M. Mohamed Said Saïdi, secrétaire d'état auprès du ministre du développement social, de la solidarité, de l'emploi et de la formation professionnelle chargée de la protection sociale, de la famille et de l'enfance est venu à Montréal pour inaugurer le premier Carrefour au féminin. Maghreb observateur a profité de son passage pour lui poser quelques questions. Maghreb Observateur : Monsieur le ministre, votre nom a beaucoup été associé au plan d'intégration de la femme, pourriez-vous nous en parler? M. Saidi: Le plan d'action pour l'intégration de la femme et de développement est une œuvre collective qui vise à traduire dans les faits et sous forme de mesures concrètes et de dispositions pratiques, c'est l'engagement très fort, pris par le gouvernement d'alternance, en faveur de la promotion de la femme. Je dis bien que c'est un travail collectif dans la mesure où cette préparation c'est faite en étroite collaboration avec tous les départements ministériels intéressés par cette question et aussi grâce à la participation de beaucoup d'associations féminines, d'associations de droit de l'homme, des experts, des chercheurs spécialisés dans les sciences humaines. Et c'est un plan donc qui a un caractère pratique, concret, qui est échelonné dans le temps avec des mesures ciblant quatre domaines prioritaires. Que l'on estime important pour la promotion de la femme marocaine. Le premier volet a trait à tout ce qui touche à l'éducation et à l'alphabétisation, notamment en milieu rural. Parce que nous estimons que l'un des handicaps sociaux économiquement de l'intégration de la femme de développement est son statut et sa possibilité d'accéder aux services sociaux, notamment à l'accès à l'éducation, à la scolarisation. Nous avons beaucoup insister sur cet aspect notamment dans le monde rural. Nous avons un écart c'est très important en matière d'alphabétisation de la femme adulte, en matière de scolarisation de la petite fille rurale. Il est bon de signaler que le Maroc est entrain de faire des progrès importants depuis l'avènement du gouvernement d'alternance en matière de scolarisation de la petite fille rurale. Nous avons enregistré des taux de progression très importants. Pour l'exercice budgétaire 98-99, c'est-à-dire la première année de l'avènement du gouvernement d'alternance le taux de scolarisation de la fille rurale en première année de l'enseignement fondamental a augmenté de plus de 34%. Et en en 99-2000, nous avons des taux d'accroissements similaires. Donc, c'est dire qu'il y a une volonté très forte pour intégrer la femme, la jeune fille marocaine à travers l'investissement dans son intelligence et l'amélioration de son capital intellectuel. Le deuxième volet est relatif à la santé maternelle, à l'amélioration des conditions d'accouchement. Malgré tous les efforts qui ont été fournis jusqu'à présent, nous avons encore un taux de mortalité maternelle qui reste important. Ce qui constitue déjà un problème pour la femme et pour l'enfant, le bébé. D'où notre insistance sur la nécessité d'améliorer les conditions de maternité, les conditions de santé reproductive, nous insistons beaucoup sur les aspects des organismes familiaux, sur l'espacement des naissances, sur les conditions d'élévation des bébés, des enfants. Nous avons un certain nombre de mesures pratiques à ce niveau-là que nous essayerons de mettre en œuvre, en coordination avec les départements concernés qui est celui de la santé. Le troisième volet prioritaire est relatif au renforcement du rôle économique de la femme marocaine, à travers notamment une meilleure insertion dans le marché d'emploi, à travers aussi des mesures visant à améliorer les conditions de travail, conditions de salaire de la femme qui travaille par rapport à l'homme. Et nous ciblons aussi dans ce volet-là, la formation professionnelle, nous estimons que la jeune fille, la jeune femme devrait pouvoir profiter de formation qualifiante, car jusqu'à présent on a plus ou moins cantonné la jeune fille, la jeune femme dans ce que l'on appelle les métiers traditionnels, qui sont liées à la confection, au tricotage, à la fabrication des