Jusqu'à aujourd'hui, aucun ouvrage hydraulique n'a été bâti pour retenir les eaux des crues d'Oued Ghriss, qui se perdent en route vers les ergs du sud-est du Maroc. Résultat, l'eau de surface, de plus en plus rare, arrive difficilement à maintenir en vie l'agriculture vivrière au sein des oasis. «Ghriss est le seul Oued au Maroc qui ne dispose pas de barrage». À force de le répéter, les membres de la société civile de Goulmima, ville bâtie près de l'ancien ksar éponyme sur la rive Ouest de ce cours d'eau, semblent s'en vanter. Mais c'est loin d'être le cas. Depuis les années soixante du siècle dernier, les habitants de plusieurs oasis situées sur ses rives n'attendent que ça. Pour cause, hormis l'écoulement quasi-pérenne de quelques sources qui jaillissent de son lit, Oued Ghriss ne coule qu'après les crues. Après avoir mené récemment une campagne pour avorter un projet de quatre grands bassins de stockage en amont des deux sources Tamda n'Messaoud et Boukhazem, et qui allait, sans doute, épuiser davantage la nappe au niveau de la plaine d'Amagha, la société civile de Goulmima a repris le flambeau de son vieux rêve : un barrage sur Oued Ghriss capable de retenir les eaux des crues. Selon Ali Ouidani, fondateur de l'association Arraw n'Ghriss, fer de lance de la contestation, ce genre d'ouvrage aura un effet vital sur la population des oasis. «D'un côté, nous ne perdrons pas l'eau des crues qui, sans barrage, se perd dans le désert. D'un autre côté, cela permettra aux oasiens de maintenir le mode d'agriculture vivrière, un frein contre l'exode rural», nous explique-t-il, en fin connaisseur des oasis de son oued natal. Véritable mémoire vivante de Goulmima, Ali Ouidani se rappelle du jour où il a déposé, de ses propres mains, un dossier de demande relatif à ce barrage à la primature, du temps de l'ancien Chef de gouvernement, Driss Jettou. Ce n'est là qu'une seule action parmi une multitude d'initiatives entreprises par la société civile de Goulmima, en vain jusqu'à présent. Des études qui remontent à 1969 Son explication nous renvoie à une réalité que les politiques publiques en termes de développement régional au Maroc semblent ignorer complètement. L'agriculture vivrière, si elle évolue de manière à faire revivre les activités d'agriculture, d'élevage et de commerce, surtout celui des dattes, est capable ressusciter les oasis de Tafilalet que les longues périodes de sécheresse ont vidées de leur population. Elément central de cet écosystème, le palmier-dattier jouait ce rôle de catalyseur de cette dynamique au sein de la palmeraie de Tafilalet, dont la superficie est estimée à 20 000 Ha, sur les 48 000 ha de palmeraies recensés au Maroc. Dans une étude intitulée «La durabilité du système oasien face à la détérioration des ressources en eaux souterraines : cas de la palmeraie de Tafilalet», publiée en 2017 dans la Revue marocaine des études agronomiques, on comprend mieux la spécificité d'Oued Ghriss et la nappe de Tafilalet. Cette dernière est alimentée principalement par l'effet de l'infiltration des eaux de surface, en l'occurrence les lâchers du barrage Hassan Addakhil sur Oued Ziz qui ne couvrent que 50% de la demande, des crues de Ghriss, ainsi de l'épandage des eaux d'irrigation. En d'autres termes, l'activité d'agriculture pratiquée par la population oasienne depuis des millénaires, si elle est alimentée par les puits et donc par la nappe, a, en contrepartie, contribué à réalimenter celle-ci. Tous ces éléments constituent en effet plus de 80% des apports de la recharge de la nappe citée, la pluviométrie demeurant assez faible dans la région et ne dépasse pas 100 mm par an seulement. D'autres sources qui faisaient jadis le bonheur de la population oasienne d'Oued Ghriss ont tari, comme Aghbalou n'Oumsed, située à l'entrée sud des gorges Takkat n'Oumsed sous l'imposante montagne