement de ce texte de loi en 2005 par l'ordonnance n° 05-02 du 27 février 2005, certaines associations féminines n'ont pas caché leur colère et leur mécontentement par des réactions de réprobation et par le biais de communiqués publiés dans la presse nationale. Les modifications apportées concernent 42 articles (8 bis rajoutés, 29 modifiés), dont 5 abrogés, n'ont apporté ni de nouveau et ni de plus à la femme. Le chapitre du mariage et des fiançailles a été « retouché » sur 11 articles dont 5 ont subi des « modifications de synonymes » ; comme on le constate dans l'article 4 qui stipule que « le mariage est un contrat passé entre un homme et une femme dans les formes légales… » qui a été « relooké » en ce sens. « Le mariage est un contrat consensuel passé entre un homme et une femme dans les formes légales… », et 9 : « Le mariage est contracté par le consentement des futurs conjoints… » par « Le contrat de mariage est conclu par l'échange du consentement des deux époux… » Par contre, l'article 5 a subi une modification « intelligente » qui nécessite des promesses de « manque de confiance », dès le début de leur union amoureuse, de la part des fiancés !... « Les fiançailles constituent une promesse de mariage. » Jusque-là, c'est bien ! « Chacune des deux parties peut renoncer aux fiançailles », ce qui est tout à fait logique. « Si la renonciation est du fait du prétendant, il ne peut réclamer la restitution d'aucun présent, il doit restituer à la fiancée ce qui n'a pas été consommé des présents ou sa valeur », ou vice-versa pour la fiancée (la seule retouche qui a été rajoutée pour cet article). Par analyse du mot employé (il / elle doit) restituer : nous comprendrons que : il / elle doit restituer même un parfum, une savonnette, une robe offerts à l'occasion d'une cérémonie et d'une balade amoureuse, s'ils ne sont pas encore consommés ? Mais, si l'un d'eux (le renonciateur) refuse de restituer le non-consommé, la (victime) peut-elle intenter une action judiciaire contre ce dernier ? Et si oui, comment ? A-t-elle (la victime) des preuves légales : factures (écrites), témoins (oculaires) ? I- Le fameux certificat de « virginité » L'article 7 bis de l'ordonnance sus-citée précise que « les futurs époux doivent présenter un document médical, datant de moins de trois mois et attestant qu'ils ne sont atteints d'aucune maladie ou qu'ils ne présentent aucun facteur de risque qui contre-indique le mariage …. » Ce certificat ne vise qu'à informer l'autre partie de l'état de santé de la personne avec laquelle elle va s'envisager. Et cette mesure ne peut être que la bienvenue, d'autant qu'elle contribue efficacement à éviter aux couples d'avoir une progéniture souffrant de maladies qui peuvent être incurables. Hélas, depuis la promulgation de cet article, certains officiers d'état-civil de certaines communes, comme à Blida et Chlef, prennent le plaisir d'exiger, de la part des futures épouses, un certificat de virginité (4) dans le dossier relatif au contrat de mariage. La suite de l'article subordonne l'établissement du contrat de mariage par le notaire où l'officier d'état-civil à l'accomplissement d'analyses et d'examens médicaux, dont les résultats sont portés à la connaissance des deux futurs époux. Malgré le fait que le ministre chargé des relations avec le Parlement, Abdelaziz Ziari, a dénoncé les rumeurs affolantes après des mois de vide juridique, selon lesquelles les futures épouses devront présenter à l'officier de l'état-civil un certificat de virginité, la situation a, quand même, engendré, en grande partie, de sérieux problèmes. Des promesses ont été faites par le ministère de la Justice par la promulgation, « prochainement », d'un décret relatif au code de la famille, expliquant ce fameux article 7 bis en question. Depuis la mi-mai 2006 à ce jour, aucune suite n'a été donnée !... II- Le tutorat L'obstacle principal tient dans le désir des hommes de commander les femmes, de les maintenir sous tutelle. L'ordre traditionnel, « le machisme ordinaire » patriarcal, affirme la position dominante de l'homme. L'homme s'octroie et légitime son pouvoir