L'envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, a annoncé avoir eu jeudi, lors des pourparlers de paix de Genève, des discussions «de fond» «productives» avec les représentants de l'opposition au président Bachar al Assad, même si les positions des deux camps restent éloignées. L'opposition a fait circuler mercredi son projet de transition politique pour la Syrie, appelant de ses voeux un «processus de changement démocratique, radical, profond et complet» en Syrie. Ce document va loin dans le détail, a estimé jeudi Staffan de Mistura. Le médiateur a estimé que les positions du gouvernement et de l'opposition étaient encore très éloignées mais que les parties avaient en commun de vouloir maintenir l'intégrité territoriale de la Syrie et de ne pas vouloir de système fédéral. Georges Sabra, membre du Haut comité des négociations (HCN), principal organisme de représentation de l'opposition, a estimé à ce sujet que la déclaration des Kurdes de créer un Etat fédéral était «illégitime» et «inacceptable». Les trois zones autonomes du nord de la Syrie tenues par les Kurdes ont approuvé jeudi la création d'une entité «fédérale démocratique», malgré les mises en garde de Damas et d'Ankara. La question du calendrier a également été abordée, a précisé une des négociatrices de l'opposition, Bassma Kodmani, qui a réitéré la volonté de l'opposition d'aller vite. Elle a indiqué que l'opposition avait remis à l'émissaire de l'ONU un «mémo détaillé» sur le futur organe de transition. «Nous voulons aller vite», a-t-elle dit. «Nous avons eu des discussions très substantielles sur la transition politique», a déclaré M. de Mistura, qui s'est dit «impressionné par la préparation» de l'opposition. «J'espère que j'obtiendrai la même clarté de la part du gouvernement», a ajouté le diplomate italo-suédois, qui devait rencontrer vendredi matin la délégation de Damas pour la troisième fois depuis le début de la semaine. Les pourparlers indirects entre régime et opposition, menés sous l'égide de l'ONU, doivent être centrés sur les modalités de la transition politique en Syrie, afin de sortir d'un conflit qui a fait plus de 270.000 morts en cinq ans et fait des millions de réfugiés, provoquant une crise migratoire sans précédent en Europe. Toutefois, les interprétations sur l'organe de transition (gouvernement d'union élargi selon Damas, autorité ayant les pleins pouvoirs et excluant le président Bachar al-Assad selon l'opposition) constituent l'un des principaux points de blocage. Sur le terrain, la situation a été «étrangement calme» ces trois derniers jours, a estimé de Mistura qui n'a pas pour autant voulu parler de «tendance». «Les choses peuvent changer très rapidement», a-t-il fait valoir. Une «cessation des hostilités» plus ou moins respectée est en vigueur depuis bientôt trois semaines en Syrie. Les deux camps détiennent chacun des prisonniers, a rappelé Staffan de Mistura, mais leur nombre est beaucoup plus élevé du côté du gouvernement syrien que du côté de l'opposition, a précisé l'envoyé spécial. Fédéralisme kurde Tandis que se poursuit le périlleux exercice diplomatique à Genève, les Kurdes syriens, tenus à l'écart du processus, ont proclamé de leur côté une région fédérale dans le nord de la Syrie, une mesure interprétée comme un pas de plus vers l'autonomie. L'opposition et le régime de Damas, qu'un fossé abyssal sépare toujours après cinq ans de guerre, se sont d'ailleurs retrouvés pour unanimement rejeter la proclamation des Kurdes syriens : Damas a mis en garde contre «toute atteinte à l'unité du territoire et du peuple syriens», tandis que l'opposition mettait en garde contre «une aventure sans fondement légal». Acteurs incontournables de la tentaculaire crise syrienne, les Kurdes, qui contrôlent désormais 14% de la Syrie et les trois-quarts de la frontière syro-turque, ne sont pas associés aux pourparlers de Genève, en raison de l'opposition farouche de la Turquie, qui considère leur parti, le PYD, comme «terroriste» et craint les répercussions au niveau de sa propre communauté kurde. Les Etats-Unis, qui ont prévenu qu'ils ne reconnaîtraient pas la création de la région autonome et unifiée kurde, ont cependant souligné que les Kurdes syriens restaient d'»excellents partenaires» dans la lutte contre le groupe Etat islamique. En annonçant un système fédéral et l'union de trois «cantons» kurdes (Afrine, Kobané et Jaziré) et des régions récemment conquises dans le nord du territoire syrien, les Kurdes adressent un «message politique» aux négociateurs de Genève, selon Mutlu Civiroglu, un expert basé à Washington. Autre message, celui émis de Moscou par Vladimir Poutine. Le président russe a prévenu qu'il pouvait redéployer ses avions «en quelques heures» dans le ciel syrien en cas de violation de la trêve. «Ce n'est pas ce que nous voulons, une escalade militaire n'est pas dans notre intérêt», a toutefois ajouté M. Poutine, qui avait créé la surprise lundi en annonçant le retrait du gros des forces russes de la Syrie.