Des enquêteurs de l'Inspection générale du pouvoir judiciaire du CSPJ se sont rendus il y a quelques jours au tribunal civil de Casablanca pour enquêter sur de nombreux dysfonctionnements. Si les faits sont établis, une procédure disciplinaire pourrait prendre jusqu'à 4 mois. Détails. En mars 2020, Yabiladi révélait, dans une enquête sur l'industrialisation des dévisions de justice, prenant la forme d'une privatisation du tribunal civil de première instance de Casablanca, avec plusieurs milliers de dossiers de recouvrement jugés de manière expéditive dès la première audience, à l'insu des consommateurs et de leur défense. Depuis, le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire (CSPJ) s'est penché sur le problème. Il y a quelques jours, des enquêteurs de l'Inspection générale du pouvoir judiciaire (IGPJ) se sont rendus sur place pour enquêter sur des dysfonctionnements et des vices ayant entaché des jugements rendus par ledit tribunal. Des enquêtes qui concernent principalement des jugements rendus en faveur de compagnies d'assurance, de banques, de sociétés de crédits et d'opérateurs télécom. Dans son édition de ce mercredi, le journal Assabah indique que ces enquêtes s'achèveront en fin de semaine, le rapport sera ensuite remis au CSPJ. Le quotidien ajoute que les investigations concernent 4 juges (comme nous l'avions révélé sur Yabiladi) et mentionnent des avocats qui s'accaparent ce type de dossiers. Des sources évoquent des «signatures différentes de jugements rendus parfois par le même juge» tandis que la «manière de rédiger certains verdicts» serait passée au crible. Scandale au tribunal de Casablanca : Les avocats, les juges et les entreprises Une première source bien informée, contactée par Yabiladi, a confirmé les investigations menées par l'IGPJ, les mettant en lien à l'affaire Mahkama Gate. Une deuxième source, ayant également requis l'anonymat a rappelé toutefois que l'IGPJ jouit d'une certaine indépendance du CSPJ, auquel elle doit soumettre ses rapports d'inspection. Du côté des avocats, plusieurs ont déclaré à Yabiladi ne pas être au courant de cette inspection et à leur tête le bâtonnier du barreau de Casablanca. «Nous ne sommes pas au courant et personne ne nous a saisi», nous explique Maître Taher Mouafak. Le bâtonnier rappelle que même «lorsqu'un avocat est mandaté pour défendre une personne morale et physique, le barreau n'est pas informé». «Si les investigations sont menées par l'IGPJ, elles ne concernent actuellement que les juges», conclut-il. Pourtant, un avocat du même barreau a confirmé, à Yabiladi, que l'inspection menée par l'instance fait déjà du bruit au sein des tribunaux casablancais. «Ce n'est pas la première fois qu'une inspection est mandatée pour certaines affaires ou pour des dysfonctionnements au sein du tribunal civil» de la ville, nous confie-t-il, déplorant toutefois l'absence de «décisions prises» à l'égard de certains juges qui sembleraient être «protégés et intouchables». Pourquoi maintenant ? Le lancement des enquêtes par l'Inspection générale du pouvoir judiciaire intervient à un moment particulier. En mars 2021, le roi Mohammed VI a promu Mohamed Abdennabaoui en tant que Premier président de la Cour de cassation, président délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Il occupait avant cela la fonction de procureur général du roi près la Cour de Cassation, président du ministère public. Il intervient aussi deux mois après l'entrée en vigueur, en octobre dernier, de la loi n°38.21 relative à l'inspection générale des affaires judiciaires, publiée au Bulletin officiel n°7009 du 2 août 2021. Ce texte fixe la composition de l'IGPJ, ses prérogatives et ses réglementations. D'ailleurs, ce texte énonce, dans son article 12, qu'un «programme annuel» est mis en place, avant la fin de chaque année, pour définir les tribunaux faisant l'objet d'une inspection pour l'année prochaine, ce qui expliquerait en partie le retard entre l'éclatement de l'affaire et le début des investigations. Le même texte explique aussi que les inspecteurs de l'IGPJ soumettent leur rapport d'inspection aux responsables judiciaires du tribunal inspecté, en l'occurrence son président, qui dispose de 30 jours pour émettre des explications justifiées avant de remettre le rapport final à l'Inspecteur général. Ledit rapport est ensuite soumis par celui-ci au Président-délégué qui le présente devant le CSPJ. Enquête sur l'industrialisation de la justice et la privatisation du tribunal de Casablanca En effet, selon l'article 85 de la Loi organique n°100-13 relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, ce dernier est «compétent pour statuer sur les manquements susceptibles d'être imputés au magistrat». L'article 87 du même texte explique qu'une «poursuite disciplinaire ne peut avoir lieu qu'après qu'il ait été procédé aux enquêtes et investigations nécessaire». Deux cas de figure Deux cas de figures sont prévus. Ainsi, le Président-délégué soumet les résultats des investigations et enquêtes réalisées au conseil qui décide, en conséquence, soit le classement, soit la désignation d'un magistrat rapporteur, qui doit auditionner le(s) magistrat(s) concerné(s) et établir un rapport. C'est sur la base de ce dernier que le Conseil décidera le classement de l'affaire ou le déferrement du magistrat concerné devant le conseil pour statuer sur son cas. Au final, une procédure disciplinaire peut prendre jusqu'à 4 mois, à compter de la date de notification de la décision de déferrement au magistrat concerné, bien que le conseil peut, par décision motivée, prolonger ce délai une seule fois et pour la même durée. Retrouvez tous les articles du #MahkamaGate