A l'issue de la deuxième session de son Conseil national, l'Alliance des Economistes Istiqlaliens (AEI) a présenté ses propositions pour un habitat "décent" et "abordable", appuyées sur une analyse critique de la construction et de l'aménagement au Maroc. En voici l'essentiel. La formule est connue de tous: quand le bâtiment va, tout va. Sauf qu'aujourd'hui, le secteur n'étant pas au mieux, on croirait presque que "plus rien ne va". C'est en tout cas le constat étayé par Abdellatif Maâzouz, président de l'AEI, lors de l'allocution d'ouverture du "Ftour-Débat" sur le secteur de l'habitat mercredi dernier à Casablanca. Au menu de ce Ftour, une analyse sectorielle complète visant les différents segments, une identification des besoins de chaque catégorie de la population et des recommandations visant à repenser l'aménagement et la construction au Maroc. Bref, une pléthore de diagnostics et de propositions élaborés, à la demande du Secrétaire Général de l'Istiqlal, M. Nizar Baraka, par une commission constituée de quatre membres de l'AEI: Amine Nejjar, Mehdi Sebti, Saïd Sekkat et Iqbal Kettani. Le bâtiment s'écroule... S'il a tenu à rappeler dans son exposé les jours de gloire du bâtiment durant la période 2000-2012, Amine Najjar n'a pas manqué d'énumérer les carences qui ont marqué le secteur ces dernières années: perte de 70.000 emplois nets entre 2011 et 2014, baisse régulière des crédits en faveur des promoteurs immobiliers et une insatisfaction montante des citoyens quant à la qualité et à l'environnement du logement. A cela s'ajoute une suroffre d'un million de logements vacants dans les grandes villes, alors que le déficit s'élève à plus de 400.000 unités au niveau national. Résultat: un délai de paiement moyen dépassant les 150 jours, et des transactions immobilières entachées par la crise de confiance qui s'installe entre les divers acteurs. En effet, la nécessité de redorer le blason au secteur de l'habitat est aussi indéniable que pressante. C'est la clé de voûte d'une économie telle que la nôtre, et les chiffres rapportés par l'AEI en témoignent. Le bâtiment contribue à hauteur de 6.3% du PIB, et près de 49% de la FBCF (agrégat servant à mesurer l'investissement dans une économie), tandis que plus du quart des crédits à l'économie vont au logement. Mais aussi à l'étranger, le savoir-faire marocain en construction semble avoir rayonné: "La dynamique du secteur du bâtiment a permis de faire du Maroc un acteur de référence au niveau du continent africain; et nos entreprises s'y déploient avec succès", relève Maâzouz. "Le secteur est désormais exportateur et contribue aussi aux entrées de devises pour le Maroc", poursuit celui qui fut ministre du Commerce extérieur, avant de déplorer les régressions enregistrées en 2018. Révolutionner le logement social Le modèle des logements sociaux à 250.000 dirhams ayant montré ses limites, l'étude de l'AEI préconise d'abord d'identifier les besoins locaux avant d'inciter les promoteurs à l'investissement, avec pour seul mot d'ordre "la régionalisation". Cela permettra de définir des objectifs précis de création d'emploi, de recourir aux entreprises de construction locales et d'utiliser des matériaux en provenance de la région, lit-on sur les documents de l'AEI. Ensuite, c'est tout le concept de ces logements à revoir: au lieu d'un 50m² à 250.000 dirhams, l'Alliance propose des appartements à superficie entre 50 et 100m² à 5.000 dirhams le m² avec des aides directes aux acquéreurs pour rompre avec la modalité des crédits immobiliers sans apport, jugée défavorable pour les banques. La commission de l'AEI estime également "primordiale" l'exonération totale de la TVA sur les intérêts des crédits destinés à l'acquisition des logements sociaux dans le cadre du FOGARIM (Fonds de Garantie des prêts au logement en faveur des population à Revenus Modestes et/ou non réguliers), et une exonération partielle de 50% pour les crédits hors FOGARIM. S'agissant de la qualité et de la vie en commun, les experts de l'Alliance convergent sur un point: «Le modèle actuel de l'habitat social ne correspond pas aux aspirations des citoyens à un logement décent». Et pour ce faire, ils recommandent l'instauration de la mixité sociale comme règle au montage des programmes d'habitat, et d'un label qualité plus strict que le certificat de conformité utilisé à l'heure actuelle. Privilégier la classe moyenne N'en déplaise aux professionnels de l'immobilier, l'AEI estime nécessaire d'encourager les initiatives des coopératives d'habitat qui se font de plus en plus nombreuses (coopératives d'enseignants, coopératives de médecins, etc.). Il s'agit d'une catégorie d'opérateurs ayant longuement bénéficié d'avantages fiscaux jusqu'en 2018, année à laquelle leur exonération de l'IS a été restreinte. L'autre proposition qui risque aussi de faire grincer des dents est la mobilisation d'un foncier public adapté à la classe moyenne à des prix préférentiels avec davantage d'exigences en matière d'espaces verts et de lieux de vie. Les économistes de la Balance souhaitent que cela puisse se faire par le transfert de terrains relevant du domaine public (comme les Habous) aux opérateurs privés dans le cadre de partenariats public-privé. Pour les primo-bénéficiaires (la classe des propriétaires de logement pour la première fois), l'Alliance plaide pour une offre de logement spécifique et avantageuse avec possibilité d'aide financière. Question de bon sens.