tapis. Hors le monde de demain, c'est un monde qui va être de plus en plus basé sur le contrat de la connaissance, des hautes technologies, des industries de hautes valeurs ajoutées et à ce niveau-là, nous estimons que la formation professionnelle devrait donner plus d'importance aux filières de hautes technologies, de l'initiation électronique à l'informatique et de donner plus de chances aux jeunes filles et aux jeunes femmes de s'initier à ces métiers là. Ce sont des métiers d'avenir. Et toujours dans ce volet économique, nous accordons beaucoup d'importance aussi à la lutte contre la pauvreté. Parce que d'après les dernières statistiques démographiques dont nous disposons, nous avons au Maroc, 1 cinquième des foyers qui sont dirigés par les femmes dans les villes. Ce qui veut dire que la femme est responsable d'elle-même mais aussi des enfants, elle est chef du foyer. Au niveau national c'est deux familles sur six qui est dirigé par les femmes en milieu rural et d'après moi, 12 à 13% des foyers qui sont dirigés par une femme. Le problème c'est que dans la majorité de ces cas, ces femmes là qui dirigent ces foyers sont analphabètes et ne disposent pas de sources de revenus permanentes, d'où la nécessité de pourvoir cibler ces foyers-là dirigés par des femmes et notamment nous avons un certain nombre de mesures, notamment dernièrement le parlement marocain a adopté une loi pour l'encouragement des micro-crédits. Le gouvernement a aussi créé ce que l'on appelle l'agence de développement social. Cette agence devra être l'outil par excellence de lutte contre la pauvreté. Et le quatrième volet, vous voyez bien que notre plan est ambitieux et exhaustif puisqu'il touche à plusieurs volets et cela prend du temps à en parler. Le quatrième volet qui est aussi important que les trois premiers, il n'y a pas de chef d'importance, c'est juste pour souci d'articles que j'ai laissé le plus important à la fin, c'est le renforcement du pouvoir politique et juridique de la femme marocaine, parce que nous estimons que plusieurs lois ne rendent pas justice à la femme marocaine. Notamment certaines dispositions du code de la famille que l'on appelle chez nous, la moudawana. Certaines dispositions du code pénal entre autre, et à ce niveau là nous allons proposé un certain nombre de réformes qui tournent autour de ce que l'on pourrait appeler une plus grande habilitation juridique de la femme. Faire de la femme un sujet juridique dans le sens de l'égalité des droits et des devoirs. De sorte que l'on est une cellule familiale plus équilibrée. Parce que la cellule familiale est menacée d'éclatement du fait de nombreux facteurs, socio-économique, culturel, mais aussi du fait du statut d'infériorité de la femme au sein du foyer par rapport à l'homme. Parce que d'après le code de la famille, la femme n'a pas la capacité juridique et ceci nuit beaucoup à l'équilibre et la stabilité du foyer, de la cellule familiale. Donc rendre justice à la femme marocaine en réformant certaines dispositions du code de la famille. Nous avons ciblé 4 ou 5 points importants, le premier point est relatif au relèvement de l'âge du mariage, de 15 à 18 ans. Le deuxième point est relatif à la liberté pour la jeune fille qui veut se marier de choisir librement son conjoint mais elle peut aussi demander l'avis de ses parents. Il faut partir sur une obligation comme c'est le cas aujourd'hui. Le troisième point est relatif à la polygamie on voudrait abolir ces dispositions-là, sauf des exceptions, car effectivement il y a des cas, des situations ou il peut y avoir après accord de la femme en question, recourt à un deuxième mariage. Un autre point qui cause beaucoup de problèmes c'est le divorce, la répudiation. Le divorce est entre les mains de l'homme et parfois l'homme en fait un mauvais usage et c'est la femme et les enfants qui en pâtissent. Alors nous estimons qu'à ce niveau-là, il faudrait changer le code de la famille, de sorte à ce que le divorce devienne judiciaire, qu'il soit mis entre les mains du juge. Le quatrième ou le cinquième point qui va constituer une innovation c'est ce qui se passe après le divorce, après