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«La raison, la paix, l'intelligence ne sont pas les choses du monde les mieux partagées» Exclusif : Entretien avec le philosophe français, Michel Onfray
Le philosophe français Michel Onfray a fait la polémique ces derniers jours, avec ses sorties médiatiques dans la presse française autour du sujet du terrorisme et de «l'Etat Islamique». Il estime ainsi, qu'aujourd'hui, «certains philosophes justifient la guerre contre l'Etat Islamique, d'autres non. Ceux qui refusent l'engrenage d'une guerre qui risque de devenir une nouvelle guerre de Cent ans croient à des solutions où l'on fait d'abord primer la paix avant de déclarer la guerre si la paix s'avère impossible». Dans cet entretien, à l'occasion de la journée mondiale de la philosophie, il nous donne son point de vue sur le rôle de la philosophie dans un contexte de montée en puissance de la violence et du terrorisme. Les propos. Al Bayane : Face à cette montée en puissance de la violence et du terrorisme, quels rôles peuvent jouer les philosophes pour la diffusion d'un discours rationnel et éclairé sur le vivre ensemble et la paix ? Michel Onfray : Les philosophes sont divers et multiples. Certains ont justifié la peine de mort, comme Rousseau & Sartre, d'autres non, ainsi Beccaria & Camus. Certains ont justifié les régimes totalitaires : Hitler, Mussolini, Franco, ou bien Lénine, Staline, Mao, Castro, tel Sartre, d'autres non, toujours Camus. Certains ont justifié le terrorisme, Sartre encore, d'autres non, toujours Camus. Aujourd'hui, certains justifient la guerre contre l'Etat Islamique, d'autres non. Ceux qui refusent l'engrenage d'une guerre qui risque de devenir une nouvelle guerre de Cent ans croient à des solutions où l'on fait d'abord primer la paix avant de déclarer la guerre si la paix s'avère impossible. C'est mon cas. Ca n'est pas le cas de beaucoup d'autres intellectuels qui, presque tous, justifient les bombardements en croyant qu'en faisant décoller des avions du porte-avion De Gaulle pour bombarder l'Irak ou la Syrie, on va assécher le terrorisme venu des banlieues françaises. La raison, la paix, le dialogue, la diplomatie, l'intelligence ne sont pas les choses du monde les mieux partagées – y compris chez les philosophes... A votre avis, quelles sont les tâches des intellectuels et les philosophes dans le contexte actuel ? Travailler à enrayer cet engrenage, en supprimant les causes de ce qui a généré le terrorisme comme effet. Autrement dit, changer de politique étrangère et cesser de s'aligner derrière les Etats-Unis bellicistes des deux Bush. On sait que les droits de l'Homme sont un prétexte donné par les gouvernants de la coalition, la France en tête, aux occidentaux pour les calmer là où il n'y a que commerce, sous-sol, pétrole, minerai, argent, dollar, vente d'armes, situations stratégiques d'un point de vue géographique pour des raisons commerciales et militaires. Tout cela vaut-il une guerre qui prend la forme du terrorisme en France ? Non, trois fois non. Pensez-vous qu'aujourd'hui le discours et les réflexions philosophiques ont besoin de réhabilitation ? Bien sûr que oui mais, surtout, hélas, chez les philosophes en premier lieu. Car si, comme l'homme du commun, le quidam de la rue, le penseur de comptoir, le philosophe débranche son intellect pour se brancher sur sa testostérone, alors le nihilisme est accompli. Nous n'assistons de toute part qu'à la mobilisation de gens qui ont aboli des siècles de réflexion sur le droit, qui ont effacé d'un trait de plume un demi-millénaire de pensée juridique pour en revenir au talion : œil pour œil, dent pour dent... Nous avons régressé de trois mille ans, avec la complicité d'un grand nombre de philosophes. Denis Diderot disait dans «De l'interprétation de la nature» la chose suivante : "Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes." Qu'en pensez-vous ? Les philosophes qu'on entend le plus relèvent d'une sociologie de privilégiés : parents, écoles, études, diplômes, quartiers, etc. Le peuple est pour eux une notion, un concept, une chose. Quand ça n'est pas le cas, ils trouvent que le peuple pense mal, ne pense pas. Ils oublient alors qu'ils n'ont jamais rien fait pour éclairer un peuple qui, de ce fait, est devenu populace, plus nourri de média que de livres, plus engraissé comme une oie par les journalistes que taillé comme un diamant par la philosophie.