Après les révélations sur des faits de harcèlement sexuel dans plusieurs universités marocaines, des associations féministes sont montées au créneau pour se mettre du côté des plaignantes. Plus qu'une dénonciation sans lendemain, elles appellent au renforcement des peines et à la mise en place d'un système de prévention spécifique. Après le scandale sexuel dans le milieu universitaire de Settat et la comparution d'enseignants devant le tribunal de la ville, les révélations à l'Ecole nationale du commerce et de gestion (ENCG) à Oujda puis à l'Ecole supérieure roi Fahd de la traduction à Tanger ont fait sortir les organisations féministes de leurs gonds. S'il ne date pas d'hier, le phénomène de harcèlement dans les établissement supérieurs est désormais amplifié par les outils technologiques, qui servent de moyen d'intrusion pour atteindre plus rapidement les étudiantes victimes, ce qui multiplie les conséquences au niveau psychique comme au niveau du parcours éducatif. Nombre de ces usages dénoncés dans les témoignages anonymes à travers les groupes d'étudiants, sur les réseaux sociaux, montrent principalement des échanges de messages, des appels téléphoniques répétés ou des notes vocales attribuées aux enseignants mis en cause. C'est pour cette raison qu'après les révélations des deux derniers jours à l'ENCG-Oujda, la présidence de l'Université Mohammed Ier a rendu public sur ses réseaux sociaux un numéro de téléphone et une adresse électronique pour recueillir les plaintes des étudiantes, dans cet établissement ou dans tout institut relevant de sa direction. Ces nouveaux usages se sont ainsi greffés à l'ancien phénomène de harcèlement sexuel déjà connu à l'université, comme l'indique à Yabiladi Bouchra Abdou, directrice générale de l'Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté (ATEC). «Nous savons toutes et tous que le harcèlement existe depuis très longtemps dans nos universités, mais il était passé sous silence plus qu'aujourd'hui. Les victimes avaient plus peur de sortir au grand jour, au risque que leurs témoignages ne se retournent contre elles, faute de preuves matérielles et par peur de se faire virer de leurs établissements», explique la militante. L'outil numérique est alors devenu «une arme à double tranchant», selon elle. «Il est désormais un moyen d'atteindre et d'isoler les victimes encore plus rapidement, mais il constitue en même temps un moyen important pour conserver les preuves du harcèlement allégué et permettre la traçabilité de tous le mécanisme mis en place par l'agresseur, un professeur dans le cas présent», a-t-elle souligné. Une violence numérique qui se retourne contre les agresseurs Il y a un an, l'ATEC a souligné la recrudescence du phénomène de la violence numérique au Maroc dans un contexte global. Selon la directrice générale de l'association, les récentes révélations montrent que le milieu universitaire n'y échappe pas. «Avec la numérisation qui est de plus en plus d'usage dans les universités, principalement pour des considérations pédagogiques et d'apprentissage, les prédateurs parmi les enseignants ont un accès plus facile aux coordonnées de leurs étudiantes. A partir de groupes WhatsApp et de mailing-list qui se créent pour faciliter l'interaction autour des cours ou d'activités para-universitaires, des numéros de téléphone peuvent être sélectionnés pour créer des conversations individuelles et séparées de la dynamique académique. C'est là que les victimes commencent à subir les pires sévices», explique-t-elle. «Il y a encore une grande omerta qui entoure le phénomène dans l'enseignement supérieur, mais il est important et salutaire que des étudiantes arrivent à le briser en constituant des preuves pour appuyer leurs témoignages. Cela peut commencer du simple texto aux vidéos pornographiques, en passant par les conversations téléphonique, comme nous l'avons vu récemment.» Bouchra Abdou En réponse à l'évolution du phénomène, Bouchra Abdou appelle à «une évolution de traitement au niveau judiciaire, avec le renforcement des peines envers les professeurs mis en cause puisqu'ils usent de leur pouvoir d'autorité et de leur ascendant sur les étudiantes et considérant que l'outil numérique permet aux enseignants harceleurs de ne plus se limiter uniquement à la