Dans un nouveau rapport, Human Rights Watch revient sur 8 cas de harcèlement de militants au Maroc. L'ONG appelle les autorités du royaume à «mettre fin à l'utilisation systématique d'une série de pratiques visant à museler et à intimider les dissidents». L'ONG internationale Human Rights watch (HWR) a publié, ce jeudi, un nouveau rapport sur la situation des droits de l'Homme dans le royaume. Intitulé «Manuel des techniques de répression au Maroc», le document revient sur le cas du journaliste Omar Radi, condamné à six ans de prison en mars 2022 pour «viol» et «attentat à la pudeur», «espionnage pour l'étranger» et «atteinte à la sécurité de l'Etat». «Au cours des deux dernières décennies, Human Rights Watch et d'autres organisations de défense des droits humains ont documenté la manière dont les tribunaux marocains ont condamné des dizaines de journalistes et d'activistes et comment ils ont fermé, condamné à de lourdes amendes ou sanctionné de diverses façons les médias indépendants», explique le rapport. Ce dernier, citant plusieurs noms de Marocains condamnés, entre 2021 et 2022 à des peines de prison ferme, simplement pour avoir critiqué pacifiquement des personnalités publiques, affirme que les autorités marocaines, depuis le milieu des années 2010, ont «de plus en plus souvent accusé et poursuivi des journalistes et des activistes éminents pour des crimes autres que d'expression». Accusations et «violations de procédure» judiciaire Il cite notamment des crimes de «relations sexuelles consensuelles, mais hors du mariage», en plus d'autres types de crimes, comme «blanchiment d'argent, espionnage, viol, agression sexuelle… et même traite d'êtres humains». Le rapport pointe du doigt «un système judiciaire sous contrôle» ainsi qu'une «évolution des accusations criminelles» visant notamment des journalistes. L'ONG internationale y pointe des «procédures judiciaires inéquitables», à commencer par la détention provisoire «prolongée sans justifications», citant à cet égard les affaires des journalistes Omar Radi et Souleiman Raissouni qui ont tous les deux passé un an en détention provisoire, soit la durée maximale prévue par la législation marocaine. L'occasion d'aborder aussi les «refus de convoquer les témoins requis par la défense» ou encore le fait de «contraindre des individus à témoigner en faveur de l'accusation». «Des tribunaux ont également condamné des opposants en leur absence… alors même qu'ils étaient en prison pendant le déroulement du procès», poursuit le rapport. «Toutes ces violations de procédure se sont produites dans un contexte général de harcèlement policier et de violations multiformes des droits des opposants», enchaîne l'ONG qui dédie une partie de son «Manuel» à l'affaire de l'espionnage présumé par le logiciel israélien Pegasus. Des techniques «multiples, variées et toujours agressives» L'ONG décrit aussi un «écosystème médiatique pro-Makhzen» pour lequel «les opposants politiques sont les premières cibles» alors que les «dissidents craignent plus la diffamation que la prison». Elle pointe du doigt un écosphère médiatique «fortement restreinte» du Maroc où «aucun média n'ose couvrir de cette manière les personnalités puissantes du Makhzen», alors que «seuls les opposants et ceux qui gravitent dans leur orbite sont ainsi pris pour cibles». «Plusieurs personnes ciblées ont indiqué à Human Rights Watch que si la plupart des informations publiées à leur sujet dans les médias pro-Makhzen étaient fausses ou déformées, certaines d'entre elles étaient vraies – et suffisamment précises pour les amener à conclure qu'elles n'auraient pu être obtenues que par la surveillance, notamment de leurs communications électroniques», ajoute le rapport. Celui-ci indique même que «plusieurs opposants marocains interviewés par HRW ont indiqué avoir été suivis, à pied ou par des inconnus dans des voitures banalisées, à divers moments et pendant de longues périodes». Le rapport revient sur 8 cas de «détracteurs harcelés sans relâche», à savoir Hicham Mansouri, Fouad Abdelmoumni, Hajar Raissouni, Maati Monjib, Mohamed Ziane, Taoufik Bouachrine, Soulaiman Raissouni et Omar Radi. Pour HRW, «Le "manuel" des autorités marocaines pour museler l'opposition comprend des techniques multiples, variées et toujours agressives». «Certaines de ces techniques, telle que la vidéosurveillance dissimulée dans des domiciles privés, les agressions physiques contre des personnes ciblées, ou les actes d'intimidation contre elles ou leurs proches, sont difficiles à attribuer directement à des agents de l'Etat», poursuit-elle. «D'autres techniques du manuel, notamment les campagnes de diffamation contre les opposants sur des sites Web pro-Makhzen, sont sans doute indécentes et contraires à l'éthique et la déontologie, mais pas forcément illégales au regard de la loi marocaine. Il est également difficile de prouver que l'Etat est directement impliqué dans de telles campagnes. Cependant, à en juger par le contenu que ces sites publient, ils semblent totalement alignés sur les services de sécurité marocains, et parfois même travailler en tandem avec eux.» Extrait du rapport «Mettre fin à l'utilisation de ces méthodes contre les journalistes critiques Des techniques qui «se combinent et se complètent pour constituer ce qu'on peut décrire comme un écosystème répressif», note le rapport. Un écosystème qui viserait «non seulement à museler les individus ou les médias jugés gênants, mais au-delà, à faire peur à tout le monde, dissuadant ainsi de manière préventive tous ceux qui pourraient être tentés de critiquer l'Etat». Dans ses recommandations, HRW indique que les autorités marocaines devraient «respecter le droit à l'expression pacifique et à la vie privée, et mettre fin à l'utilisation systématique d'une série de pratiques visant à museler et à intimider les dissidents, tout en déguisant le fait qu'il s'agit en fait de représailles pour leurs propos ou leurs activités d'opposants». L'ONG appelle notamment à «réformer les agences de sécurité et de renseignement du pays, de manière à les soumettre à un contrôle indépendant». HRW propose aussi de réformer plusieurs textes de lois, qui «violent intrinsèquement le droit international des droits humains, notamment les droits à la liberté d'expression, à la vie privée, à la santé et à la non-discrimination». En attendant, «les autorités judiciaires devraient s'abstenir de poursuivre en vertu de ces lois des personnes ayant exprimé leurs opinions de façon non violente», recommande-t-elle. HRW va même jusqu'à appeler «les pays étrangers exportant des technologies de surveillance vers le Maroc» d'«arrêter toutes opérations de vente, exportation et transfert» dans l'attente des résultats d'une enquête sur «les rapports de surveillance illégale d'Internet, d'intrusion de logiciels et d'autres formes de surveillance numérique des journalistes, des activistes politiques et des défenseurs des droits humains». Ces pays sont appelés à «veiller à ce qu'il y ait des contrôles appropriés pour empêcher l'utilisation des produits de l'industrie de la surveillance privée pour faciliter les violations de droits humains».