Bourouh. Cette source, qui n'est d'ailleurs pas la seule dans cette zone, alimentait une séguia qui irriguait les champs des villages de Tahemdount et de Tighremt n'Igrane. Selon Ali Ouidani, Aghbalou n'Oumsed a, dans les années normales, un débit très important. En ce mois de mai 2022, il n'en reste que le canal, longeant Oued Ghriss, tout aussi tari dans cette zone. C'est près d'une autre source appelée Iyenzar n'Oufounass, située à moins d'un kilomètre en amont, que les études auraient identifié un environnement géologique à même d'abriter un barrage, selon des conditions optimales, après avoir écarté d'autres sites sur Oued Ghriss, dont un endroit situé près du village limitrophe Timazguite. Ce dernier site porte jusqu'à aujourd'hui les traces de travaux et de forages. Ces informations, provenant de l'association Arraw n'Ghriss, font état d'études préalables qui ont commencé aussi tôt qu'en 1969, quatre ans après les crues ravageuses de 1965 et qui ont poussé les autorités à construire le barrage Hassan Addakhil sur le Ziz, pour éviter aux populations oasiennes de Tafilalet de subir les mêmes dégâts dans le futur. Achevé en 1971, ce barrage devait être appuyé par un deuxième sur Oued Ghriss, un ouvrage qui n'a jamais été réalisé. Toutes les études réalisées depuis 1969 estiment qu'un barrage construit au site identifié pourrait mobiliser environ 120 millions de m3 annuellement. Avec une bonne pluviométrie, l'apport annuel moyen pourrait même monter jusqu'à plus de 200 millions de m3. Certaines sources parlent d'un débit maximal de 1813 m3/seconde, enregistré au milieu des années soixante. Une ancienne étude intitulée «Etude générale d'aménagement de la région du Rhéris et du bas Todgha», réalisée en 1969 par la Mission yougoslave d'études et de projets, sous l'égide du ministère de l'Agriculture, confirment plus ou moins les mêmes données. Entre tradition et modernité En amont, entre Amellagou, Amouguer et Assoul, on comprend mieux pourquoi on ne parle que des crues dans la vallée d'Oued Ghriss. Sur une trentaine de kilomètres, de très hautes falaises abruptes encerclent les villages en pisé, bâtis à flanc de coteau, les champs et le lit lui-même. Si le savoir-faire ancestral local en termes d'architecture et de paysage permet d'éviter le pire en cas d'inondations, les champs, situés sur les rives ne peuvent pas échapper aux catastrophes. Grâce aux sources, comme Harouil située près du village Oudeddi, et aux puits artisanaux creusés à même le lit, l'agriculture vivrière s'épanouit d'une telle manière que les champs de luzerne et de blé ainsi que les noyers, arrivent à maintenir plusieurs activités agricoles. Néanmoins, certains changements viennent perturber cet équilibre ancestral. À Assoul, les pommeraies, irriguées depuis longtemps grâce aux puits artisanaux, ont été asséchées à cause de la mise en place, en amont, de très larges pommeraies modernes irriguées au pompage solaire. Résultat, les pommeraies d'Assoul, appartenant aux villageois, ont péri. Les pommeraies modernes, appartenant généralement à des investisseurs privés, qui se sont multipliés au Maroc après le lancement du Plan Maroc Vert (PMV), n'ont cure des nappes et de l'agriculture vivrière. Une fois leurs projets hautement subventionnés sont rentabilisés, ils mettent le cap sur une autre vallée dont les puits sont moins taris. La filière du pommier est, tout de même, la deuxième dans la région du Drâa-Tafilalet, grâce à une production annuelle qui avoisine 400 000 tonnes. Dans les oasis de Ghriss et de Ziz, ces nouvelles exploitations encerclent l'agriculture vivrière et pompent de grandes quantités d'eau là où les paysans puisent de l'eau de manière artisanale pour irriguer leurs champs. On n'aurait pas fait plus si on avait souhaité les faire quitter leurs oasis ombragées ! 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