Des dizaines d'étudiantes et d'étudiants de l'Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) à Oujda ont manifesté, ce mardi matin, en dénonçant les usages d'un enseignant qu'ils tiennent responsables de harcèlements sexuels répétés. L'Ecole nationale de commerce et de gestion (ENCG) à Oujda a été secouée par des révélations sur des faits de harcèlement sexuel, dont plusieurs étudiantes auraient été victimes de la part d'un enseignant. Les faits ont été révélés dans une lettre anonyme, où son auteure qui dit avoir été victime, tellement impactée par ce qui lui est arrivé qu'elle a fini par quitter l'institut avant la fin de son cursus. Selon cette étudiante, elle n'est pas la seule à avoir subi cette forme de violence. Dans les échanges rendus publics, le mis en cause aurait explicitement demandé à la concernée de répondre à des faveurs sexuelles, lui reprochant ses réticences alors qu'elle aurait fait pareil par le passé, selon lui. Ce mardi, plusieurs étudiants ont manifesté, appelant l'administration à faire toute la lumière sur l'affaire. C'est la goutte qui a fait déborder le vase après la médiatisation de nombreuses affaires similaires dans différentes universités, ce qui a poussé notamment des députés à formuler des questions orales à ce sujet. Ce mardi également, la parlementaire Najwa Koukouss (Parti authenticité et modernité) a adressé deux questions au ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l'innovation, au sujet du «phénomène du chantage sexuel en échange des notes», ainsi que de «la stratégie du département pour protéger les étudiantes du chantage et du harcèlement sexuel» dans le milieu universitaire. La veille, l'Association des étudiants de l'ENCG-Oujda et l'ENCGO-Alumni ont confirmé avoir pris connaissance des faits. Dans un communiqué conjoint, elles ont appelé à «enquêter en urgence sur les faits relatés dans le courrier» et «prendre les sanctions fermes et nécessaires à l'égard de toute personne dont l'implication est avérée». Les deux représentations estudiantines ont par ailleurs appelé les étudiants à la mobilisation et à rester en éveil, tout en se réservant le droit d'observer «toutes les formes de contestation pour protéger la dignité des étudiants, des lauréats et des professeurs». Appelée à réagir, la direction de l'ENCG à Oujda a indiqué qu'au niveau de l'université, une plateforme est en cours de mise en place pour que les étudiants puissent faire part de leurs doléances. L'Université Mohammed Ier s'est saisie de l'affaire, exprimant son refus et sa dénonciation de «tout ce qui porte atteinte à la dignité des étudiantes, si les faits sont avérés». Dans un communiqué, la présidence de l'université a dit être «consciente de la dangerosité du cas» présent, ajoutant «fournir tous les efforts pour préserver les droit de toute étudiante à même de garantir des conditions saines pour son enseignement». Ainsi, la présidence a annoncé la création d'un comité d'écoute, constitué d'enseignantes spécialisées et d'une médecin psychiatre. Elle a également indiqué «œuvrer pour apporter l'assistance et l'accompagnement juridique en cas de besoin», ainsi que la mise en place d'une ligne téléphonique verte pour permettre à tous de communiquer et de signaler des cas similaires». Une adresse électronique est également mise à la disposition des étudiantes pour recueillir leurs plaintes. Un système rodé et mis en place depuis plusieurs années Avec la publication du courrier anonyme, l'enseignant mis en cause a réfuté les allégations, mais les langues ont commencé à se délier. Les victimes seraient aussi parmi des diplômées de l'ENCG-Oujda. C'est le cas d'Amal (nom d'emprunt), une lauréate contactée par Yabiladi, et qui a confié avoir revécu le douloureux épisode de son harcèlement avec les nouvelles révélations. «J'ai reconnu exactement son style, sa façon d'écrire et d'appréhender ses victimes dans les captures d'écran qui ont circulé ; je peux dire à 100% que c'est la même personne à qui j'ai eu affaire et je comprends parfaitement ce que ressent l'auteure du courrier», nous a-t-elle déclaré. Quatre ans et demi après l'obtention de son diplôme, l'ancienne étudiante se rappelle de toutes les étapes d'évolution du harcèlement qu'elle dit avoir subi. «J'étais à ma dernière année, mais j'avais une matière de rattrapage depuis ma troisième année. Vu l'emploi du temps, je ne pouvais pas assister aux cours de cette matière-là. Je ne me présentais donc que pour les examens et cet enseignant-là m'a remarquée. Il m'a demandé pourquoi je n'assistais pas aux cours et m'a proposé de m'aider en m'expliquant quelques chapitres pendant ses heures libres, de préférence dans un lieu calme, voire à Nador, ville d'où il est originaire.» Hésitante dès le départ face à une «sympathie débordante», elle refuse en prétextant un emploi du temps trop chargé avec ses préparations de dernière année. «Il m'a alors pris mon téléphone des mains et m'a fait écrire un mail où je lui demanderais s'il serait libre pour que je puisse le rencontrer et qu'il m'explique les axes de marketing approfondi en S6. Il s'est envoyé le mail à son adresse et y a tenu en me disant que si je n'écrivais pas, il ne se rappellerait pas de notre échange. J'ai compris ensuite qu'il voulait en faire une preuve contre moi, si jamais je me plaignais plus tard», dénonce-t-elle. Consulté par Yabiladi, le courriel semble bien avoir été envoyé de l'adresse de l'étudiante, qui nous a confié tenter désormais de récupérer tous les enregistrements vocaux et les anciens messages qu'elle recevait du professeur. La diplômée raconte également plusieurs détails sur les étapes de ce harcèlement, où l'enseignant se serait montré «tantôt aimable, tantôt très agressif, tenant souvent un langage à double-sens pour accuser les étudiantes de mal interpréter ses propos». «En plein jour de ramadan, il lui est déjà arrivé de me demander de le rejoindre et de satisfaire ses demandes à caractère sexuel, alors que mon seul objectif à ce moment-là était mon diplôme, à l'approche de la fin d'année. J'ai piqué une crise de colère, j'ai pleuré et ai tout cassé devant moi.» Grâce à l'intervention de son encadrant de projet de fin d'étude et à une deuxième enseignante à qui elle s'est confiée, elle a réussi à valider son semestre pour ne pas refaire l'année entière. En 2020, elle prend l'initiative de recontacter le concerné. «C'était justement un jour de ramadan et trois ans après les faits, j'ai ressenti énormément de douleur et de peine en ayant une nouvelle fois en tête le souvenir de ce jour de ramadan où il m'a fait des propositions obscènes jusqu'à me pousser à perdre le contrôle de mes émotions. Je l'ai recontacté donc via Facebook, simplement pour lui dire que je m'en rappellerai bien et que je ne le lui pardonnerai jamais», nous a-t-elle confié. Depuis, les témoignages entre étudiants circulent abondamment au sein de l'établissement comme sur les réseaux sociaux. Sur un groupe constitué majoritairement de diplômés et d'étudiants de l'ENCG à Oujda, les anciens messages échangés par le professeur avec plusieurs étudiantes sont désormais rendus publics. Article modifié le 2021/12/28 à 17h30