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Recherche publiée par le think tank marocain OCP Policy Center: «Retour des combattants terroristes étrangers : Une menace imminente à gérer » : Daech ou l'inhumain barbare, cruel et atroce (1ère partie)
Spécialiste des questions sécuritaires et du terrorisme international, Abdelhak Bassou nous mène, dans une recherche publiée par le think tank marocain OCP Policy Center, à la lumiere de sa connaissance du sujet et de son expérience professionnelle dans ces domaines sur la trace des combattants terroristes étrangers, en faisant le passage obligé du constat de la situation de Daech, Jabhat Fath Al Sham, ex Jabhat Annousra et la définition de «combattants terroristes étrangers». A la clé, une riche présentation de leur formation et les entraînements qu'ils subissent, leurs choix finaux et ceux de leurs destinations probables, avant de nous livrer une évaluation de la menace qu'ils représentent et la manière la plus rationelle et efficiente de gestion du retour à leurs pays d'origine des combattants terroristes étrangers. Nous présentons, ci-après, la première partie de cette étude qui constitue un apport précieux pour la recherches dans le domaine complexe et obscure du terrorisme. Au dernier trimestre de l'année 2016, les spécialistes du terrorisme étaient encore occupés par la contre-radicalisation, l'endoctrinement et les dangers des départs des jeunes recrues vers les foyers de tension, alors que la question du retour chez eux commençait déjà à se poser, dans leurs pays d'origine, de ceux qui ont expérimenté la guerre et acquis d'importantes capacités de combat. Ils avaient dès les débuts de la deuxième décennie afflué en Syrie et en Irak de partout dans le monde. En Irak : Depuis le début de l'année 2016, Daech se trouve sur une courbe descendante et perd des territoires aussi bien dans les provinces de Ninawa et d'Al Anbar que dans celle de Salah Eddine. Lancée dès la mi-Octobre 2016, la bataille de récupération de Mossoul avance, quoique difficilement, notamment du côté Est, qui a déjà été récupéré. En Syrie : Daech est dans les mêmes difficultés. Depuis son échec en 2015 à Kobané et à Tall Abyad face aux kurdes syriens (unités de défense du peuple Kurde) soutenus par la coalition occidentale, elle surfe également sur une vague de défaites aggravée par l'entrée effective dans la bataille des forces armées turques, appuyant l'armée syrienne libre. Ces derniers sont sur le point d'achever le déboutement des combattants de Daech hors des positions qu'elle occupait dans le nord syrien à la frontière syro-turque. Auparavant, le soi-disant Etat Islamique avait perdu la ville symbolique de Dabiq qui compte non seulement pour une perte territoriale, mais également comme un coup porté à l'appareil de propagande de l'organisation terroriste. Jabhat Fath Al Sham, ex Jabhat Annousra à laquelle se sont alliés plusieurs groupes armés, est obligée de se retirer vers Idlib après avoir perdu Alep. Les troupes du régime, soutenus par l'aviation russe et les milices du Hizbollah ont repris les quartiers Est d'Alep, bastion de l'opposition armée au régime de Bechar Al Assad, conduit par l'ancienne franchise d'Al Qaeda, qui encore une fois change de nom, en ce début de 2017, pour devenir Hay'aat Tahrir Al Sham. De nombreux retours des combattants terroristes étrangers ont certes été constatés au cours des deux dernières années, mais le démantèlement des structures militaires organisées de Daech et de Jabhat Fath Al Sham va accélérer le mouvement. Les retours se feront durant les deux prochaines années de manière plus dense. La perte des territoires par les organisations terroristes en Irak et en Syrie ainsi que les traitements que risquent de subir les combattants étrangers s'ils sont arrêtés par le régime syrien ou les combattants du Hachd Acchaabi, les poussera à quitter le terrain des opérations pour retourner chez eux ou rejoindre d'autres foyers de violence. M. Bassou précise que selon les chiffres donnés par Gilles de Kerchove, coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme, 50% des ressortissants ou résidents européens ayant rejoint les rangs de l'État islamique (EI ou Daech) seraient encore en Irak et en Syrie actuellement, ce qui représente entre 2.000 et 2.500 individus. Toujours selon M. de Kerchove, 30 à 35% d'entre eux sont déjà rentrés et 15 à 20% ont été tués. Un certain nombre de ceux déjà rentrés a été condamné à la prison, alors que d'autres sont sous surveillance. Qui sont les combattants terroristes étrangers ? La résolution 2178 (2014) du Conseil de sécurité Elle les définit comme des individus « qui se rendent dans un Etat autre que