en légiférant des lois en sa faveur. C'est comme le code Napoléon de 1804 qui dispose que l'épouse doit obéissance à son mari. Mais cette disposition ne figure, naturellement, plus depuis 1948 dans le Code civil français. Pour pouvoir dominer, il faut dévaloriser le dominé. Nous avons connu cela avec la société coloniale. L'identité proposée à la femme par le système de domination de l'homme est un système destructeur et pervers. La femme est soumise dès l'enfance à un travail de persuasion qui tend à la diminuer, à la nier en tant qu'individu, à la persuader de son infériorité et finalement à la convaincre d'accepter son sort avec résignation, voire à le revendiquer. Elle est considérée comme un être inférieur et faible, dès sa naissance elle est accueillie sans joie. Et quand la naissance des filles se répète dans une même famille, elle devient une malédiction. Jusqu'au mariage, c'est une « bombe à retardement » qui met en danger l'honneur patriarcal. Et plus elle grandit, plus le danger grandit avec elle. Elle est donc recluse dans le monde souterrain des femmes entre quatre murs… La société étouffe ses aspirations et la décourage. Elle est assujettie, trompée, chosifiée… devenue un instrument dont on ne parle même pas ; elle est loin d'être l'égale de l'homme. Ce dernier la consomme comme un fruit par le mariage et surtout par la maternité. Hors mariage, le ménage et la maternité n'étant plus, elle redevient l'instrument des passions animales, et selon le milieu social, on les achète cher ou bon marché, on peut même se ruiner pour elle, mais on la méprise toujours. Elle est le vice que souvent l'on porte au pinacle, que l'on couvre de fleurs, mais qui reste quand même le vice. La femme ne fait, cependant, pas qu'être désirée. Elle désire ; l'instinct sexuel parle aussi d'elle, mais la société ne lui donne aucun droit de se faire valoir. Leur besoin d'aimer, les femmes ne peuvent le satisfaire, qu'en se mettant sous tutelle matrimoniale, à moins qu'elles ne préfèrent se vendre. En lui imposant la présence d'un wali lors de la conclusion de son contrat de mariage (article 11 du code sus-cité), les concepteurs du code de la famille ignorent, complètement, les nouvelles catégories de l'article 40 du code civil.(5) Pis encore, en son aliéna 1, l'article sus-mentionné dit que « le juge est tuteur de la personne qui en est dépourvue. » Ainsi, si le juge en question est une femme, comment peut-elle jouer le tôle de tuteur matrimonial pour une autre, du moment qu'elle aussi a besoin d'un tuteur mâle pour son propre mariage ? Cette notion de tutorat (wali), qui a son origine dans le verset 4 : 34 (An nissä « les femmes ») du Coran « les hommes ont autorité sur les femmes… », ne devra pas être exigé pour la femme qui ne souhaite pas la présence d'un tuteur lors de la conclusion de son mariage. Ce qui fait que cet article discriminatoire peut être abrogé ou modifié comme suit : « La femme peut conclure son contrat de mariage sans la présence d'un tuteur matrimonial » -, ce qui lui laisse le choix… car, si on suit le raisonnement de certains érudits de l'Islam, comme Ibn Kathir dans ses Tafsirs et Tabari, le mot Qawamoune ne se traduit pas par « supérieur », car supérieur en arabe se dit aâla ou aâli. Il ne se traduit pas, également, par autorité, car autorité en arabe c'est solta. Si nous suivons, ce raisonnement, le mot qawamoune du Coran vient de plusieurs dérivatifs, tels que qaouama (résistance), el qâma (taille, stature). Dieu a créé l'homme d'envergure, de taille ou de stature forte par rapport à la femme. Il lui a donné une résistance corporelle de manière à supporter les tâches et les responsabilités lourdes, dont la femme est épargnée. Donc, qaouama ne veut nullement dire « autorité » ou « supériorité » de l'homme sur la femme pour en faire une discrimination entre eux. L'interprétation faite par les concepteurs du code de la famille en 1984 et 2005 du verset sus-cité est : Les hommes sont les tuteurs des femmes et leur sont supérieurs, et dans toute famille, les hommes sont les tuteurs et les supérieurs de cette famille, en niant que c'est