Les principes et outils du nouveau management public, dont la gestion déléguée, ne «peuvent être appliqués et admis dans le secteur public qu'en présence de plusieurs conditions», qui ne sont généralement pas instaurer en amont, selon une nouvelle étude, qui appelle à «repenser la gestion de la chose publique». En septembre dernier, le ministère de l'Intérieur a annoncé le lancement d'un processus de réforme du système actuel de gestion de la distribution d'électricité, d'eau potable ainsi que de l'assainissement liquide. Le département espère mettre en place un nouveau système avec des Sociétés régionales multiservices (SRM) et publiques. Dans cette configuration, les régies publiques ainsi que les délégataires privés seront ainsi remplacés par ces SRM, rompant notamment avec la gestion déléguée qui a vu le jour au royaume en 1997. Après un quart de siècles, l'ancien système a ainsi montré ses limites. Car, hormis le fait que la configuration varie d'une ville ou région à l'autre, le recours aux délégataires ne permet pas l'optimisation de la dépense publique tant voulue par l'Etat, selon une récente étude. Intitulée «La collecte des déchets ménagers entre optimisation de la dépense publique et surcoût» et élaborée par la Faculté polydisciplinaire de Beni Mellal de l'Université Sultan Moulay Slimane, elle évalue ainsi «la pertinence du recours à la gestion déléguée dans le secteur de distribution de l'eau, de l'électricité et de l'assainissement liquide, avant de s'étendre à d'autres secteurs dont la collecte des déchets ménagers». «L'équilibre financier» Elle rappelle que le recours à ce mode de gestion de la chose publique s'inscrit dans le cadre du «Nouveau Management Public, un style de management qui consiste à introduire les principes et outils du secteur privé dans les administrations et établissements du secteur public». Une «sorte de désengagement de l'Etat quant à son rôle légitime de 'fournisseur' du service public au profit du secteur privé», affirme son auteur, l'enseignant-chercheur Tarik Rezzouq. Qualitative d'approche et de nature prospective et expérimentale, l'étude est basée surtout sur les résultats des entretiens directifs et semi-directifs menés avec plusieurs parties prenantes publiques et privées. Son rédacteur a ainsi étudié des indicateurs de mesure, découlant de cinq dimensions du service (économique, sociale, environnementale, politique et de gouvernance). Dans son enquête concentrée sur la vile de Kénitra, l'enseignant-chercheur pointe notamment le recours par l'Etat à une rémunération du délégataire (forfait) et la révision des prix, qui ne «garantissent pas l'équilibre financier escompté». De plus, il évoque notamment le transfert du personnel communal au délégataire, qui engendre des coûts, tout comme le «sérieux problème de maitrise des coûts, à cause de la nature du service même, en plus de l'instabilité de plusieurs variables importantes (prix du carburant, extension urbaine, grèves…)» par le délégataire ainsi que le recours aux intérêts moratoires, assez fréquent dans le secteur de gestion des déchets et les effets négatifs de ce retard de paiement. «Repenser la gestion de la chose publique» Pour l'étude, «le Maroc s'est inscrit, à travers la gestion déléguée, dans une logique qui stipule que l'Etat moderne doit éviter d'investir dans tous les secteurs et gérer les détails, et focaliser plutôt ses actions sur ses fonctions majeures : la souveraineté et la régulation. «Ainsi, il se libère des activités que le secteur privé est en mesure de gérer mieux, sans qu'il ait un retrait définitif de l'Etat» explique-t-elle encore. Cependant, «cette coalition entre les deux secteurs dans le but d'offrir un service public de qualité et à moindre coût, n'est pas facile à concevoir ni à mettre en place», précise-t-elle, en évoquant dans ce sens «de nombreux manquements et dysfonctionnements organisationnels, juridiques et socioculturels». L'étude déduit ainsi que «les principes et outils du Nouveau Management Public, dont la gestion déléguée, ne peuvent être appliqués et admis dans le secteur public qu'en présence de plusieurs conditions qu'il faut instaurer en amont, afin de minimiser le risque de surcoût et optimiser la dépense publique allouée au service concerné». De plus, «les problèmes de gestion déléguée aujourd'hui au Maroc datent de plusieurs années, avant même le premier contrat de tel genre signé en 1997, et sont d'ordre structurel et politique, et sont surtout liés au vide juridique ayant marqué ce recours pendant 9 ans». Bien que l'auteur estime que «les résultats de cette réflexion sont spécifiques à la ville de Kenitra et au secteur de collecte des déchets ménagers», il note toutefois que «le recours à la gestion déléguée au Maroc est loin de favoriser la dépense publique allouée au service étudié, mais au contraire, il favorise le surcoût sur les différentes dimensions du service». «Ainsi, il y a lieu de repenser la gestion de la chose publique en général, notamment à travers des recherches qui peuvent s'intéresser aux défaillances des marchés publics, aux éventuels apports des Sociétés de Développement Locales (SDL), à la remunicipalisation...», conclut-il.