la dissolution des liens de mariage. C'est la situation matérielle et financière des femmes qui sont divorcées et des enfants aussi. A ce niveau-là, nous proposons à ce qu'il y ait partage des biens constitués en commun durant la vie conjugale, de manière à rendre justice à la femme qui a contribué, bien-sûr, aussi bien en travaillant au foyer en élevant les enfants qu'à l'extérieur. Parce qu'il y a de plus en plus de femmes qui travaillent à l'extérieur et qui contribuent à la constitution du patrimoine commun. Cet aspect là est important, mais je voudrais ajouter un petit mot concernant les pouvoirs politiques, car nous estimons qu'il y a pas mieux que la femme pour défendre la cause féminine, alors il faudrait que la femme soit présente dans les instances de décisions. M.O. : Est-ce qu'il y a des femmes présentes ? M. Saidi : De plus en plus à des niveaux de décisions importants et sensibles, je dirai que dernièrement, sa Majesté, à nommer pour la première fois dans l'histoire du Maroc, une femme en tant que conseillère de sa Majesté, dans tout ce qui concerne le domaine social. C'est un geste très important et très significatif. Nous avons des femmes ambassadrices, mais cela reste des cartes isolées. M.O. : Vous avez même une consule générale... M. Saidi : Oui, nous avons Madame Jaïdi, qui fait un travail formidable et que je voudrai saluer à cette occasion là, et la féliciter pour cette heureuse initiative, de provoquer juste six mois après son arrivée une première grande manifestation organisée en partenariat avec nos amis canadiens. Je voulais dire que la présence de la femme dans les décisions importantes, mais pour ce faire il faut légiférer. Parce que si on laisse faire le cours normal des choses, on risque d'attendre beaucoup d'années. On a besoin de femmes élues dans les Communes. On a besoin de femmes parlementaires, il y en a mais c'est très négligeable. C'est pour cela que nous avons proposé d'assumer un système de quota réservé aux femmes de manière à encourager et cela serait une mesure discriminatoire en faveur de la femme pour une fois. Une discrimination qui serait péritive et qui devrait durer juste un laps de temps, le temps de mettre à niveau les deux sexes. Après, effectivement le problème démocratique puisse se dérouler normalement sans préférence aucune pour ce de sexe par rapport à l'autre. M.O. : Comment est perçu dans la société marocaine ce plan ? M. Saidi : Nous n'avons pas beaucoup de sondage pour savoir quelle est la réaction de la population ? Il y a un partage, jusqu'à un certain point avec la réforme du code de la famille elle ne fait pas l'unanimité. C'est normal qu'il y a est une résistance socioculturel, mais nous estimons qu'il est même possible à ce niveau là, d'arriver à un consensus à force d'explications, il faut vraiment faire preuve de pédagogie à ce niveau là. Pour expliquer le bien fondé de cette proposition qui n'est pas la vraie proposition, parce que ne sont pas encore soumises au parlement et tout ce qui concerne le code de la famille va être soumis à sa Majesté qui en sa qualité de Commandeur des Croyants aura à dire son dernier mot pour ces questions là. Ceci dit, un journal marocain à procédé à une enquête à un sondage pour la première fois, en mars dernier, les résultats sont encourageants, il y 40% d'interviewés qui sont favorables au plan et 27 % qui sont contre, 18 % qui sont sans avis et 17% qui estiment que c'est prématuré. Même que je crois il fait partie des 40% et puis il fait en sorte que l'on puisse quand même connaître les réticents et ceux qui trouvent que c'est très naturel. Il n'y a pas de rejet à priori. Il faudrait peut être expliquer davantage aux gens que cette réforme là ne touche en rien au fondement de notre religion. C'est qu'il y a un lien que l'on établit souvent entre le code de la famille et le précepte de la religion mulsumane. M.O. : Le 12 mars, deux marches ont eu lieu au Maroc, quel message avez-vous capté de ces 2 manifestations? M. Saidi : Je crois que le premier message est positif, c'est qu'au Maroc les gens se sentent de plus en plus responsables. Ils sont capables de descendre