dans ce verset que le Coran a joint l'égalité des femmes aux hommes. III- L'adoption (kafala) : La mère adoptive (kafila) et l'exercice de la tutelle L'enfant « malvenu » était enterré vivant en Perse ; immolé en offrande à Carthagène ; en Grèce, le père pouvait d'un simple signe devant témoins signifier l'abandon de son nouveau-né ; à Rome, ce droit était dévolu au pater familias jusqu'à ce que l'Etat romain en quête de soldats pour ses conquêtes substitua l'esclavage avec possibilité de libération à l'élimination physique (le cas d'Octave adopté par César et futur empereur Auguste). Il a fallu attendre le VIe siècle (et le Code justinien 528-534 et la loi de 553) pour que l'infanticide et les transactions sur les enfants esclaves soient sévèrement punis et l'avènement de l'Islam au VIIe siècle pour que ces pratiques soient interdites à tout musulman. L'interdiction de l'adoption en Islam est fondée sur l'interprétation d'un verset du Coran El Ahzab (les coalisés) qui prescrit, se référant aux enfants accueillis : « Appelez-les du nom de leurs pères : c'est plus équitable devant Allah, mais si vous ne connaissez pas leurs pères, alors considérez-les comme vos frères en religion ou vos alliés. Nul blâme sur vous pour ce que vous faites par erreur, mais (vous serez blâmés pour) ce que vos cœurs font délibérément. Allah, cependant, est Pardonneur et Miséricordieux. » (6) Ce verset fut révélé à propos de Zayd Ibn Harita qui vivait sous le toit du Prophète comme son propre enfant et qu'on appelait Zayd Ibn Muhammad. Ce qui rend l'adoption inopérante et le Prophète fut le premier à l'appliquer à l'égard de Zayd. Cette interprétation s'inscrit tout à fait dans le cadre des nombreux versets du Coran relatifs à la protection de l'enfant en général et de l'enfant délaissé ou orphelin en particulier, que la société se doit d'intégrer dans sa religion et la famille d'accueil dans sa parentèle. En revanche, le droit musulman reconnaît le concept de kafala qui est l'engagement de prendre bénévolement en charge l'entretien, l'éducation et la protection d'un enfant mineur, au même titre que le ferait un père pour son fils (comme le souligne, par exemple, l'article 116 du Code algérien de la famille). C'est après la Deuxième guerre mondiale et la maîtrise progressive de la procréation que la valeur affective de l'enfant prend un sens. Un projet sur les droits de l'enfant proposé en 1953 fut mis de côté. La Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) ne vit le jour que le 20 novembre 1989 après des années de débats et de multiples réserves pour tenir compte de la philosophie des Etats (qui ne l'ont d'ailleurs pas tous ratifiée). L'engagement quasi général de la communauté mondiale à défendre les droits de l'enfant et la promulgation d'une législation, pour garantir sa protection où qu'il se trouve, témoignent de la prise de conscience, par les Etats signataires, des besoins fondamentaux incontestables de l'enfant. La kafala est un concept juridique reconnu par le droit international. En effet, la convention en question relative aux droits de l'enfant énonce, en son article 20, que : « Tout enfant, qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial ou qui, dans son propre intérêt, ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à la protection de l'Etat, tout en précisant que chaque Etat peut adopter une protection conforme à sa législation nationale. » Dans tous les cas, il revient aux Etats de s'assurer du respect de l'intérêt supérieur de l'enfant, ainsi note son article 21. 1. Que dit la législation algérienne ? L'enfant abandonné (garçon ou fille) peut être recueilli légalement par un couple sans enfant et ce conformément à l'article 116 du Code algérien de la famille. De même, l'article 119 prévoit que « l'enfant recueilli peut être de filiation connue ou inconnue ».