leur Etat de résidence ou de nationalité dans le dessein de commettre, d'organiser ou de préparer des actes de terrorisme, ou afin d'y participer, de dispenser ou recevoir un entrainement au terrorisme, notamment dans le cadre d'un conflit armé». Les conditions sont ici au nombre de trois. La personne doit : - se rendre dans un pays autre que celui de sa nationalité ou de sa résidence ; - avoir pour dessein de participer par quelque moyen que ce soit à des actes terroristes ou d'y recevoir/dispenser un entrainement au terrorisme ; - Une précision est ajoutée concernant le cadre du conflit armé. Thomas Hegghammer expert norvégien (spécialistes des affaires de terrorisme, il est depuis Septembre 2015 professeur adjoint au département de science politique de l'Université d'Oslo) fournit une définition plus étoffée en établissant quatre critères. « Le combattant terroriste étranger est pour lui un individu qui : - a rejoint une insurrection et qui opère en son sein ; - n'a ni la citoyenneté ni le lien de parenté avec les parties en conflit ; - n'est pas affilié à une organisation militaire officielle et ; - n'est pas payé. » La notion de « combattant terroriste étranger » est donc bicéphale : - Un « combattant étranger » est un individu qui a quitté son pays d'origine et qui a rejoint un groupe armé non étatique dans un conflit armé à l'étranger par idéologie, croyance ou affinité. - Il est terroriste. Cet attribut renvoi à deux explications : - Il s'agit soit d'une personne qui rejoint des pays sur les territoires desquels des organisations terroristes sont installées et disposent de camps d'entraînement où il peut recevoir une formation qui lui permettra d'opérer des attentats à son retour dans son pays d'origine ; - Ou encore d'un combattant qui commet des actes terroristes sur le territoire où se déroule le conflit armé, sachant que ce territoire n'est pas celui de son pays d'origine. Une formation et une qualification étudiées et ciblées La première préparation : Il s'agit ici de l'entrainement que subissent toutes les recrues de Daech. Une sorte de programme de base qui qualifie le candidat et le prépare à rejoindre les zones de combats. Ainsi, lorsqu'un djihadiste rejoint l'organisation, il est envoyé dans le camp «de première préparation ». Il y subit un entraînement intensif qui couvre aussi bien le maniement des armes, y compris des fusils et des mitrailleuses Kalachnikov, des pistolets que des épreuves sportives et d'endurance. Cette formation est assortie de cours de religion destinés à légitimer toute les atrocités qu'il est demandé aux combattants d'exécuter. Ces cours sont beaucoup plus des séances d'endoctrinement et de radicalisation que de simple cours de théologie musulmane. La nature de cette formation, dite religieuse, la destine à faire du combattant une machine à tuer qui exécute des actes barbares sans émotions ni remords. Selon un rapport diffusé par Europol en Janvier 2016, la formation des recrues de Daech porte essentiellement sur l'utilisation d'armes et d'explosifs ainsi que sur des différentes techniques pour tuer. Elles sont également formées pour des actions clandestines, pour le renseignement et la « contre-surveillance » comme techniques de guérillas ou de terrorisme urbain. Après avoir été intégrés dans les unités de combat, les terroristes subissent des entrainements plus spécifiques dans des camps «de continuité » qu'on peut assimiler à une sorte de formation continue ou de spécialisation. Les combattants de Daech n'ont à ce niveau rien à envier à ceux entrainés par Al Qaeda. Si les niveaux des performances en termes de rigueur des règles de survie, d'endurance et de maniement des armes et explosifs s'équivalent chez les deux organisations, les combattants entrainés par Daech dépassent ceux d'Al Qaeda en termes de barbarie. Plus que l'Afghan arabe des années 1990 qui était inhumainement violent, le combattant terroriste étranger actuel est inhumain de manière barbare, cruelle et atroce. Daech s'appuie dans sa barbarie sur l'ouvrage intitulé « Questions tirées de la jurisprudence du Jihad » (Masa'il min Fiqhi Ljihad) d'un théologien égyptien nommé Abou Abdallah Al Mouhajer. Ce dernier a légitimé toutes sortes de barbarie, de la décapitation à l'assassinat de musulmans en passant par celle des femmes et des enfants. L'enseignement des théories d'Al Mouhajer finit par convaincre les recrues de la légitimité et de la légalité de la barbarie qu'ils pratiquent. Formation des unités d'élite Harry Sarfo, ancien combattant allemand de l'État islamique qui purge une peine de trois ans pour une accusation de terrorisme dans une prison de Brême, a été interviewé en l'été 2016 par