Après le succès des premières éditions qui ont rassemblé un public de plus de 9.000 personnes, la Nuit des Philosophes, un événement organisé dans le cadre de la saison culturelle France-Maroc 2017 de l'nstitut français du Maroc, est revenue pour une quatrième édition. 30 grands penseurs, philosophes et artistes français et marocains étaient invités à échanger avec le public le vendredi 10 novembre à la Bibliothèque Nationale de Rabat de 18h30 à 00h30 et le samedi 11 novembre à l'Institut français de Casablanca à partir de 20h30. Le commissariat de ces Nuits à été assuré cette année par Jean-Claude Monod, philosophe, cinéaste et directeur de recherche au CNRS, et Driss Ksikès, écrivain et dramaturge. Les intervenants venus de France et du Maroc ont animé des leçons et des débats en français et en arabe autour de trois grands thèmes : « En a-t-on fini avec la vérité ? », « Penser l'image » et « Peuple(s) ». Houria Abdelouahed, Faouzi Bensaïdi, Omar Berrada, Marc de Launay, Moulim El Aroussi, Ymane Fakhir, Michaël Foessel, Patricia Lavelle, Nabil Mouline, Noureddine Sail, Meryem Sebti et bien d'autres ont été au rendez-vous ! Conférences, forums de discussions et lectures de textes philosophiques ont rythmé ces deux soirées. Pour la première fois, afin de créer des ponts entre l'art et le débat d'idées, des conversations entre artistes et philosophes ont été proposées sur des sujets tels que « Image, exclusion et discriminations » ou « Utopie et image de la pensée ». À Rabat, la Nuit des Philosophes a été inaugurée par Jean-Claude Monod par une conférence intitulée « Le livre et les livres ». À Casablanca, Vincent Delecroix a ouvert le débat. Enfin, suite à l'engouement des lycéens pour les Labos Grains de philo lors des trois précédentes éditions, des rencontres privilégiées entre les philosophes et des groupes de classes terminales ont illuminé une fois encore le cours de cet événement. Hymne à la vérité Jean-Marc Berthon, directeur général de l'institut français du Maroc et Conseiller de Coopération et d'Action Culturelle à l'Ambassade de France au Maroc explique : « Faut-il exalter le peuple ou s'en méfier? En a-t-on fini avec la Vérité !? La profusion des images nous empêche-t-elle de penser? Sur ces questions, et bien d'autres, sur lesquelles une brûlante actualité nous presse de réfléchir, les 4ème Nuits des Philosophes engagent le débat. Ces nuits philosophiques, auxquelles une jeunesse avide de sens a pris l'habitude de se donner rendez-vous, sont des moments uniques pour écouter, voir, réfléchir. Pour rêver notre monde commun ». Quant à Jean-Claude Monod, Commissaire de ces Nuits, il estime que : « Le philosophe allemand Edmund Husserl estimait que faire de la philosophie impliquait, pour commencer, de voir de nouveau le monde avec le regard d'un enfant, en s'étonnant de ce que nous avons pris l'habitude de ne plus tenir pour étonnant. Étonnons-nous alors, au moins le temps d'une nuit blanche.! Étonnons-nous de ce formidable instrument qu'est le langage, qui permet à des individus très différents de s'entendre, sinon de se comprendre, mais aussi de témoigner de leurs désaccords. Étonnons-nous du pouvoir qu'ont pris sur nous les images qui défilent sur les écrans et qui viennent nous enthousiasmer, nous hanter, nous révolter. Étonnons-nous que le fait d'appartenir à des groupes distincts par leur culture, leur croyance et leur Histoire, soit à la fois ce qui fait toute la saveur de l'humanité et ce qui cause parfois ses plus grandes tensions. Vérité, Image, Peuples, sont les fils rouges de cette Nuit où philosophes du Maroc et de France, artistes et public échangeront leurs points de vues, leurs idées, leurs arguments et leurs utopies. S'étonneront-ils de ne pas partager toujours les mêmes étonnements ? Le matin qui se lèvera sur la mer apportera peut-être quelques réponses, sûrement de nouvelles questions d'avenir et combien d'aurores n'ont pas encore lui! Et Dieu créa les Peuples « Le peuple est une idée politique à la fois nécessaire et impossible. Elle est nécessaire parce que les revendications légitimes d'égalité et de liberté ont besoin, pour aboutir, de s'appuyer sur l'idée que les citoyens, ensemble, forment une entité politique qui décide de son sort. Mais elle est impossible parce qu'il est difficile aujourd'hui de se figurer un peuple, tant les individus qui le composent sont nombreux et différents. Dans les Etats modernes, on n'assemble plus l'ensemble des citoyens et ceux - ci peinent, du coup, à percevoir leur unité. Et si la nation a autrefois pu servir à définir ce que pouvait être un peuple, force est de constater que le multiculturalisme des sociétés contemporaines soit aujourd'hui un facteur de confusion. Faut-il alors se résoudre à penser la démocratie, quelle que soit la forme qu'on lui donne (république, monarchie parlementaire, régime constitutionnel) sans faire appel à la notion de «peuple» ? Faut-il redéfinir ce qu'on entend par là, considérant que pour que la politique soit juste, il faut qu'elle émane de citoyens convaincus d'appartenir à un collectif qui doit tenir compte de tous ses membres? La question est ouverte, et nul doute qu'elle constitue l'une de celles que la pensée politique contemporaine ne peut éviter », explique Florent Guénard, Agrégé et docteur en philosophie, spécialiste de philosophie politique et morale et maître de conférences à l'université de Nantes. Quant à Omar Berrada, écrivain et commissaire d'expositions, il pense que : « La vie sociale requiert que le peuple soit représenté, c'est à dire qu'il se dédouble. S'en chargent les politiques, des représentants à son image, mais aussi les artistes qui représentent son image. Le peuple est ainsi muet : des images parlent pour lui. Mais il arrive que les peuples se défassent de leurs doubles et qu'ils sortent de l'image pour se faire entendre ». Voilà, la leçon de philosophie est terminée. Du moins pour cette fois. Et comme chacun sait, chaque nuit finit à l'aube! Hafid FASSI FIHRI