(7) La naissance d'enfants hors mariage reste un tabou en Algérie. Ainsi, 87% des enfants abandonnés sont des nouveau-nés issus de naissance hors mariage. De manière générale, la prise en charge de ces enfants abandonnés est très limitée et peu adaptée à leurs besoins. Du fait de l'insuffisance des instituts spécialisés, beaucoup restent dans les services maternité ou pédiatrie des hôpitaux, sans soins particuliers. Seule la moitié de ces enfants survivent à l'abandon. Depuis deux décennies déjà, les demandes d'adoption des enfants orphelins ou abandonnés, exprimées par des couples de plus en plus nombreux, prennent l'aspect d'un véritable phénomène de solidarité sociale. Une demande de changement de nom peut être faite, au nom et au bénéfice d'un enfant mineur né de père et mère inconnus, par le titulaire du droit de recueil légal (kafil) permettant à l'enfant makfoul d'obtenir le nom de la famille kafilat sur les registres, actes et extraits d'acte civil avec la mention marginale « enfant makfoul », ce qui met juridiquement un terme à l'injustice qui frappait l'enfant privé de famille en procédant à l'application de l'article 64 du Code de l'état civil. (8) Jusque-là, cette procédure de changement de nom se passait plus ou moins bien. Mais certains tribunaux commencent à faire obstacle ou même à retarder le changement de nom par une interprétation à la lettre de l'article 1bis du décret exécutif N° 92-24 du 13 janvier 1992, un article signé par l'ancien chef du Gouvernement, Sid-Ahmed Ghozali, à base d'une fetwa émise, en 1991, par le Conseil supérieur islamique, concernant la concordance de nom entre le kafil et le makfoul, qui stipule : « La demande de changement de nom peut également être faite, au nom et au bénéfice d'un enfant mineur né de père inconnu, par la personne l'ayant recueilli légalement dans le cadre de la kafala, en vue de faire concorder le nom patronymique de l'enfant recueilli avec celui de son tuteur. Lorsque la mère de l'enfant mineur est connue et vivante, l'accord de cette dernière, donné en la forme d'acte authentique, doit accompagner la requête. » Les parquets exigent cet acte authentique de la mère de l'enfant mineur, au vu de l'extrait de naissance de l'enfant sur lequel le nom de la mère est porté. Mais la mère qui a donné son nom avec filiation ou sans filiation peut avoir soit disparu en abandonnant l'enfant après le délai qui lui était imparti (3 mois à renouveler tous les mois), ce qui mène inexorablement au prononcé de l'abandon définitif, soit abandonné l'enfant définitivement dès l'accouchement, un procès-verbal d'abandon définitif étant alors établi à la naissance de l'enfant. Dans les deux cas, l'enfant recueilli par une pouponnière est déclaré pupille de l'Etat et placé sous tutelle des services concernés. On ne peut donc demander à une mère, qui a abandonné définitivement l'enfant en demandant le secret de l'accouchement bien qu'ayant donné son nom, d'établir un acte où figure son accord ou son autorisation au changement de nom demandé par le kafil. On ne peut pas le demander non plus à une mère qui a reconnu l'enfant et qui a disparu sans laisser de traces pendant le délai qui lui était imparti (3 mois), rendant l'abandon provisoire définitif. Cependant, 2 ans après, soit le 28 août 1994, le ministère de l'Intérieur et des collectivités locales transmet une circulaire à l'attention des présidents d'APC en leur signifiant l'interdiction de porter l'enfant makfoul sur le livret de famille ! Ainsi, entre le décret exécutif de 1992 et la circulaire de 1994, l'incohérence persiste et les familles adoptives restent ballottées entre les deux textes. Lors du Conseil de gouvernement du 21 décembre 2005, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, a présenté un avant-projet de loi relatif à la protection de l'enfant. Le texte promet la création d'un organe national chargé de la protection de l'enfance et de la promotion de ses droits. Y aura-t-il du nouveau pour les enfants adoptés ? D'une manière générale, la « législation algérienne ignore, actuellement, les enfants naturels » comme l'a fait ressortir, devant la commission des Nations unies, lors de la 40e précession du Comité des droits de l'enfant du 8 juin 2005, Mme Ait-Zai (9). De ce fait, une discrimination est établie entre les enfants légitimes et illégitimes. Il est vrai que les interrogations du parquet