Gordon Welters pour le New York Times. C'est à travers cette interview que l'on connaitra le plus sur la formation des unités d'élites de Daech, les commandos destinés aux missions à l'extérieur. Ils sont, durant une longue période, questionnés, recensés et réinterrogés. On retient aussi qu'après les formalités administratives, le test de volonté de combattre commence : « Se doucher était interdit. Manger aussi à moins qu'ils ne vous donnent de la nourriture, la caverne qui sert de dortoir est partagée entre cinq ou six personnes. L'eau potable était sévèrement rationnée. Chaque habitation recevait un demi-litre d'eau par jour, mis sur le pas de porte, l'objectif étant de tester les recrues pour s'assurer de qui en voulait vraiment de manière inflexible » rapporte Harry Sarfo. La formation proprement dite consiste en : - La première semaine, les candidats passent des heures à courir, à sauter, à faire des pompes, des barres parallèles, à ramper. Certaines recrues commençaient à s'évanouir ; - La deuxième semaine, commence l'entrainement avec un fusil d'assaut Kalachnikov. La consigne est de le garder avec soi, même pour dormir, jusqu'à ce qu'il devienne « comme un troisième bras » ; - La punition pour désobéissance était sévère. « Un garçon a refusé de se lever, parce qu'il était trop épuisé, » a déclaré M. Sarfo aux autorités. « Ils l'ont attaché à un poteau pieds et poings liés et l'ont laissé là » ; - Ce programme des forces spéciales comporte 10 niveaux de formation. Après avoir obtenu le diplôme de niveau 2, le candidat est emmené sur une île d'une rivière de Tabqa, en Syrie. Le couchage des recrues était fait de trous dans le sol, recouverts de bâtons et de brindilles. Ils sont entrainés à la natation, à la plongée sous-marine et à l'orientation. C'est sur ce genre de combattant que Daech compte pour ses opérations spéciales, celles qui selon le jargon de l'organisation « Font mal à l'ennemi ». Si plusieurs sources de renseignement européen affirment que plusieurs combattants de ce genre sont déjà retournés en Europe et dans d'autres pays, leur renforcement par ceux qui seront obligés de retourner après la défaite de Daech accentue le risque et augmente la menace. La formation des enfants L'organisation djihadiste accorde une grande importance aux enfants qu'elle appelle les garçons « lionceaux » et les filles « perles ». D'où viennent-ils ? - Certains parmi eux vivaient en Irak et en Syrie avant que la conquête par Daech des terres où ils vivaient ne les rattrape ; - D'autres ont accompagné leurs parents venus d'Occident, en famille, pour mener le djihad au Moyen-Orient ; - Il y a également ceux nés sur le territoire du "Dar al islam" selon la dénomination employée par Daech pour désigner les territoires tombés sous son contrôle depuis 2013. Dans ces zones, les femmes sont tenues d'enfanter, durant un an à dix-huit mois maximum à compter de la date de leur mariage. Selon le témoignage de deux enfants syriens qui ont fui les camps de Daech, les enfants suivent un même programme répété à l'identique de manière à transformer les gestes en réflexes et les pensées en instincts : Lever à 8 heures, petit déjeuner puis entraînement physique. Les garçons devaient courir lestés de poids. Quand ils lambinaient, leurs instructeurs n'hésitaient pas à tirer autour d'eux à balles réelles. Ensuite, tir au fusil et au pistolet. Après le déjeuner, leçon sur la ceinture explosive. Puis, comment tuer un ennemi en lui plantant un couteau dans le cou. Chaque mouvement répété jusqu'à atteindre la perfection. Tuer devenait la chose la plus normale au monde. Trois destinations probables Trois solutions possibles se présentent devant les combattants terroristes étrangers aussi bien ceux affiliés à Daech que ceux de Jabhat Fath Al Sham : - Mener les combats ultimes : Les succès enregistrés sur le terrain par les coalitions occidentale et russe ainsi que les avancées de l'armée turque ne signifient nullement que la fin des combats est pour les semaines ou les mois prochains. Si en Irak Daech est à son dernier combat où elle défend son dernier bastion à Mossoul, sa situation sur le territoire syrien est plus favorable. L'organisation contrôle encore de larges pans du territoire syrien à Raqqa ; Dir-Ezzour, et sur la frontière irako-syrienne notamment dans la région d'AlQaem. L'organisation a également repris le contrôle de Palmyre. Dans ces derniers fiefs, Daech maintiendra des poches de résistances où certains combattants étrangers préfèreraient lutter jusqu'au souffle ultime. Il en est de même de la région d'Idlib en Syrie où s'est retiré Jabhat Fath Al Sham et les groupes qui lui sont alliés après leur défaite à Alep. Les