Après George Floyd le 25 mai 2020, c'est la mort de Jacob Blake le 23 août 2020 dans le Wisconsin qui a donné lieu à de violentes émeutes et manifestations à travers le mouvement « Black lives matter » (« la vie des noirs compte »). Ces accidents ont relancé de nombreux débats, sur le statut des migrants, des étrangers, sur le racisme institutionnel et le racisme dans le discours de certaines élites. Au Maroc, en 2017, le HCP recensait plus de 100.000 étrangers, faisant du Royaume un pays de transit, mais également d'accueil d'immigrés. Malgré des efforts considérables déployés par le Royaume, certains étrangers continuent de faire l'objet de discrimination ou de racisme, comme en témoigne la campagne lancée en 2014 « Je ne m'appelle pas Azzi ». Un fléau mondial Ce problème touche toute la planète, même les démocraties les plus « développées ». Ainsi, nous avons pu assister à des formes de racisme verbales à une manifestation plus violente de celle-ci impliquant parfois, les hautes sphères de la police, comme l'ont dévoilé la mort de George Floyd, d'Ilias Tahiri en Espagne ou d'Adama Traoré en France... Des crimes qui ont conduit certains chefs d'Etat à réagir aussitôt en adoptant une position ferme. Le mercredi 10 juin, le président français Emmanuel Macron déclarait que le racisme est une « maladie qui touche toute la société » tout en appelant les autorités à être « intraitable à ce sujet ». Contacté par MAROC DIPLOMATIQUE, Saïd Tbel (AMDH) nous explique que parmi les causes de ce problème, réside l'isolement de certaines couches de la population, plus particulièrement des personnes de couleur, et migrants, souffrant d'une certaine marginalisation qui exacerbe le racisme. On dénonce alors la communautarisation, de personnes d'origine étrangère dans des « ghettos », qui renforce davantage les inégalités. Le cas du Maroc À l'heure où les médias internationaux s'interrogent sur le cas du Maghreb et s'étonnent de ne pas y avoir vu de mouvement similaire, des questions restent à soulever, le Marocain est-il raciste ? Où en sommes-nous dans la réponse à cette problématique ? Et quel est le rôle de nos institutions face à ce fléau ? Il est vrai que Maroc n'a pas connu la même vague de protestations pour diverses raisons, menant la communauté internationale à se questionner sur la situation du pays. Est-ce un manque d'intérêt vis-à-vis de la problématique ou bien tout simplement l'absence du racisme ? Saïd Tbel nous explique qu'en plus de la nécessité de respecter l'état d'urgence sanitaire, il est évident qu'une grande partie des Marocains ne se soucie pas de ce problème. Il nous rappelle par ailleurs que l'on assiste beaucoup moins à la manifestation de cette forme de violence au Maroc. « Nous allons beaucoup moins voir un policier s'attaquer violemment à un non-marocain ». Il interpelle toutefois sur le fait que « la société marocaine tend à évoluer vers une forme de racisme », qu'il définit plutôt comme de la xénophobie. Les Marocains sont-ils racistes ? Contrairement au racisme, où la personne considère sa race comme étant supérieure à toutes les autres races, la xénophobie, est la manifestation d'une haine, d'une hostilité envers toute personne étrangère quelle que soit sa nationalité. On a pu apercevoir des actes xénophobes notamment au début de la crise sanitaire, lorsque des vidéos devenues virales, de femmes chinoises, en centre-ville se faisaient harceler verbalement par des passants qui criaient « Corona ». Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir déployé une batterie de mécanismes pour lutter contre ce phénomène comme le montre la législation marocaine. En effet, l'article 23 de la Constitution de 2011 interdit « l'incitation au racisme, à la haine et à la violence » dans le cadre du Code de travail, du Code pénal, du Code de la presse et de l'édition, ainsi qu'à travers la mission qui revient à l'agence nationale de contrôle des données. Le Maroc a également ratifié la convention internationale sur la discrimination et il est le deuxième pays à avoir ratifié la Convention des Nations Unies sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Enfin, le Maroc a ratifié les principaux instruments de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) relatifs à la migration. « Il a de même conclu 11 accords de main d'œuvre et 3 conventions d'établissements, ce qui engage le Maroc à formuler et à promouvoir une politique nationale qui garantisse la non-discrimination entre les travailleurs migrants et nationaux » selon un rapport de 2018 du CESE. Ces mesures ont d'ailleurs été accueillies favorablement par les institutions étrangères, notamment par le Conseil de l'Europe et par les Nations-Unies. Tendayi Achiume, rapporteure spéciale de l'ONU sur les formes contemporaines de racisme, félicitait le Maroc en 2019, pour « son leadership et les avancées spectaculaires des droits des migrants et réfugiés ». Elle a néanmoins souligné que ces efforts restent conditionnés par l'application par le gouvernement d'un cadre juridique et politique