Depuis quelques années plusieurs affaires de spoliation immobilière ont atterri dans les tribunaux de la capitale économique. En cause, une «mafia» qui userait de documents falsifiés et de complicités à plusieurs niveaux pour prendre possession de terrains ou immeubles qui ont évidemment une valeur financière non négligeable. Pourtant, les affaires patinent au niveau du procureur général, au grand dam des familles de victimes qui commençent à perdre patience. Résumé de ces affaires dignes d'un grand feuilleton policier. Tout commence au début des années 2000. Une bande de criminels marocains sème la terreur dans le secteur de l'immobilier à Casablanca. Sa spécialité : la spoliation des biens immobiliers appartenant à des Marocains de confession juive mais également aux étrangers, notamment Français, Espagnols et Italiens n'habitant plus au royaume. Certains des biens spoliés appartiennent également à l'Etat marocain. «Cette bande est une véritable mafia qui a de l'argent et qui est hautement soutenue. Mais par qui et pourquoi ?, je ne peux pas vous répondre. Ce qui est sur c'est qu'en France, la justice en aurait déjà terminée avec ce genre d'affaire», lance l'une de nos sources suivant de près ces dossiers de spoliation et souhaitant rester anonyme. Cette bande criminelle est très bien organisée et est composée d'une dizaine de personnes : hommes d'affaire, médecins, avocats, fonctionnaires, conservateurs fonciers et faussaires. «Les avocats appartenant à cette bande vont voir les avocats de la partie adverse pour les acheter. Il y a aussi des conservateurs qui ferment les yeux sur des irrégularités administratives. Il faut qu'il y ait beaucoup de hauts responsables impliqués pour en arriver à ce stade !» lâche notre contact. Une justice marocaine à double vitesse Ce que notre source n'arrive pas à digérer dans ces affaires est que les autorités judiciaires marocaines connaissent l'identité de certains des membres de cette mafia et notamment les cerveaux, mais que ces derniers sont toujours en liberté, sans avoir écopé d'une peine de prison. Il dénonce là une justice à deux vitesses au royaume. «Si vous ouvrez n'importe quel journal marocain, vous pourrez lire des histoires comme cet homme affamé qui a volé récemment une banane et qui a pris un an de prison ou encore cet homme qui a volé il y a plusieurs années un mulet à Kénitra et qui a pris 8 ans de prison !», déplore-t-il. «Nous avons frappé à toutes les portes et à tous les niveaux, les plus hautes instances judiciaires du royaume sont au courant de ces affaires ainsi que le Sénat français ! Cependant, rien n'est fait pour arrêter ces criminels», poursuit-il. D'ailleurs notre source nous remet un rapport de police émanant du service de la police judiciaire de la préfecture de police de Casablanca, datant du 14 septembre 2010 et destiné au procureur du Roi au tribunal de première instance de Casablanca. Le policier qui a rédigé le rapport explique qu'il a enquêté dans une affaire d'usurpation d'identité de deux Français spoliés. Il n'hésite pas à donner le prénom et le nom d'un des cerveaux de la bande ainsi que son numéro de carte d'identité marocaine ! L'enquêteur l'accuse d'avoir falsifié des documents pour s'accaparer les biens de ces deux Français et souligne que la justice marocaine lui a même interdit de quitter le territoire marocain. Une interdiction qui s'est faite sans passer par la case prison. Incompréhensible. Des cachets de notaires volés C'est justement dans la falsification de documents officiels que la bande excelle redoutablement. Elle en a même fait sa marque de fabrique. Une fois que le bien à spolier est choisi et que les propriétaires sont identifiés, la bande passe à l'étape de la falsification des papiers administratifs avec la complicité de faussaires. Objectif : créer des personnes et des héritiers fictifs étrangers qui viendront réclamer le bien immobilier au Maroc. Tous les documents, les plus élémentaires sont falsifiés. Cela va des faux passeports, fausses cartes d'identité, fausses cartes de séjour, en passant par de faux titres fonciers aux faux actes notariés comportant parfois des cachets volés directement à des notaires à l'étranger ou des actes falsifiés comportant leur signature imitée. D'après notre source, plusieurs notaires en France se sont faits avoir par cette bande criminelle mais la plupart d'entre eux ne veulent pas porter plainte, de peur de représailles, précise notre source. Un seul notaire a osé porter plainte pour faux et usage. Entretenant désormais un mépris pour le Maroc, il est actuellement le client d'une avocate française qui défend également 6 autres familles lésées dans ces affaires de spoliation au Maroc. Après de nombreux allers-retours entre la France et le Maroc et de nombreux courriers envoyés au ministère marocain de la Justice, dont nous obtenons copie, l'avocate en question est démoralisée et fatiguée de voir que ces requêtes restent sans réponse. Ses clients ne demandent qu'une chose : récupérer leur bien spolié. «A ce jour, rien n'a encore abouti. Aucune audience n'a été prévue, les dossiers bloquent toujours au niveau du procureur général et le ministre de la Justice ne répond pas à mes courriers, sans me donner de raisons valables», regrette-t-elle. De son côté, Yabiladi a contacté à plusieurs reprises ces derniers jours le ministère de la Justice pour savoir ce que comptait faire le ministre, Mustapha Ramid pour arrêter les membres de cette bande, mais sans résultat. Les morts ressuscités comme par magie Au-delà de la gravité des actes criminels commis par cette bande, on ne peut rester insensible ou s'empêcher d'esquisser un sourire sur le côté absurde de certaines de ces falsifications, comme si la bande criminelle prenait un malin plaisir à narguer les autorités marocaines ou à se moquer de leur manque de réaction. Par exemple, dans l'une des affaires que suit notre source, les falsificateurs ont crée la fausse identité d'une femme héritière qui deviendra l'unique héritière de 5 différentes familles spoliées ! Dans d'autres cas, des cartes d'identité nationale falsifiées ont un nom et un prénom différents mais le numéro de la CIN ainsi que l'adresse et la date de naissance sont similaires ! A cela il faut ajouter diverses fautes d'orthographe dans les prénoms des personnes fictives créées ou des incohérences dans la couleur de leurs yeux sur des passeports falsifiés. Le meilleur reste certainement le pouvoir de cette mafia de faire ressusciter les morts comme par enchantement. Dans le compte-rendu de l'enquêteur de la police judiciaire de Casablanca, le policier raconte que le numéro deux de la bande fournit à la justice marocaine un faux contrat de vente d'une parcelle de terrain signé avec un Français en 2008-2009… alors que ce même Français est décédé en 2003 ! Ces spoliations atterissent au Sénat français Cependant, cela fait bien longtemps que l'avocate qui a accepté de nous parler ne rit plus. Elle a décidé de prendre le taureau par les cornes. Voyant que la justice marocaine ne réagissait pas à ses requêtes, elle a décidé d'écumer les recours judiciaires français et notamment de saisir le Sénat français. Elle a déjà rencontré un sénateur PS qui a été sensibilisé sur les dossiers des victimes qu'elle défend. Le sénateur a promis de mentionner ces affaires de spoliation en posant une question au gouvernement, à laquelle le ministre français des Affaires Etrangères ou de la Justice devra répondre. De son côté, notre source anonyme renchérit. Elle, promet d'envoyer ces dossiers de spoliations immobilières sur les bureaux des députés de la Commission Européenne pour mettre la pression sur le Maroc. Un joli caillou dans la godasse de la justice au Maroc, qu'il serait pourtant simple à enlever.