combattants étrangers de cette organisation peuvent encore rester dans ces régions et mener de la résistance. - Rejoindre d'autres pays, des zones grises ou d'autres foyers de tension : - Les Balkans : Certains pays des Balkans peuvent servir de refuge même provisoire aux terroristes de retour des foyers syro-irakiens. Des pays comme la Bosnie, le Kosovo ou encore l'Albanie, conservent des traces des réseaux d'Al Qaeda qui ont rejoint ces pays dans les années 1990. Répondant à la question de savoir si l'Etat islamique avait un intérêt particulier à s'implanter dans les Balkans, Jean-Arnault Dérens, rédacteur en chef du "Courrier des Balkans" déclare que « c'est effectivement un sujet d'inquiétude... les Balkans sont un terreau particulièrement favorable pour les candidats au djihad et que ces derniers peuvent bénéficier de relais dans la région. Les Bosniens qui se rendent en Syrie et en Irak pour combattre au côté de l'Etat islamique sont pour la plupart des hommes jeunes qui ont souvent grandi à l'étranger avec le "mythe" des moudjahidines venus "sauver la nation" et le djihad est parfois vu par cette génération comme un moyen de recoller à leur identité... » - L'Afrique du Nord : Deux destinations attirent l'attention en Afrique du Nord ; d'une part le Sinaï, ou s'implante l'organisation ''Ansar Beit Al Maqdis'' affilié au soi-disant Etat Islamique et d'autre part, la Libye où pullulent des organisations et groupes terroristes de tout bord. Si la première destination se caractérise par sa proximité des foyers Irako-syriens, la seconde est une destination possible en raison de l'absence d'un véritable Etat et de la persistance notamment au sud d'un chaos où se mêlent influences tribales, criminelles et terroristes. Plusieurs combattants de retour, peuvent choisir de continuer l'action djihadistes dans ces foyers. - Le Sahel : La région est ici infestée de groupes de tendance Al Qaeda, elle est donc ouverte aux maghrébins de cette tendance et qui pour la plupart se trouvent aujourd'hui aux côtés de Jabhat Fath al Sham. Certains combattants de Daech peuvent également opter pour le Sahel moyennant un changement d'Allégeance. - Les foyers asiatiques : En Asie du Sud-Est, 22 groupes et groupuscules djihadistes ont prêtés allégeance au Calife autoproclamé, Abu Bakr al-Baghdadi. Parmi ces groupes, les deux plus influents sont la Djamaa Islamiya en Indonésie, et le groupe Abou Sayyaf aux Philippines. L'Indonésie constitue l'épicentre du phénomène islamiste radical en Asie du Sud-Est. Le pays connaît des violences depuis de nombreuses années. Une analyse fondée sur l'antécédent afghan montre que les années 1980-1990 sont marquées par des centaines d'Indonésiens, de Malaisiens et de Philippins qui étaient partis combattre les Soviétiques en Afghanistan. Ils étaient revenus entraînés et endoctrinés par Al-Qaïda, et avaient commis plusieurs attentats et prises d'otages. En Asie centrale, certains experts craignent aussi pour l'Ouzbékistan après la mort du président Islam Karimov qui a mené la lutte contre les extrémistes d'une main de fer. La vallée de Ferghana comme foyer de groupes et groupuscules radicaux pourrait également en raison de tendances radicales autochtones et de la proximité de l'Afghanistan devenir un nouveau foyer d'asile pour les combattants étrangers issus de toute la région. L'Afghanistan peut à nouveau constituer une terre d'asile pour les combattants terroristes étrangers obligés de quitter le foyer syro-irakien. (*) - Abdelhak Bassou a occupé plusieurs postes au sein de la Direction générale de la Sécurité nationale marocaine où il a été chef de la division des frontières de 1978 à 1993. Il a été directeur de l'Institut royal de police en 1998. Il a également occupé le poste de chef de la sécurité régionale Errachidia 1999-2003, Sidi Kacem 2003-2005) et a également été chef du Service central des renseignements généraux de 2006 à 2009. Il a également contribué aux travaux de plusieurs organisations internationales dont le Conseil des ministres arabes de l'intérieur de 1986 à 1992, où il a représenté la Direction générale de la sécurité nationale à plusieurs reprises. Abdelhak Bassou est titulaire d'une maîtrise en sciences politiques et en études internationales de la faculté de droit, d'économie et de sciences sociales d'Agdal à Rabat. ____________________________ - OCP Policy Center est un important think thank marocain constitué de chercheurs de qulité. Il a été retenu dans le récent classement mondial des Think Tanks par the Think Tanks and Civil Societies Program du Lauder Institute de l'Université de Pennsylvania, où il a été classé 2ème Think Tank au Maroc et 13ème dans la Région MENA