national. « Certains migrants et réfugiés, notamment ceux d'origine noire, subsaharienne, ont rapporté des incidents de racisme et de stéréotypage xénophobe lors de l'accès aux soins, au logement, à l'éducation, à l'emploi et dans d'autres secteurs », avait-elle rapporté. On se rappelle notamment de l'incident de la CTM, dont une affiche a indigné la Toile. Celle-ci interdisait la vente de billets aux Africains ne possédant pas de carte de résident. Si la Compagnie avait démenti la véracité de cette information, l'auteur de l'affiche a oublié que le Maroc se situe en Afrique, et a mis en lumière un comportement ignorant de plus en plus perceptible au sein de la société. Tendayi Achiume avait quand même appelé à « renforcer les mesures visant à éliminer les obstacles administratifs et structurels à l'intégration des réfugiés et migrants ». Pour mettre fin à ce problème, l'une des pistes régulièrement proposées est la sensibilisation et la prévention. « L'idée est de s'assurer que les agents des services publics s'abstiennent de tout acte de racisme, de discrimination raciale et d'intolérance ». Le devoir de la sensibilisation Le comportement de mépris et d'hostilité qu'induit le racisme peut provenir d'un manque d'éducation et de sensibilisation, de l'ignorance, de ce que l'on ne connait pas. Saïd Tbel nous rappelle alors que les Marocains se sont retrouvés du jour en lendemain, face à une vague de migrants, sans y être préparés. À titre indicatif, le nombre d'étudiants subsahariens au Maroc a considérablement augmenté durant ces dernières années. En 2017, le Maroc comptait environ 18.000 inscrits dans l'enseignement supérieur selon l'Agence marocaine de la Coopération Internationale (AMCI), tandis que dans le début des années 2000, ils n'étaient que quelques milliers. Maintenant ils seraient plus de 20.000. Selon certains Conseillers Campus France, certains de ces étudiants suivent la procédure et expriment leur volonté de poursuivre leurs études en France, après avoir subi des agressions ou des discriminations liées à leur couleur de peau. Certains organismes et associations marocaines jouent un rôle clé dans cette sensibilisation. En témoigne notamment la campagne « Je ne m'appelle pas Azzi » lancée en 2014 par la Coordination pour la Régularisation des Sans-Papiers au Maroc. Cette dernière a dit vouloir, par cette campagne, « contribuer à un meilleur accueil des migrants avec ou sans sans-papiers et d'attirer l'attention de l'opinion publique, des médias et des décideurs sur le racisme primaire naissant au Maroc ». À travers le slogan « Je ne m'appelle pas Azzi », l'association souhaite « s'adresser à tous les Marocains afin de contribuer à changer les mentalités et rappeler l'esprit de tolérance et d'hospitalité qui a toujours prévalu au Maroc ». Par ailleurs, outre le rôle primordial de sensibilisation de la société civile, des médias, et des associations, Saïd Tbel alerte sur l'importance de ne pas reproduire les erreurs commises ailleurs, notamment aux Etats-Unis ou en Europe, lors de la marginalisation des étrangers dans des ghettos. Un phénomène similaire est déjà perceptible au Maroc, notamment dans les souks et dans la construction, leurs secteurs de prédilection. Il rappelle que ces derniers sont source de tensions avec les Marocains qui les accusent de leur « voler leur travail ». Le phénomène des micro-agressions raciales Ce problème ne se manifeste pas uniquement dans les milieux modestes ou pauvres. Chez les élites, nous apercevons également une forme de racisme, bien que plus subtile. Ce que le professeur Chester M. Pierce, professeur à l'université de Harvard a appelé en 1970, les micro-agressions. Ce terme vise à décrire « des insultes et des licenciements dont il a régulièrement été témoin que des Américains non noirs infligeaient à des Afro-Américains ». Ce concept était relativement méconnu jusqu'à ce qu'en 2007, un article de l'Université de Columbia, écrit par le psychologue Derald Wing Sue, a attiré l'attention d'un large public académique. Pour l'auteur, la toxicité de ces micro-agressions réside notamment dans leur ambiguïté. En effet, ce que l'on définit comme micro-agression, sont des questions ou des comportements qui semblent, au premier abord, banaux, mais relèvent en réalité du racisme. Ainsi, « de quelle origine être vous », « vous parlez bien français », « il fait beau dans votre pays », « tout le monde peut réussir dans cette société s'il travaille dur » peuvent paraître bienveillantes pour les personnes qui les expriment, mais sont en réalité très mal perçues et ont un véritable impact sur le psychique, l'expérience et le bien-être de l'employé. Un phénomène qui renforce le « privilège des blancs » et qui selon Saïd Tbel s'exprime particulièrement au sein de l'élite. Ainsi, le fléau du racisme ne fait aucune distinction de classe sociale. Mais l'éducation, la sensibilisation et l'application du cadre juridique et politique existant sont les principales armes qu'il faudra déployer et capitaliser pour y mettre fin.