A travers son ambassadeur à Paris, le Maroc a saisi la justice française en portant plainte pour diffamation contre le journal L'Humanité, auprès du tribunal correctionnel de Paris. Par le biais de l'avocat Olivier Baratelli, le royaume a demandé des dommages et intérêts pour les préjudices subis. Depuis le 24 septembre dernier, le journal L'Humanité fait l'objet d'une plainte pour diffamation, déposée par le Maroc à travers son ambassade à Paris. Dans l'objet de la demande consultée par Yabiladi, le royaume sollicite de juger «diffamatoires» les propos «publiés le 30 juillet 2021 par le quotidien L'Humanité dans son édition n°23237» sous le titre «Cybersurveillance. Au Maroc, les yeux du pouvoir et les profils européens». Il s'agit d'un article rédigé par la journaliste Rosa Moussaoui et publié dans le cadre des révélations sur l'affaire Pegasus. Faisant référence à l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881, la plainte demande à ce que Patrick le Hyaric, directeur de la publication du quotidien français, soit jugé comme «auteur principal du délit de diffamation publique envers un particulier commis au préjudice du Royaume du Maroc». Par ailleurs, «la Société nouvelle du journal l'Humanité sera déclarée civilement responsable». La citation directe qualifie les éléments publiés dans l'article incriminé de «reprise hâtive de fake news» qui nécessite sanctions et «réparation du préjudice subi dans les termes du dispositif». La plainte a demandé aussi de faire application au directeur de publication de la loi pénale «conformément aux réquisitions du ministère public», de «le condamner à verser un euro symbolique à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi», en plus du versement d'«une somme de 10 000 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale». Rappelant le contexte de la publication litigieuse, la partie civile a indiqué que la société NSO Group Technologies était une entreprise israélienne informatique, développeuse du logiciel Pegasus qui permet de surveiller les smartphones, «dans un cadre de lutte contre des réseaux criminels ou terroristes». Un rapport d'analyse «au demeurant très contestable» «Le 18 juillet 2021, un consortium de médias rassemblé autour de la plateforme Forbidden Stories a entendu dénoncer des faits de surveillance par différents Etats à l'encontre de plusieurs personnalités publiques nationales et étrangères, en particulier des journalistes et des responsables d'organisations internationales», a encore rappelé la citation. Cette dernière qualifie par ailleurs le rapport de Security Lab de «très contestable» en tant que référence pour le consortium et Amnesty International. Il «se présente en réalité sous la forme d'un long article décrivant de manière péremptoire des dates et procédés supposés de compromission», ajoute-t-on. Dans ce sens, l'article publié le 30 juillet par L'Humanité a été pointé du doigt par la partie plaignante, qui y voit «de graves imputations diffamatoires à l'encontre des services de sécurité marocains, justifiant la présente poursuite initiée par le Royaume du Maroc». Les 19 et 20 juillet dernier, le pays a démenti les allégations sur son utilisation du logiciel. Il «a fait délivrer deux citations directes en diffamation devant le Tribunal judiciaire des créances à l'encontre de Forbidden Stories et Amnesty International France», a rappelé la citation. Dans le cadre des mêmes révélations, le Maroc a porté plainte contre plusieurs médias européens membres du consortium, notamment le journal Le Monde, Radio France, Mediapart, le journal allemand Süddeutsche Zeitung, en plus de l'association Amnesty International. En juillet dernier, l'ambassadeur du Maroc en France a démenti tout espionnage du président français. «Le Maroc n'a pas espionné le président Emmanuel Macron. Il n'a pas non plus espionné l'ancien Premier ministre ou des membres du gouvernement. D'ailleurs, aucun élément ne corrobore cela», a confié Chakib Benmoussa au Journal du Dimanche (JDD). Par la même occasion, le diplomate a renouvelé le démenti du Maroc sur son acquisition de Pegasus. L'été dernier, 17 rédactions internationales, avec la coordination de Forbidden Stories, ont mis en cause l'utilisation de Pegasus à l'encontre d'opposants, de responsables politiques, de journalistes, d'avocats et de militants de droits humains par certains pays, dont le Maroc. En conséquence, des journalistes et des directeurs de journaux ayant potentiellement été surveillés ont porté plainte, notamment Edwy Plenel à la tête de Médiapart et Dominique Simonnot du Canard Enchaîné, aujourd'hui contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, ou encore le journaliste espagnol Ignacio Cembrero. Par ailleurs, une plainte collective et été lancée par Reporters sans frontières, regroupant 17 journalistes. Le Syndicat national des journalistes et Rosa Moussaoui et L'Humanité se sont également portés parties civiles. Les propos du journal L'Humanité poursuivis pour caractère diffamatoire Sont poursuivis au titre de la citation, les propos publiés le 30 juillet 2021 dans l'édition n°23237, dans l'article «Cybersurveillance. Au Maroc, les yeux du pouvoir et les profils européens» : «Les révélations de Forbidden stories, d'Amnesty International et d'un consortium de 17 médias internationaux sur le système d'espionnage mondial développé par la société israélienne NSO ont mis en lumière, s'agissant du Maroc, le recours à des technologies très sophistiquées de cybersurveillance, par-delà les frontières (…) Le pouvoir et sa police ont investi ce terrain stratégique voilà bientôt deux décennies (…) se souvient Aboubakr Jamaï, fondateur du Journal (…) cible dans son exil français du logiciel espion Pegasus (…). Tout en se familiarisant avec l'usage des spywares (logiciels malveillants), le pouvoir marocain multipliait les coups de butoir contre la presse indépendante. Le journaliste Ali Lmrabet, dont le téléphone espagnol a été ciblé par le logiciel espion israélien (…) Les entreprises étrangères impliquées ont engrangé, au fil de ces dérives, de confortables profits. Au service de Sa Majesté, et de son obsession : semer la peur pour régner sans partage».