Un panel de philosophes a illuminé, vendredi soir à Rabat, la bibliothèque nationale du royaume du Maroc (BNRM). Après une première édition bien réussie, la nuit des philosophes était de retour vendredi 27 novembre, pour une 2e édition qui a fait carton plein. Des moments forts de débat, de dialogue et d'échange ont été partagés jusqu'à une heure tardive, vendredi dernier. Le débat jaillit de la lumière. Il faut dire qu'aujourd'hui, le monde a plus que besoin d'être éclairé, surtout dans le contexte actuel de tourmente. C'est dans une atmosphère conviviale et chaleureuse que s'est déroulé l'évènement. La présence assez forte et remarquable des jeunes et des moins jeunes, dont la plupart sont des étudiants, lycéens et passionnés de la philosophie, a réchauffé cette 2e édition par cette soif du débat, de la connaissance et l'amour de la sagesse les salles archicombles de la BNRM. «Je ne suis pas sûr d'avoir toutes les explications. Il y a un désir très fort désir de débattre et de discuter dans ce pays. Il y a aussi une jeunesse nombreuse qui arrive et qui a besoin de s'exprimer», nous a confié le directeur de l'institut français du Maroc, Jean-Marc Berthon, à l'occasion. Et d'ajouter, «Le message c'est qu'il faut discuter, dialoguer et réfléchir ensemble. Il y a de mauvaises voix en ce moment qui cherchent à nous opposer. Il faut multiplier les moments de partage et de fraternité». La nuit des philosophes était bien meublée de débats et de conférences sur les différentes thématiques, dont «Héritages et modernités », «Idéologies, croyances et violence», «Fragile démocratie», «Cité et hospitalité» et «Homme, nature et progrès», animées par un parterre de penseurs et de philosophes venus de France et de Maroc, notamment Geneviève Fraisse, Mohammed Mustapha Laârissa, Corine Pelluchon, Guillaume Le Blanc, Mohammed Doukkali, Jean-Claude Monod, Nourredine Affaya, Cynthia Fleury, Anoush Ganji, Mohamed Mesbahi, Majid Safouane et bien d'autres. Le public, qui a afflué assez nombreux, a été également séduit par les lectures, les concerts et des expositions poétisant la soirée et mettant en valeur la réflexion philosophique. Organisée par l'institut français du Maroc, la nuit des philosophes a rendu hommage à certains gardiens de la réflexion et de la pensée philosophique au Maroc, à savoir Najib Baladi, Jean Ferrari, Mohamed Abed AlJabri et Mohamed Aziz Lahbabi. Il est à rappeler que le commissariat de ces nuits était assuré par Driss Ksikes, Abdallah Belghiti Alaoui, Driss Jaydane, Agnès Grivaux et Marc Crépon. «Nous avons besoin aujourd'hui de cette philosophie qui interroge chacun de nous sur ce que nous sommes, ce que nous faisons, notre capacité à accepter l'autre et à débattre avec lui. Nous avons besoin aujourd'hui plus que jamais de cette philosophie qui peut éclairer », nous indique le ministre de la Culture, Mohamed Amine Sbihi, à l'occasion de la nuit des philosophes qui s'est tenue le 27 novembre à la bibliothèque nationale du Royaume à Rabat. Al Bayane : Quel est le rôle de la philosophie dans le contexte actuel ? Mohamed Amine Sbihi : La philosophie a pour objet essentiel d'interpeller, d'interroger et de rappeler. Par les temps de crispation qui courent et en cette période d'incertitude dévastatrice, nous avons besoin de cette interpellation et de cette interrogation. Nous avons besoin aujourd'hui de cette philosophie qui interroge chacun de nous sur ce que nous sommes, ce que nous faisons, notre capacité à accepter l'autre et à débattre avec lui. Nous avons besoin aujourd'hui plus que jamais de cette philosophie qui peut éclairer. La nuit des philosophes a eu un franc succès l'année dernière et également cette année, notamment avec la présence d'un public assez jeune? Comment voyez-vous l'avenir de la philosophie avec cette jeunesse marocaine? Cette présence est extrêmement forte. Nous étions très nombreux. Toutes les salles étaient pleines, tous les espaces étaient archicombles. Cela traduit les attentes du public très large. Nous avons rencontré des jeunes, des moins jeunes, des barbus et non barbus, des personnes en foulard. Un échantillon extrêmement large, très représentatif de notre société : c'est une marque d'espoir pour l'avenir. Cela montre le Maroc réel, le Maroc intelligent qui aime la vie, qui aime débattre, qui aime s'interroger, qui aime être éclairé et se retrouver... En se promenant, on a vu la joie sur les visages des gens présents pour se rencontrer, pour discuter, pour débattre, pour picorer une idée dans toutes les salles. C'est une marque incroyable. C'est cela la force du Maroc et c'est dans ce sens que nos pouvoirs publics doivent pousser. Comment le Ministère de la Culture soutient-il la philosophie et les philosophes ? La philosophie est un domaine transversal qui parcourt énormément de domaines. L'action que nous menons pour soutenir l'édition, le livre, le théâtre et les différentes formes d'expressions artistiques, le soutien que nous apportons à l'édition de revues culturelles, à l'organisation de manifestations culturelles, tout cela permet de faire connaitre les pensées philosophiques et nos philosophes. Mais nous sommes prêts à aller encore plus loin. D'une manière plus spécifique, si des revues de philosophie ont