Invitée par le gouvernement à effectuer une visite du 13 au 21 décembre au Maroc, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, Tendayi Achiume a livré ce vendredi à Rabat les premières conclusions de son rapport qui devrait être publié en juillet 2019. Elle a donné une conférence de presse pour étayer quelques constats de base, après avoir visité six villes du royaume. Parmi les Rapporteurs spéciaux de l'ONU dans différents domaines, elle passerait presque pour un mouton noir. Tendayi Achiume passe outre les convenances protocolaires pour aller droit au but: « je suis indépendante de tout gouvernement ou organisation et j'assume mes fonctions à titre personnel », se défend elle. Remerciant le Maroc « pour son excellence coopération en ce qui concerne chaque aspect de [sa] visite », l'envoyée onusienne commence par préciser la nature de son mandat. En l'occurrence, sa mission au Maroc consistait à « évaluer les efforts des autorités visant à éliminer le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée » dans le pays. Une dure labeur. Le Maroc, coté ouest Au cours de ses neuf jours de mission, Tendayi Achiume s'est rendue à cinq villes (Tanger, Tétouan, Rabat, Casablanca et Agadir). « Pour des raisons purement logistiques, je n'ai pas pu faire de déplacement à d'autres villes, mais je reste ouverte à toute forme de dialogue avec les acteurs associatifs sur place. Sur ce point, il n'y a aucun doute » persiste-elle, en réponse à quelques informations rapportant que « la Rapporteuse spéciale de l'ONU a subi des pressions pour ne pas visiter les villes de Nador, Al Hoceima et Laâyoune ». Toujours est-il que la missionnaire a rencontré de nombreux représentants. Aussi bien du pouvoir Exécutif, du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), de la société civile, des communautés religieuses que des migrants et refugiés. Elle a également fait des visites dans les forêts mitoyennes de Tanger, entre mer et montagnes, occupées par un grand nombre de subsahariens. Dans la ville du Détroit, les autorités marocaines lui ont ouvert les portes de deux commissariats de police dotés de centres de détention. Et à la gare routière d'Ouled Ziane à Casablanca, elle a pu voir de plus près les conditions de vie abominables des migrants subsahariens. C'était, d'ailleurs, au lendemain d'un énième incendie qui a ravagé les lieux. Rattrapage législatif « Un examen de la législation en vigueur montre que le Maroc interdit explicitement certaines manifestations de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance qui y est associée, notamment dans le Code pénal, le Code de procédure pénale, le Code du travail et le Code de la presse et de l'édition« , a déclaré Tendayi Achiume en mettant dans ses recommandations la nécessité d'élaborer une loi consacrant à la lutte contre ces formes de rejet de l'autre un cadre juridique, légalement plus protecteur. Enumérant un ensemble de dispositions législatives mises en place par le Maroc, la responsable onusienne ne crie pas victoire: « d'importantes lacunes existent », considère-t-elle. En matière d'égalité raciale, la Rapporteuse préconise « une législation complète qui consacre pleinement le cadre de La Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discrimination raciale (ICERD) signée par le Maroc ». En ce moment, elle estime que « les politiques existantes ne définissent pas la discrimination raciale d'une manière qui soit conforme à la Convention » Les Amazighs se font du souci Tendayi Achiume a également fait le point sur les multiples rencontres qu'elle a eues avec les responsables marocains et le tissu associatif au sujet de l'Amazigh en tant qu'identité, langue et droit des citoyens se réclamant en tant que tel. « La Constitution consacre une identité nationale unifiée mais culturellement diversifiée qui inclut l'identité Amazighe », atteste-t-elle. « Cependant, le Maroc n'a toujours pas adopté la loi organique nécessaire pour mettre en oeuvre cette protection constitutionnelle », a relevé la responsable. Déclarant avoir constaté que les Marocains sont égaux dans la réalité, Tendayi Achiume relève néanmoins que « certaines catégories de la population souffrent de discrimination et d'exclusion structurelles, surtout ceux qui vivent dans les régions reculées ». La question des expropriations des terres collectives appartenant à des communautés établis dans différentes régions du Maroc devrait également être abordée dans le rapport de la chargée de mission. Elle appelle, et se dit prête à détailler sa recommandation dans le rapport finale, à « des mesures pour protéger la culture et les propriétés culturelles des Amazighs ». Ce pas vers la concrétisation des dispositions constitutionnelles passe, toujours selon la Rapporteuse, par « l'emploi et et utilisation de la langue Amazighe dans la justice et l'administration ». S'agissant, en fin, de l'enseignement, Tendayi Achiume a expliqué que « des rapports faisant état de réduction du nombre d'enseignant de l'Amazigh et du recul enregistré par rapport à sa généralisation », lui sont parvenus.