« Nous naviguons à vue. », Amine Mernissi, consultant expert en immobilier, auteur du Guide Répons'IMMO et fondateur de reponsimmo.com, propose un regard froid sur le secteur l'immobilier. Tenaillé par plusieurs facteurs, l'immobilier marocain ne sait où se donner de l'air. En plus « les opérateurs immobiliers vivent des moments très difficiles dus à ces hausses (possibilité d'arrêt de chantiers, redimensionnement de projets immobiliers, reports d'investissement, difficultés de trésorerie...). », constate le fondateur de reponsimmo.com. Dans cette interview accordée à Maroc diplomatique, Amine Mernissi passe au crible les problèmes et enjeux du secteur de l'immobilier marocain. * Maroc Diplomatique : Le marché de l'immobilier souffre depuis 3 ans. Crise sanitaire, inflation, pouvoir d'achat limité, vente en baisse… Quelles pourraient être les conséquences sur le marché et sur le consommateur ? – Amine Mernissi: Le marché de l'immobilier souffre depuis bien plus que 3 ans. On va dire que depuis une bonne dizaine d'années, il est en situation de difficultés « multiformes ». Raisons structurelles et conjoncturelles s'additionnant, cela l'installe dans une situation de crise qui n'a que trop duré. Certes, la crise covid et ses conséquences économiques depuis plus de 2 ans, conjugués à une nouvelle crise inflationniste mondiale apparue depuis fin 2021, rajoutent à un certain climat de tensions et d'incertitudes qui prévalait déjà auparavant. Parmi les conséquences sur le marché, c'est une hausse du prix de revient de la production nationale de logements, tout standings confondus, et ce, compte tenu de la flambée des prix des intrants, et donc des matériaux de construction dans leur globalité. Si cette hausse, parfois à 3 chiffres, devait être répercutée sur les prix de vente finaux, et je vois difficilement comment faire autrement, alors le marché déjà tiré essentiellement par les prix les années auparavant, se trouverait face à une nouvelle donne. D'un côté, des actifs immobiliers dont les prix augmentent dans un contexte inflationniste général, et de l'autre, un pouvoir d'achat des ménages inversement proportionnel à la hausse constatée ou subie. Si la crise mondiale devait être limitée dans le temps c'est-à-dire circonscrite à l'année 2022, les choses seraient moins impactantes que si elles devaient durer au-delà... Mais dans l'immédiat, l'heure est à la prudence. Nous naviguons à vue. Les opérateurs immobiliers vivent des moments très difficiles dus à ces hausses (possibilité d'arrêt de chantiers, redimensionnement de projets immobiliers, reports d'investissement, difficultés de trésorerie...). Quant au consommateur, il fait son marché... ou ne le fait pas ! Il cherche l'aubaine et en son absence il n'est pas prêt de sauter le pas et s'engager dans un climat d'incertitude économique ou lui-même peut se retrouver menacé dans son emploi du jour au lendemain. Quoique dans ce panorama, le marché des biens immobiliers de seconde main et les stocks d'invendus neuf des promoteurs devraient tirer leur épingle du jeu et connaitre un regain d'intérêt de la part des acquéreurs puisque non concernés par ces hausses des intrants. * Les performances du secteur de l'immobilier sont perturbées par la hausse des prix des matériaux de construction. Comment les professionnels pourraient-ils juguler cette situation pour garder la confiance des consommateurs ? – On pense tout de suite aux marges bénéficiaires. Si les professionnels peuvent les réduire, ce n'est pas tenable dans la durée ! Et surtout, pas dans les mêmes proportions que la hausse des prix des matériaux de construction. Donc la variable des marges n'est pas une réponse pérenne ni viable. Les professionnels ont besoin d'une aide publique. Non pas pour eux, mais pour l'acquéreur et dont ils pourraient tirer profit par effet induit car cela aurait un effet de levier sur les ventes et le soutien de la demande. Les professionnels peuvent s'engager aussi sur une politique de réduction des coûts en formant des consortiums de promoteurs afin de mieux négocier les prix et jouer sur les volumes d'achat et les économies d'échelle. Aussi, ils doivent faire preuve d'imagination, en concevant des projets hyper adaptés en termes de superficie, de prestations et de prix. Car aujourd'hui plus qu'hier, il n'y a pas de petites économies. Et les erreurs à ce niveau peuvent s'avérer fatales. → Lire aussi : Immobilier: De la volonté, mais toujours dans l'impasse * Bank Al Maghrib note que le secteur a chuté de 23%. Sans hausse des prix, n'allons-nous pas vers une crise de l'immobilier ? Est l'appui attendu de l'Etat pourrait atténuer le choc des prix ? – Le vrai test c'est 2022. 