Du 13 au 21 décembre, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance avait effectué une visite au Maroc. Le rapport final de sa visite est un recueil de témoignages qui remettent sérieusement en question la politique officielle d'accueil des migrants. Le texte pointe également les violations subies par les Amazighs. Tendayi Achiume, la Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l'intolérance s'était rendue en décembre Maroc. Elle vient d'adresser le rapport de sa visite au Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU. Le document, consulté par Yabiladi, précise que «les autorités marocaines ont accordé une totale liberté de mouvement dans l'ensemble du pays», soulignant qu'«en raison de contraintes de temps et de ressources, elle a dû limiter le nombre de lieux visités». La Rapporteuse reconnaît également que «le Maroc a fait d'importants progrès dans le domaine de la protection et de la promotion des droits de l'Homme. En particulier, l'adoption en 2011 d'une nouvelle Constitution est une évolution majeure qui a ouvert la voie à d'importantes réformes législatives, institutionnelles et politiques». Les commissions régionales du CNDH dépourvus de moyens d'action Elle a d'ailleurs salué «le rôle essentiel joué par le Maroc en ce qui concerne les accords internationaux de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée, notamment le Plan d'action de Rabat sur l'interdiction de l'appel à la haine nationale, raciale ou religieuse». Néanmoins, elle a relevé que «contrairement aux recommandations formulées par diverses parties prenantes internationales et nationales, le Maroc ne dispose pas d'une législation complète contre la discrimination ou d'une loi spécifique interdisant la discrimination raciale». Tendayi Achiume a constaté avec «satisfaction que le Conseil national des droits de l'Homme est représenté dans tout le pays par l'intermédiaire de 13 commissions régionales». Toutefois, elle a remarqué avec inquiétude que «quelques-unes des commissions régionales ne disposent ni des capacités ni des compétences suffisantes pour lutter efficacement contre le racisme, la discrimination raciale». Et de pointer du doigt la section du CNDH de Tanger qui «n'a pas pris de mesures dans des cas de discrimination raciale dont les autorités locales auraient fait preuve à l'égard de migrants». Aussi, elle s'est dite «profondément préoccupée par les graves violations des droits de l'Homme dont sont victimes les migrants et les réfugiés noirs originaires d'Afrique subsaharienne dans le Nord du pays, exhortant le Maroc à prendre des mesures pour y mettre fin». Dans ce contexte, elle souligne que «le Gouvernement marocain est responsable et doit rendre compte des actions des représentants locaux de l'Etat, y compris des fonctionnaires de police et des agents chargés de l'application des lois sur l'immigration». Des témoignages qui remettent en question la politique d'accueil officielle d'accueil des migrants La rapporteuse a affirmé que «certains migrants et réfugiés, notamment ceux d'origine noire, subsaharienne, ont rapporté des incidents de racisme et de stéréotypage xénophobe lors de l'accès aux soins, au logement, à l'éducation, à l'emploi et dans d'autres secteurs». «Pour beaucoup de ressortissants d'Afrique subsaharienne, il reste difficile de trouver un logement sûr et stable à un prix abordable, car les propriétaires refusent de leur louer un logement en raison de leur race et de leur statut juridique», a-t-elle écrit sur la base de témoignages recueillis sur place. La «Rapporteuse spéciale a entendu parler des difficultés d'accès aux soins de santé, notamment pour les femmes enceintes (…) Des problèmes similaires ont été relevés dans le domaine de l'éducation. Des familles de migrants ont indiqué avoir eu du mal à inscrire leurs enfants à l'école, souvent en raison d'obstacles administratifs pour ceux qui n'étaient pas correctement enregistrés ou qui ne disposaient pas des documents requis. Les stéréotypes et les préjugés racistes ont également joué un rôle dans certains cas où des écoles ont refusé d'inscrire des enfants migrants noirs en prétendant être à pleine capacité». Sur le même volet, la responsable onusienne a appris lors de ses consultations que «les migrants, les réfugiés et les demandeurs d'asile homosexuels, bisexuels ou transgenres étaient particulièrement vulnérables aux violations des droits de l'Homme en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre». «Les Amazighs marginalisés» Le rapport fait état de témoignages de Marocains amazighs qui affirment «avoir souffert de discrimination dans l'exercice de leurs droits économiques et sociaux». Et de constater que «bien que le Maroc ait fait des progrès considérables en matière de réduction de la pauvreté, les communautés amazighes constatent avec préoccupation que les disparités régionales, les inégalités et l'écart entre les zones urbaines et rurales perdurent. Les Amazighs sont touchés de façon disproportionnée, puisque les régions où l'on parle l'amazighe (le Rif, l'Atlas, l'Assamer et le Souss) sont les plus pauvres du pays et donc les plus touchées par les problèmes d'infrastructures et d'accès aux services de base comme l'eau, l'assainissement et la santé». La Rapporteuse spéciale rappelle, à cet égard, que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU a déjà demandé au Maroc «de corriger les disparités régionales et de lutter contre la discrimination de fait à l'égard des Amazighs, en adoptant des mesures spéciales si nécessaire» en vue de garantir aux groupes défavorisés de vivre dignement. La Délégation interministérielle aux droits de l'Homme répond à l'ONU Réagissant au rapport, le Délégué interministériel aux droits de l'Homme, Ahmed Chaouki Benyoub, a considéré la version onusienne comme «irréaliste», en raison de «l'identité et de la diversité linguistique et culturelle du Maroc». Il a ajouté que lors de sa visite au Maroc, la rapporteuse spéciale n'avait pas été autorisée à se rendre dans quatre grandes villes, ce qui «ne pouvait pas la laisser transmettre une image proche de la réalité de l'intégration des régions qui vivaient pendant des années dans la marginalisation». Dans ce sens, Benyoub a exprimé sa surprise et son rejet des propos de la rapporteuse quant aux disparités géographiques, fondées sur l'exclusion. Réagissant aux termes du rapport dans son volet sur la migration, le numéro un de la DIDH a estimé que «le profilage racial» était «inexistant» car «non-concordant avec les réalités, les usages et la politique migratoire marocaine». Il a souligné également «l'engagement ferme engagement du royaume dans sa lutte contre le racisme et la discrimination sous toutes ses formes», tout en apportant son «soutien constant aux travaux de la rapporteuse spéciale de l'ONU». Article modifié le 2019/07/11 à 14h04