sont justifiées car il n'existe pas de régime juridique de l'abandon, l'administration s'occupant de l'enfance fonctionne depuis l'indépendance avec une procédure héritée de la France. Quant à la loi n° 85-05 du 6 février 1985 relative à la protection et à la promotion de la santé, celle-ci dispose en son article 73, que « les modalités d'assistance médicosociale, visant à la prévention des abandons d'enfants seront prises en charge par voie réglementaire ». Ces « modalités » ne sont pas encore promulguées ! Mais l'intérêt supérieur de l'enfant doit être le critère primordial qui doit guider le Parquet dans la décision à prendre : l'enfant doit donc avoir un nom qui corresponde à celui de la famille d'accueil qui entend réaliser un recueil légal. 2. L'exercice de la tutelle Sur un autre chapitre discriminatoire envers l'épouse du kafil, cette mère adoptive se trouve exclue dans l'exercice de la tutelle sur l'enfant makfoul dans le cas du divorce avec son époux. En effet, l'exercice de la garde de l'enfant revient au père kafil, car l'acte du recueil légal est établi à son nom, alors que la mère aurait souhaité se voir attribuer la garde comme une mère pour son enfant légitime. C'est pourquoi il est urgent d'instituer des mécanismes de loi afin de sauvegarder l'intérêt de l'enfant et les parents adoptifs. En d'autres termes, il faut que les règles concernant la tutelle d'un enfant légitime soient appliquées à l'enfant recueilli. En cas de décès du kafil, la kafala judiciaire de l'enfant revient d'office à l'épouse du kafil, et en cas de divorce, le juge confie la garde à la mère comme s'il s'agissait d'un enfant légitime. Le juge doit également accorder au père kafil un droit de visite et le condamner, d'autre part, à payer une pension alimentaire. Ainsi, le juge ou le notaire prononçant la kafala veille à porter sur l'acte de kafala les noms et prénoms des époux au profit desquels est prononcée la kafala pour mettre le père et la mère du makfoul sur un pied d'égalité. Aussi, il est judicieux que l'enfant recueilli par la kafala soit porté sur le livret de famille avec la mention marginale de la date de jugement ou de l'acte notarié ayant prononcé la kafala. Cette disposition, qui représente la préoccupation principale des familles adoptives, est nécessaire afin d'assurer une intégration harmonieuse de l'enfant dans le milieu familial qui l'a recueilli et dans les institutions avec lesquelles il est en rapport, comme l'école et la mairie. Ainsi, offrir une écoute attentive et une assistance, même très modeste, aux mères en difficulté et la création d'une école de formation spécialisée qui a pour tâche la formation d'un personnel pour la prise en charge de l'enfance abandonnée. Car, il suffit d'imaginer l'état d'esprit de ces enfants conçus en dehors du mariage pour se faire une idée des retombées psychologiques d'une telle situation. Abandonnés par des mères célibataires, ces enfants risquent de porter à jamais les stigmates d'une situation dont ils ne sont nullement responsables. Car, s'ils avaient eu le choix, ils n'auraient pas accepté de naître sous X. Enfin, ils ne prendront connaissance de leur « illégitimité » qu'après, c'est-à-dire après avoir consulté leurs bulletins de naissance. Là commence une autre histoire, une histoire de pardon ou de haine... Il revient à la famille d'accueil de répondre aux besoins de l'enfant au niveau du handicap éventuel. IV - L'injustice de la succession L'autre dimension juridique du statut de la famille est constituée par le chapitre relatif aux successions, question complexe et ardue, s'il en est. Ainsi, des dispositions générales énoncées (articles 126 à 138), celles de l'article 138 paraissent curieuses du point de vue de la formulation. Cet article est ainsi libellé : « Sont exclues de la vocation héréditaire les personnes frappées d'anathème et les apostats. » Quant à l'article 143, il détermine les parts de succession ; la moitié, le quart, le huitième, les deux tiers, le tiers et le sixième. Les catégories d'héritiers délimitées sont au nombre de trois : les héritiers réservataires (héritiers fard), les