Abdelkrim El Khattabi n'était pas seulement un fin stratège en temps de guerre, qui a inspiré d'autres mouvements de libération, mais il était aussi un brillant négociateur. En témoigne, le processus ayant conduit à la libération en 1923 de 357 prisonniers espagnols qui étaient entre ses mains. La victoire des troupes de Abdelkrim El Khattabi lors de la bataille Anoual (21 juillet 1921) n'a pas fait que 10 000 morts dans les rangs de l'armée espagnole. Elle a aussi contribué à l'avènement d'un changement politique majeur à Madrid. Le 7 décembre 1922, soit 18 mois après la grande défaite, un exécutif libéral voit le jour, sous la présidence de García Prieto. Des ministres issus de la gauche figuraient, pour la première fois, sur la photo de famille d'un exécutif. Cette nouvelle donne allait grandement profiter au leader rifain sur l'autre front de guerre qu'il menait contre les Espagnoles, à savoir le sort d'environ 400 prisonniers espagnols qui étaient entre ses mains, dont le général Felipe Navarro. Les nouveaux responsables étaient décidés à emprunter sérieusement la voie du dialogue pour les récupérer, écartant définitivement l'option d'une action militaire défendue par les précédents cabinets conservateurs. Abdelkrim El Khattabi soutenait aussi cette voie, mais pas à n'importe quel prix. El Khattabi exige un négociateur civil Pour inciter l'opinion publique espagnole à réclamer le retour de ses soldats détenus chez l'«ennemi», El Khattabi a commencé à jouer la carte des prisonniers, quelques mois avant la formation du gouvernement libéral. Ainsi en août 1922, il autorisait le journaliste Luis Oteysa à se rendre à Ajdir, le siège de sa capitale administrative, et d'y rencontrer les prisonniers, notamment le général Navarro. Cette opération de communication s'est avérée concluante, grâce à l'interview qu'avait accordée le héros de la bataille d'Anoual à Oteysa, bien avant la couverture du magazine Time consacrée à El Khattabi en août 1925. Le terrain était ainsi balisé pour entamer les discussions sur les prisonniers, mais selon les conditions d'El Khattabi. Ainsi, il avait exigé un négociateur civil et non un militaire, comme avait souhaité le gouvernement à Madrid. Son choix s'est porté sur l'entrepreneur basque Horacio Echevarieta. Traditionnellement sur ces dossiers sensibles, les pourparlers ne sont pas un fleuve tranquille. Des «ingérences» se sont produites, menaçant tout le processus, racontait l'historien Javier Ramiro de la Mata dans un rapport intitulé «Les prisonniers espagnols captifs d'Abdelkrim : un héritage du désastre d'Anoual». L'une d'elle portait la marque de la France. Le leader rifain avait aussi entre ses mains des militaires français. Leur nombre allait ensuite augmenté après la défaite, en juillet 1925, avec des soldats du maréchal Lyautey lors de la bataille de Ouargha. Paris voulait, selon De la Mata, prendre part à la médiation en vue de s'approprier tous les bénéfices politiques et médiatiques, d'autant que le pape Paul XI suivait de très prêt le cours de cette affaire. Malgré ses obstacles de dernière minute, les négociations se sont conclues le 23 janvier 1923 avec la signature d'un accord portant sur le retour de tous les prisonniers espagnols, hommes, femmes et enfants, en échange du paiement de quatre millions de pesetas (environ 254 448 dirhams) à El Khattabi, une somme importante à l'époque, et 270 000 pesetas (environ 17 175 dirhams) entrant dans le cadre «d'aide au transport et diverses autres questions» ainsi que la libération de 40 combattants rifains incarcérés dans les prisons espagnols.