salle de cour pour atteindre leurs victimes ; ils peuvent les contacter à tout moment, où qu'elles soient, gêner leur tranquillité même quand elles sont chez-elles ou tard le soir, ce qui doit être pris en compte comme une circonstance aggravante». Harcèlement sexuel : Les étudiantes de l'ENCG Oujda dénoncent le chantage d'un professeur Ce jeudi, l'ATEC a réagi également à travers un communiqué, soulignant que ces révélations pourraient donner lieu à de nouveaux témoignages qui révéleraient de nouvelles affaires, dans différentes universités. «Ceci rappelle le douloureux épisode du suicide d'une étudiante à Agadir en 2009 déjà, sous les pressions et le harcèlement répété de son professeur, et questionne une nouvelle fois la dignité des femmes qui croule sous ce tabou», a dénoncé l'ONG. Pour l'association, il est aussi «question de la sacralité du milieu universitaire tant prônée et qui ne peut être conservée sans la protection des droits des femmes». Usant de ce même outil qui permet d'isoler les victimes et de constituer des éléments de preuve à la fois, la Fédération des ligues des droits des femmes (FLDF) a pour sa part annoncé, le 30 décembre, le renforcement de sa campagne numérique pour «dénoncer toutes les formes de violence à l'égard des femmes», à travers le hashtag #Hta_ana_baraka_harcèlement_université. Elle a également annoncé sa «disponibilité à accueillir toutes les victimes de harcèlement sexuel dans les universités», ainsi que «le lancement d'une plateforme numérique pour fournir des services d'écoute, de soutien psychologique, d'accompagnement et d'orientation juridique pour les victimes». Dans ce sens, elle a invité «tous les acteurs de la société civile et toutes les étudiantes victimes à interagir». De son côté et au vu du nombre de témoignages qui se multiplient sur les réseaux sociaux, le Collectif Hors-la-loi a aussi lancé un hashtag (#MetooUniv) pour dénoncer le harcèlement dans le milieu universitaire et recueillir les propos des victimes ou des témoins, d'autant que depuis les premières révélations mettant en cause un professeur à l'ENCG-Oujda, le mouvement a indiqué que les victimes du même enseignant sont nombreuses à se manifester. La rupture de l'omerta a permis d'exhumer des faits de harcèlement, dont des étudiantes-médecins ont indiqué avoir été victimes dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU). Maroc : De plus en plus de femmes sont victimes de violence numérique Des mécanismes juridiques à renforcer L'Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) a également réagi ce jeudi, en dénonçant les faits dont les étudiantes ont dit être victimes et en exprimant sa solidarité avec ces dernières, tout appelant à «des sanctions exemplaires à l'encontre des auteurs». Pour l'ONG, «ces actes qui portent atteinte à la dignité des femmes et violent leur droit à la sécurité, sont l'expression des nombreux dysfonctionnements juridiques et institutionnels qui permettent souvent aux auteurs de violence d'échapper aux sanctions ou d'avoir une sanction symbolique dans les cas d'abus de pouvoir». Cette situation renforce également «la banalisation de la violence à l'égard des femmes comme nous le révèlent les taux inquiétants de prévalence de la violence livrés par le HCP en 2019», a rappelé l'organisation. Par la même occasion, l'ADFM a appelé à «l'harmonisation de la loi 103.13 [contre les violences faites aux femmes, ndlr] avec les engagements internationaux du Maroc», pour opérationnaliser le principe de la diligence, de la prévention, de la protection et de la prise en charge des victimes ainsi que la pénalisation des agresseurs. Ces nouvelles révélations rappellent aussi l'importance de la «ratification de la convention n° 190 de l'Organisation internationale du travail (OIT) relative à l'élimination de la violence et du harcèlement dans le monde professionnel», a souligné l'organisation. Dans les universités, l'organisation insiste sur la mise en place d'une «politique de lutte contre le harcèlement sexuel ainsi que des mécanismes de recours et des dispositifs de prévention, d'orientation et d'accompagnement des victimes», en plus de «l'élaboration d'une stratégie d'information et de sensibilisation adaptée aux intervenants et usagers des différents secteurs».