héritiers universels (héritiers aceb) et les héritiers par parenté utérine ou cognats (daoui el arham). Or, autant pour la première catégorie, il y a une certaine équité respectée entre hommes et femmes, autant pour la seconde on peut relever quelques observations ; ainsi, l'article 150 du Code indique que « l'héritier aceb est celui qui a droit à la totalité de la succession ». A la tête des héritiers réservataires, ayant droit aux deux tiers de la succession, figurent les filles mais lorsqu'elles sont deux ou plus à défaut de fils du de cujus (donc un fils de de cujus - 2 filles ou plus ?). Il en est de même des descendants du fils du de cujus, des sœurs germaines et des sœurs consanguines. Quant à la mère, elle fait partie des héritiers réservataires ayant droit à un tiers et encore « à défaut de descendance des deux sexes du de cujus » (10) Pour les héritiers universels, alors que l'article 152 dispose : « Est aceb par lui-même tout parent mâle du de cujus, quel que soit son degré issu de parents mâles » ; selon l'article 155 : « L'héritier aceb par un autre (la fille, la fille du fils du de cujus, et la sœur consanguine) : il est procédé au partage de sorte que l'héritier reçoive une part double de celle de l'héritière. » Dans le chapitre V « De l'éviction en matière successorale » (hajb), l'article 160 définit les héritiers bénéficiant d'une double réserve : le mari, la veuve, la mère, la femme du fils et la sœur consanguine. Là où le mari reçoit la moitié de la succession (à défaut de descendance), là où les veuves reçoivent seulement le quart et la mère le tiers (à défaut de descendance pour les unes et les autres). Seules la fille du fils et la sœur consanguine reçoivent la moitié de la succession (comme le mari donc), mais à condition d'être enfant unique, ce, à défaut de quoi, l'une et l'autre ne reçoivent que le sixième. V - La femme et la Cedaw (11) Comme vous le savez, l'Algérie a émis des réserves qui découlent du Code de la nationalité mais surtout du Code de la famille. Ces réserves qui vident la convention de son sens et les préoccupations sont celles qui concernent l'article 2 : « ... Prendre toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des... » ; L'article 15 : « ... Les Etats parties reconnaissent à la femme une manière civile, une capacité juridique... à circuler librement et à choisir leur résidence et leur domicile... » Et l'article 16 : « ... le même droit de contracter un mariage, de choisir librement son conjoint et de ne contracter mariage que de son libre et plein consentement, les mêmes droits et les mêmes responsabilités au cours du mariage et lors de sa dissolution ; les mêmes responsabilités en tant que parents... » Qui font de la femme algérienne, quel que soit son âge, qu'elle ne peut consentir seule au mariage et qu'elle ne peut divorcer que dans des conditions contraignantes. Et n'oublions pas que, sur le plan constitutionnel, les traités sont supérieurs à la loi (article 132) ! Le Comité pour la Cedaw a engagé, le 11 janvier 2005, l'Algérie à achever la révision du Code de la famille et à promouvoir dans les faits l'égalité entre les hommes et les femmes. Le deuxième rapport périodique présenté par la délégation algérienne conduite par le représentant permanent auprès des Nations unies, Abdallah Baâli, en application de l'article 18 de la convention sus-citée, stipulant : « Les Etats parties s'engagent à présenter au secrétaire général de l'organisation des Nations unies, pour examen par le Comité,… un rapport sur les mesures d'ordre législatif… tous les 4 ans. » Notons ainsi que le gouvernement algérien ne considère pas les articles 2 (cadre juridique) et 16 (mariage et famille) comme l'essence même de la convention (12). En conclusion, nous dirons que la mise en place d'une véritable démocratie en Algérie passe par la mise en place des lois civiles égalitaires. Il faut aussi instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d'égalité avec les hommes, de garantir leur protection effective contre tout acte discriminatoire, de les laisser se réapproprier leur histoire ; développer leur