Après cinq ans de vie en situation administrative irrégulière en Espagne, la Marocaine Hassania Bouamama a réussi à s'imposer dans le domaine des transports internationaux. Elle déconstruit à son échelle les stéréotypes sur certaines professions et leur représentation comme étant l'apanage des hommes. Conduire de gros camions sur de longues distances est souvent considéré comme un travail d'hommes. Mais à 43 ans, la Marocaine Hassania Bouamama qui vit en Espagne déconstruit cette idée reçue, prouvant à travers sa propre expérience que les femmes sont capables de relever les défis et exceller dans ce domaine, au même titre que leurs collègues masculins. Mais elle reconnaît que ce parcours n'a pas été des plus simples. «Ceux qui disent que les femmes recherchent toujours un travail facile se trompent», confie-t-elle à Yabiladi. Hassania est née dans la ville orientale de Laâyoune près d'Oujda. A l'âge de six ans, elle s'est installé cette fois-ci à Laâyoune dans le sud du Maroc. C'est là-bas qu'elle a suivi sa scolarité jusqu'au baccalauréat, pour évoluer ensuite dans des études en informatique. Le rêve d'étudier à l'étranger la hantait dès son plus jeune âge, mais elle n'a pas pu le réaliser. En 2000, elle décide de quitter le pays pour rallier l'autre côté de la Méditerranée. En Espagne, elle est restée sans-papiers pendant cinq ans. De sans-papiers à aide conductrice Malgré le temps qui passe, Hassania se rappelle toujours de ces cinq années qui ont été «les jours les plus difficiles de [sa] vie». «Après un an et demi à Murcie, je me suis tournée vers une université pour continuer mes études, mais je n'ai pas été acceptée, en raison de ma situation administrative irrégulière. J'ai travaillé alors dans une pizzeria, dans l'agriculture et dans bien d'autres secteurs», se souvient-elle. «J'ai subi l'exploitation la plupart du temps, faute d'un titre de séjour légal et aussi parce que j'étais une fille seule dans un pays étranger. Je travaillais pour des salaires dérisoires par rapport à d'autres personnes en situation régulière. Le harcèlement n'en finissait pas, mais j'ai réussi à affronter cette situation.» Hassania Bouamama Confrontée à des difficultés financières, Hassania vivait dans une petite chambre. Quelques fois, sa famille devait même lui envoyer de l'argent depuis le Maroc. A son déménagement à Tarragone, elle a commencé à travailler comme femme de ménage chez une famille espagnole. Mais en 2005, Hassania voit ses souffrances récompenser avec sa régularisation. Trois ans plus tard, elle s'est mariée à un ressortissant espagnol et a entamé une carrière qu'elle n'avait jamais envisagée. Sur la route, elle a souvent accompagné son époux, propriétaire d'un camion pour le transport international de marchandises. Admirative de aventures de son conjoint, elle a décidé de se lancer elle-même dans l'expérience. Pour cela, elle a réussi à obtenir un certificat de compétence professionnelle pour le transport national et international en 2010, ce qui lui a permis de créer sa propre entreprise. «Au début, j'ai commencé à travailler avec mon mari et maintenant je possède mon propre camion. En travaillant avec mon époux comme assistante, je n'avais pas le droit de conduire parce que je n'avais pas de permis, mais je l'aidais à changer les roues, à faire l'entretien, du véhicule et je l'accompagnais à chaque voyage d'affaires, d'un pays à l'autre.» Hassania Bouamama Une conductrice qui défie les idées reçues C'est après une situation vécue en 2016 que Hassania a eu le déclic pour passer le cap et prendre le volant. Elle raconte que cette année-là, son mari a reçu une offre pour le transport de marchandises du Maroc vers la France. Ayant voyagé avec lui, elle s'est confrontée à une scène dont elle se rappelle encore. «A notre arrivée au Maroc, les autorités douanières m'ont empêché de traverser la voie des camions. On m'a demandé de descendre du véhicule et de traverser la voie piétonne. L'agent m'a dit mot à mot 'vous n'êtes pas chauffeur de camion, donc que vous soyez propriétaire du camion ou non, seul votre mari a le droit de traverser.» Hassania Bouamama Ces mots ont suffi à encourager Hassania à passer un permis poids-lourds, dès son retour en Espagne. Elle a d'abord décroché un permis de type C puis E. «J'ai ressenti un bonheur indicible. Mon mari était agréablement surpris et fière de moi, parce que j'ai obtenu les licences très rapidement. Je me sentais fière d'être une femme marocaine», se rappelle-t-elle. En 2017, l'aventure d'Hassania a effectivement pris un tournant, puisqu'elle est passée d'assistante à conductrice qui se relaye avec lui sur le volant. «J'ai conduit un camion de marchandises de Tarragone à Perpignan en France. J'ai ressenti un cocktail de sentiments et c'était un moment inoubliable», se rappelle-t-elle. «Je reçois des encouragements lorsque je suis sur la route, surtout en Espagne et en Europe en général, mais malheureusement pas au Maroc. Quand j'arrive en camion dans mon pays, je vois ces regards étranges et des commentaires me disant que c'est une profession d'hommes. Parfois, on me dit que ma place est dans la cuisine et non pas derrière un volant. Ces commentaires me font mal, mais en même temps ils me donnent encore plus de motivation.» Hassania Bouamama Le plus important dans tout ça, c'est que «mon défunt père aurait été fier de moi. Il me posait des questions quand j'étais jeune sur mon rêve, je lui disais que je voulais conduire un gros camion. Et ma mère est fière de moi, parce que j'ai réalisé mon rêve», conclut-elle fièrement.