2021 a somme toute tiré son épingle du jeu grâce aux incitations fiscales accordées jusqu'au 30 juin 2021. Aujourd'hui face à une crise qui nous dépasse, tout le monde regarde dans la même direction : les pouvoirs publics. Que vont-ils décider pour sortir/sauver le secteur de la crise dans laquelle il s'enfonce jour après jour ? Aide fiscale aux acquéreurs ? Réduction des taux d'intérêts pour les crédits immobiliers ? Offre de nouveaux produits immobiliers défiscalisés encadrés par l'Etat ?… Chacun y va de sa proposition ou de sa théorie, mais à l'heure où j'écris ces lignes, c'est l'attentisme qui prévaut. * L'immobilier comme beaucoup de secteurs est caractérisé par une disparité sociale, notamment à son accès ? Est-ce que la politique menée par les banques en connivence avec les agences immobilières est suffisamment perméable pour un accès au logement ? – Je trouve le terme de « connivence » un peu injuste... donc je ne le reprendrai pas à mon compte. Ce que je peux vous dire, et ça ce sont les chiffres qui parlent. Le secteur bancaire est déjà très exposé en termes de risque vis-à-vis de l'immobilier. Imaginez que dans l'encours global des crédits alloués à l'économie, près de 30 % vont au secteur de la construction ! Soit environ 300 milliards DH sur un total de 1000 milliards DH grosso modo. Après, on peut toujours estimer que c'est insuffisant... mais il faut aussi avoir à l'esprit les règles prudentielles auxquelles les banques doivent se plier. Et puis dans une économie, il n'y a pas que l'immobilier. Aussi important et stratégique soit-il. Donc, il faut raison garder. Tout le monde rêve d'un crédit immobilier à taux zéro comme sous d'autres cieux... mais sous d'autres cieux aussi, au Kenya par exemple donc en Afrique, le crédit immobilier est autour de 15 % d'intérêt... Donc tout reste relatif. Les banques doivent améliorer leurs services, ça oui. Pour les taux, je pense qu'il y a également matière à faire preuve d'un peu plus d'audace pour attirer de nouvelles cibles qui sont locataires et qui ne demandent pas mieux qu'à devenir propriétaires... Et pour ce qui est des conditions d'octroi, je comprends la prudence des banques, là encore, l'argent qu'elles prêtent n'est pas le leur. Personne ne voudrait d'une crise systémique. Mais attention non plus, à ne pas verser dans les délais à rallonge qui finissent par avoir raison de l'acquéreur le plus motivé. * Etes-vous convaincu que l'habitat est un secteur un peu oublié par rapport aux politiques publiques ? Comment appréciez-vous les premiers actes posés par le nouveau gouvernement pour le secteur ? – L'habitat ne peut pas être un secteur oublié. C'est impossible. Il est névralgique. Plus d'un million d'emplois, plus de 6 % du PIB national... sans parler de sa puissance transversale économiquement. C'est un secteur qui a la possibilité d'irriguer l'économie dans son ensemble. C'est aussi pour ces raisons, que dès qu'il va mal, tout le monde se met à tirer la sonnette d'alarme de façon intempestive. Et puis, ses opérateurs sont connus pour leur dynamisme. Ils ne peuvent se résoudre à une baisse de régime. Et de ce fait, ils interpellent le gouvernement. Le nouveau comme l'ancien. Tous les anciens et tous les prochains. Cela sera toujours ainsi. Quand ça ne va pas, « on veut des actions et vite ! » Les opérateurs ont tout à fait raison de monter au créneau. Dernièrement, la Fédération nationale des promoteurs immobiliers (FNPI) a fait une liste de doléances et de propositions. Nous attendons des réponses. Ou plus que ça : des actions.