capacité à s'exprimer comme des êtres spécifiques indépendants, responsables et irréductibles à l'homme ; et il ne faut pas être accroché à des archaïsmes face aux profondes mutations que connaît la société algérienne. Peut-être bien que l'histoire retiendra au moins que la lutte des femmes aura été une des plus révolutionnaires et des « moins violentes » de ce siècle, et donnera crédit à la prédiction de l'écrivain français Louis Aragon : « La femme est l'avenir de l'homme. » Honneur aux femmes, à leur beauté, à leur courage et à leur juste cause. L'auteur est Cadre associatif et ancien cadre syndical d'entreprise. Samir Rekik Notes de renvoi : 1) Le deuxième sexe, de Simone de Beauvoir, éditions Gallimard, 1949 : Bien que datant de plus de 50 ans, il décrit de manière encore très précise la situation des femmes, et plus généralement notre société et son rapport au caractère sexué de l'être humain. 2) Paroles du maître Hocine Zehouane, président de la LADDH à la veille de la célébration de la Journée mondiale de la femme, le 8 mars 2006, en présence du Me Ali Yahia Abdennour, président d'honneur in La Nouvelle République du 9 mars 2006. 3) Joradp n°76 du 8 décembre 1996, modifié par la 02-03 du 10 avril 2001, Joradp n°25 du 14 avril 2002 ; 4) Paroles de Mme Cherifa Kheddar, présidente de Djazaïrouna, « en marge de la visite de la rapporteuse spéciale de l'ONU sur la violence contre les femmes, Mme Ertûrk Yakin, à Alger 23 janvier 2007, in El Watan du 25 janvier 2007 ». 5) Ordonnance n° 75 - 58 du 26 septembre 1975, modifiée et complétée qui dispose que « toute personne majeure, jouissant de ses facultés mentales et n'ayant pas été interdite, est pleinement capable pour l'exercice de ses droits civiques. La majorité est fixée à 19 ans révolus. » 6) Sourate 33 - V 5. 7) Loi 84 - 11 du 09 juin 84, modifiée et complétée par l'ordonnance 05-02 du 27 février 2005. 8) N°70-20 du 19 février 1970 : Ordonnance entrée en vigueur à compter du 1er juillet 1972, par décret N°72-105 du 7 juin 1972). 9) Avocate à la cour et chargée de cours à la faculté de droit de Ben Aknoun, à Alger. 10 Article 148, alinéa 1er du Code algérien de la famille. 11) La Cedaw a été adoptée le 18 décembre 1979 par l'Assemblée générale des Nations unies. Elle est entrée en vigueur en tant que trait international le 3 septembre 1981. Ratifié par l'Algérie, le 22 janvier 1996. 12) D'après l'Experte de l'Allemagne, Hanna Beate Schôpp-Schilling, intervenant lors de la présentation du 2e rapport de l'Algérie devant le Comité de la Cedaw le 11 janvier 2005. Source : Nations unies, New York. Références Articles « La femme algérienne, ce ''deuxième sexe'' ! » Paru dans le quotidien Le Matin du 4 novembre 2003 et republié en octobre 2005 in www.aokas.forumactif.com de Samir Rekik. « Le code algérien de la famille et ses contradictions » du quotidien Le Matin du 9 octobre 2004 et republié en décembre 2005 in www.aokas.forumactif.com de Samir Rekik. « Algérien, qu'as-tu fait à la femme ? » Paru dans l'hebdomadaire le Régional du 14 au 20 mars 2002 de Samir Rekik. « Silence,... on les tue ! » Paru dans le quotidien L'Authentique du 23 mars 2003 de Samir Rekik. « Le code algérien de la famille : louvoiement entre la charia et les conventions internationales », paru in El Watan du 8 et 9 mars 2006 de Samir Rekik. « Viol, inceste et harcèlement sexuel : Quel sort pour les victimes ? » Paru in El Watan du 17 et 18 décembre 2006 de Samir Rekik. « Le lévirat kabyle », in la revue mensuelle Tafat (lumière) du mois d'octobre 2006 de Samir Rekik. « La kafala : pour ceux qui veulent adopter un enfant », in www.aokas.com du 14 novembre 2006 de Samir Rekik. « Pour un statut digne de la femme : tenons compte des aspirations légitimes », de Ammar Koroghli in Le Matin du 11 mars 2003. « Les chemins ardus de l'adoption », de Mustapha Rachidiou in El Watan du 8 juillet 2006. « Pourquoi libérer la femme ? » Par H. Aït Amara, universitaire, in El Watan dimanche 2 mai 2004. Code de la santé publique de 1976 Loi 85-05 du 16 février 1985 Jora 1985, p. 122 relative à la protection et à la promotion de la santé ;