besoin d'un soutien, le ministère de la culture est tout à fait ouvert à cela. Cela s'inscrit dans le cadre de ses cahiers de charge. Nous sommes également prêts à soutenir toute initiative permettant d'organiser encore plus de rencontres de ce type ici à Rabat et partout dans le Maroc. Al Bayane : Quel message voulez-vous transmettre à travers «la nuit des philosophes»? Jean-Marc Berthon : Le message c'est qu'il faut discuter, dialoguer et réfléchir ensemble. Il y a de mauvaises voix, en ce moment qui cherchent à nous opposer. Il faut multiplier les moments de partage et de fraternité. Puis, il faut encourager la pensée libre et l'esprit critique parce que c'est ça que les terroristes n'aiment pas et qu'ils attaquent à Paris, à Tunis et dans bien d'autres coins du monde. Comment expliquez-vous le succès de cet événement ? Je ne suis pas sûr d'avoir toutes les explications. Il y a un très fort désir de débattre et de discuter dans ce pays. Il y a aussi une jeunesse nombreuse qui arrive et qui a besoin de s'exprimer. L'autre explication c'est que la philosophie a connu une éclipse pendant plusieurs décennies. Elle a été rétablie par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cet événement confirme que c'est une excellente discision. Lors de cette édition, on a remarqué une participation assez importante de philosophes marocains et français. Comment parvenez-vous à croiser les regards, à travers la réflexion philosophique des deux langues, pour promouvoir les valeurs d'altérité, du vivre ensemble et de l'acceptation de l'autre ? L'un de nos objectifs était d'avoir dans le panel des philosophes français, marocains et aussi des intellectuels qui naviguent entre les deux pays, à titre d'exemple Rachid Benzine, qui est l'un des penseurs de l'Islam aujourd'hui. Il est important qu'il y ait un équilibre. Un équilibre aussi entre la langue française et la langue arabe. C'est important aussi pour nous parce que la langue arabe est une grande langue de pensée et de philosophie. Elle arrive à exprimer des choses qui ne s'expriment pas dans les autres langues. Chaque langue a son génie... donc c'est important que la langue arabe ait toute sa place. Quel rôle peut jouer la réflexion philosophique de nos jours? Elle peut lutter contre la tentation des vérités absolues, définitives... La recherche de la vérité est un processus sans fin, ce qui nécessite une certaine humilité. Ce qui est dangereux c'est la logique de l'idée qui devient folle parce qu'elle ne se confronte à aucune idée, à aucune réalité... Le philosophe cherche toujours, face à une idée, une autre idée pour la confronter, la mettre en débat. «La philosophie et les philosophes ont pour tâche d'éclairer le monde, notamment là où le ciel s'obscurcit. Le retour du fanatisme et du fondamentalisme menacent sérieusement les principes des droits humains. C'est un réel recul sur les acquis de l'humanité face à la barbarie, la violence, la haine de l'autre. Dans nos pays, on a besoin de familiariser les jeunes avec l'esprit du questionnement. Le problème du dogmatisme c'est qu'il s'enferme. En effet, ce radicalisme menace le lien social... le philosophe a pour mission, peut être, de questionner tout cela. Dans cet esprit, Bachelard disait : «il faut interroger l'évidence». C'est dire que la science tout comme la philosophie devraient interroger ces choses qui nous paraissent comme des évidences pour les réélaborer et s'approprier les expériences contemporaines. Je crois beaucoup aux lumières, l'expérience vécue en Europe. Il y a eu en effet des moments de lumière dans l'histoire de la pensée arabo-islamique. C'est incontestable. Maintenant les régressions, les reculs sont idéologiques. Il faut s'en méfier. En outre, il faut réhabiliter le questionnement par la philosophie. Les réponses à ce questionnement doivent être retrouvées dans le champ contemporain, c'est-à-dire dans l'actualité...On ne peut pas trouver des réponses à des questions actuelles dans je ne sais quelle vérité dogmatique, ancestrale. Par ailleurs, réhabiliter la pensée veut dire dialectiser et inscrire le questionnement là où nous rencontrons nos problèmes. Et nos problèmes aujourd'hui sont : accepter la diversité, protéger le lien social, promouvoir le pluralisme. Nous n'avons pas d'autres choix». «Je considère la philosophie comme la conscience de la nation. C'est le dernier abri du monde arabe pour se débarrasser de la mentalité de l'exclusion et du terrorisme qui consiste à commettre le crime au nom du Dieu. En effet, la philosophie nous enseigne ce retour au soi pour penser par nous-mêmes, pour nous-mêmes afin de ne pas céder la place aux autres pour penser et décider, de comment on doit vivre ou mourir et surtout d'une façon barbare qui n'a aucun rapport avec les valeurs et les mœurs. La philosophie a un grand rôle dans ce sens. Il faut que le Maroc élargisse le champ de l'enseignement de la philosophie pour qu'elle soit présente dans les universités techniques, dans les universités de médecine, d'ingénierie... dans le but de former une jeunesse et une génération conscientes et éclairées pour qu'elles ne soient pas la proie des courants fondamentalistes et intégristes qui ne font que démolir notre histoire et notre civilisation».