Contraints d'interrompre leurs cours sans savoir quand ils pourront les reprendre en Ukraine, les étudiants marocains ayant pu fuire le pays sont désormais dans le flou quant à leur avenir. Certains espèrent pouvoir poursuivre leur formation dans d'autres établissements étrangers. Après avoir pu fuire l'Ukraine en proie à l'invasion russe depuis le 24 février, plusieurs milliers d'étudiants marocains font face à un nouveau problème. Ils sont dans l'expectative quant à leur cursus universitaire, alors que certains devaient sortir diplômés dans quelques mois. Etudiante en quatrième année de pharmacie à l'Université de médecine de Luhansk à l'extrême sud-est de l'Ukraine, Soukaina confie à Yabiladi être toujours dans le flou. «J'ai quitté le pays le 15 février, parce que les autorités marocaines ont conseillé à ses ressortissants de le faire, mais j'ai gardé l'espoir que les choses allaient s'arranger. J'ai eu des facilités avec mon établissement, d'autant que nous étions habitués aux cours à distance, à cause de la situation épidémiologique dans la région. Mais depuis le début des frappes aériennes, avec mes camarades, nous nous interrogeons sérieusement sur notre avenir», a-t-elle déclaré. Etudier dans un pays en guerre Par ailleurs mère d'un enfant en bas âge, Soukaina dit enchaîner les nuits d'insomnie, plongée dans ses pensées sur le devenir de sa petite famille et de ses études. «Ma maman a mobilisé tous les moyens possibles pour être sûre que je ferai mes études dans de bonnes conditions ; mon mari m'aide considérablement pour que je n'aie pas à travailler et à étudier en même temps ; je suis à l'avant-dernière année de mon cursus et je ne veux pas céder à l'idée que dans la dernière ligne droite pour mon diplôme, je ne pourrais pas faire le métier dont j'ai rêvé et pour lequel mes proches m'ont soutenue moralement et financièrement depuis cinq ans», regrette-t-elle. Sur les réseaux sociaux, d'autres étudiants disent être entrés en dépression, au vu du nombre d'années passées en Ukraine sans arriver à clôturer le cursus, mais aussi en considération des sacrifices des parents. Dans le désarroi, des jeunes parmi eux cherchent à intégrer des établissements en Roumanie, par tous les moyens. Cependant, d'autres internautes ont mis en garde sur d'éventuelles tentatives d'arnaque à travers l'aide à la réinscrition, proposée à ce profil d'étudiants, de la part d'individus ou de structures privées. Ukraine : Les étudiants marocains entre le dilemme du rapatriement et la continuité de leur cursus Vendredi, Soukaina a reçu l'information de son université que les établissements supérieurs en Ukraine étaient en vacances pour deux semaines. Ils ont appelé les étudiants locaux et étrangers, durant cette période, à attendre de voir l'évolution de la situation, avant de prendre une décision au sujet de la continuité de leurs études dans le pays. A Rabat, l'ambassadrice d'Ukraine Oksana Vasylieva a annoncé dans un entretien au site Le360, dès jeudi, que tous les étudiants marocains pouvaient être réadmis pour continuer leurs études, à condition «que la guerre cesse». «Nous allons donc attendre pour au moins deux semaines, comme recommandé par les universités. Mais je ne suis pas sûre pas que les plus jeunes parmi nous, en début de cursus, ayant vécu le début de la guerre ou se trouvant encore là-bas dans l'espoir de sortir du territoire, acceperont de repartir pour la suite de leur cursus dans un pays qu'ils ont vu en guerre. Pour ma part, je trouverai dommage que cinq ans de vie et de dur labeur se terminent de la sorte», a commenté Soukaina. «Même si la guerre cesse, la reprise du cours normal des études ne pourra pas se faire du jour au lendemain. A peine huit jours que les frappes ont commencé, des villes sont déjà détruites. La région où j'habite garde encore des traces de ce qu'a laissé la guerre de 2014. Avec les stigmates de celle de 2022 qui s'y ajoutent, je pense que la question de la reconstruction fera partie des points déterminants.» Soukaina, étudiante en Ukraine «L'Egypte a déjà annoncé que les portes de ses universités publiques sont ouvertes à tous ses étudiants revenant d'Ukraine, et qui voudraient y continuer leur cursus. Ce sera une bonne chose si le Maroc va dans le même sens, surtout que nous manquons de personnel médical dans notre pays et que les revenants d'Ukraine sont plusieurs à être en dernières années de formation», indique-t-elle. Vendredi soir, le ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l'innovation, a justement annoncé dans un communiqué que son département allait mettre en place une plateforme web, afin de réceptionner les dossiers des étudiants revenus d'Ukraine. Cette première étape permettra de les comptabiliser et de leur trouver des solutions pour continuer leurs études selon leurs spécialités, dans les universités du pays. Des étudiants accueillis «à bras ouverts» à l'étranger Au sein de l'Association marocaine des lauréats des universités et instituts ex-soviétiques (AMLUIS), les membres tendent vers une telle proposition, entre autres options. Chargée des relations extérieures de l'organisation, Wafaa Daoui a déclaré à Yabiladi que «ce serait une initiative positive, si le ministère de l'Enseignement supérieur accepte de réintégrer les étudiants qui le souhaitent au sein de nos universités, sur la base d'un examen de compétences pour que leur processus de formation ne soit pas interrompu ou retardé». «Comme nous savons que beaucoup d'étudiants marocains en Ukraine sont dans des filières médicales, si nous n'anticipons pas nous allons perdre plusieurs milliers de futurs médecins et professionnels de santé.» Wafaa Daoui, AMLUIS Maroc : Les jeunes médecins songent de plus en plus à l'exil Dans ce sens, Wafaa Daoui alerte avec insistance sur «une nouvelle hémorragie des compétences marocaines, si le Maroc ne les réintègre pas rapidement». «Nous savons que beaucoup s'informent sur les inscriptions à l'étranger, car le plus important pour eux est de ne pas rater leur année, voire l'ensemble de leur cursus», indique-t-elle. «Une trentaine ont déjà intégré les universités en Pologne. En Allemagne, plusieurs ont été pris et ont bénéficié de propositions de formation équivalentes, qui intègrent l'apprentissage de la langue, car la politique du pays est de capitaliser à long terme sur une migration à forte valeur», ajoute-t-elle. Il ne s'agit pas pour autant de mesures prises dans le cadre du droit d'asile, mais de mesures exceptionnelles.