dans la rue, de manifester pacifiquement. D'exprimer leur accord ou leur désaccord avec le projet que prépare gouvernement et tout ceci se fait dans une bonne ambiance. Et, je crois que c'est est un message très positif sur l'image que le Maroc veut véhiculer à l'étranger. Un pays qui se consolide de plus en plus dans l'appel de droit et dans la voie d'une plus grande démocratie. Mais c'est aussi un message qui nous amène à accorder plus d'importance aux résistances socio-culturelles qui existent qui ont été dramatisées par la marche de Casablanca qui avait plutôt des motifs plus politiques. M.O. : Les médias étrangers se sont centrés davantage sur la marche de Casablanca dite des islamistes M. Saidi : Oui, nous nous sommes posé la question pourquoi on a voulu dramatiser à l'excès alors que le Marocain et la Marocaine en général forment des êtres humains qui sont ouverts, qui sont tolérants, qui sont orientés vers le progrès, vers la modernité sans renier notre identité qui fait notre fierté, notre spécificité. Nous estimons qu'il est possible de pouvoir allier modernité et tradition et qu'il n'y a pas de contradiction majeure, de perdre cette équation là. Je crois que jusqu'à présent le Maroc a pu négocier à son avantage le défi de cette vraie démocratie grandissante tout en gardant sa personnalité et son identité et c'est encore le défi qui nous ait lancé aujourd'hui, et je suis confiant que l'on pourra le relever. M.O. : Aujourd'hui vous êtes présent à Montréal pour ouvrir le carrefour au Féminin, qu'est-ce qui vous a motivé ce geste? M. Saidi : Je suis là pour exprimer mon soutien à la femme marocaine, à l'image que l'on veut véhiculer de la femme marocaine. Une image qui reflète tout simplement la réalité. La femme marocaine c'est la femme qui est au foyer mais qui travaille aussi, qui écrit, c'est la femme pilote, c'est la femme championne, c'est la femme politique, c'est la femme doyenne qui dirige les établissements universitaires. C'est cette diversité et cette évolution positive de la place de la femme marocaine dans la société que je suis venue soutenir. Et je crois que la délégation est une image représentative de la femme qui bouge. M.O. : Pensez-vous que Carrefour au féminin deviendra une habitude, et que chaque année il se renouvellera et/ ou qu'on le retrouvera dans d'autres pays? M. Saidi : J'espère qu'il va se renouveler de toute façon de notre côté nous ferons tout notre possible pour en faire une manifestation parrain pour qu'il puisse se tenir d'une manière régulière, une fois au Maroc, une fois au Québec, pour l'intérêt mutuel, pour la compréhension, différentes compréhensions entre nos peuples, entre les femmes québécoises, les femmes marocaines, ainsi que le partenariat maroco-canadien. M.O. : Vous êtes Secrétaire d'état auprès de la famille, ici au Canada, il y a des familles marocaines qui ont de la difficulté à rentrer au Maroc en rapport avec le prix des billets, récemment une entente entre la Fédération marocaine et Royal Air Maroc a ouvert une fenêtre d'espoir, pensez-vous que votre ministère pourrait jouer un rôle pour enlever définitivement cet obstacle? M. Saidi : On pourrait intervenir dans la limite de nos attributions, il est certain que c'est un problème qui relève d'abord du ressort du Ministre du transport, mon ami et collègue Monsieur Mansouri, Monsieur le Ministre que je connais et quelqu'un de très ouvert et très compréhensif et je crois qu'il sera sensible aussi à l'intervention de notre part qui ne pourra qu'être morale. Ceci dit, je comprends très bien ce problème là, nous ferons notre possible pour aider nos familles à pouvoir rejoindre comme ils le veulent leur pays d'origine. M.O. : Pour terminer, avez-vous, monsieur le Ministre, un message à délivrer à la communauté marocaine du Canada? M. Saidi : Je dis tout simplement, qu'on est fier de l'existence de cette communauté qui est très disciplinée, qui véhicule une image très positive du Maroc. Ces Marocains et ces Marocaines sont travailleurs, ils s'adaptent très facilement, ils sont souples et d'un autre côté je crois que nous ferons tout pour renforcer cette image.