Jean Claude Monod a assuré avec Driss Ksikes le commissariat de la 4e édition des nuits de philosophes. C'est lui qui a ouvert le bal des conférences et débats avec une rencontre inaugurale intitulée «le livre et les livres». Al Bayane : Vous avez assuré avec Driss Ksikes le Commissariat de la 4e édition de la Nuit des philosophes. Expliquez-nous cette expérience. Jean Claude Monod : J'ai été associé à cette nuit après Marc Crépon qui s'est occupé des trois premières éditions. Il m'a été proposé de prendre le relais. J'ai trouvé les trois thématiques intéressantes parce qu'elles sont articulées autour des notions de la philosophie très ancienne dont la vérité, le peuple, l'image et des questions très contemporaines comme le Fake news, l'ère de la poste-vérité. On a trouvé intéressant questionner cette notion à la lumière de cette actualité. Pour l'image c'est pareil ; c'est une vieille notion de la philosophie qui est aujourd'hui d'actualité à travers la puissance des images, entre autres celles véhiculées par la télévision et le net. C'était important de reprendre un peu cette approche critique de l'image, mais pas critique au sens purement négatif. Pour le thème du peuple, il traverse aussi la philosophie moderne. Les peuples n'ont pas la capacité de décider de leur sort par exemple en Grèce, d'accepter des non choix de politique économique...d'où aussi une sorte de retour de populisme qui remet en cause les élites d'une manière un peu différenciée. Vous avez ouvert le bal de la 4e édition de la Nuit des philosophes avec une conférence inaugurale intitulée «le livre et les livres». Comment avez-vous trouvé ce jeune public qui a afflué assez nombreux pour vous écouter? Il y a une ambiance formidable. C'est extraordinaire d'avoir associé les lycéens, les professeurs de lycée parce que cela donne une espèce de fraicheur. On a le sentiment d'avoir une soif de discussion qui est très plaisante. Nietzche disait que la tâche de la philosophie est de «nuire à la bêtise». Aujourd'hui, il y a une montée en puissance du discours populiste. Quelles sont les tâches des philosophes et de la pensée pour déconstruire tous ces discours de haine, de populisme et de la pensée unique? Je pense que les tâches des philosophes regroupent d'une part toutes les tâches qui incombent aux intellectuels, c'est-à-dire promouvoir le travail de la preuve comme disait Bachelard. Après le travail plus spécifiquement des philosophes, il y a un travail sur les préjugés. C'est problématiser les fausses évidences. C'est un travail qui pourrait être difficile ; parfois les gens le vivent comme une agression le fait de remettre en question leurs croyances... or, c'est un travail qui peut être méthodique. Est-il nécessaire que les philosophes et les penseurs quittent les bibliothèques et partent à la rencontre des gens, du public, s'intègrent dans la société, participent aux grands débats d'actualité ? Est-il indispensable aujourd'hui de changer les paradigmes, les matériaux de travail et le discours pour faire face aux enjeux auxquels fait face l'humain de nos jours? J'ai toujours pensé que la philosophie avait quand même une vocation publique. A l'origine c'était le cas ! Evidemment, cette figure de philosophes qui circulent dans la cité, l'agora...où le philosophe doit contempler les idées, et non prendre le pouvoir dans le but de partager les idées qu'il a élaborées et essayer de préciser le langage. Il y a une façon de galvauder les mots dans l'espace public. La philosophie a une tâche de ce point de vue : essayer de préciser les concepts, les distinctions, les mots... Il y a quelque chose de commun avec l'artiste sur ce plan. Mallarmé disait que la fonction de poète, c'est de redonner un sens plus pur aux mots de la tribu. Aujourd'hui, je pense que la philosophie ne doit pas rester élitiste.