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Entretien avec le Pr Aziz Lahlou, enseignant d'analyse économique : « La réforme monétaire implique des rapports d'échange stables entre le Dirham et les devises étrangères »
Propos recueillis par Nadia NACIRI On peut valablement se demander pourquoi l'intervention de l'Etat est nécessaire à l'économie de marché et non pas seulement si elle est souhaitable. Or, de nombreux économistes mettent en avant le fait que la croissance de l'Etat dans l'activité de production n'est pas un obstacle au développement économique. Ancien maître-assistant à l'Université de Paris I-Panthéon - Sorbonne, docteur d'Etat en Analyse Economique de cette même université, le professeur Aziz Lahlou, qui est actuellement professeur d'Analyse Economique à l'E.N.A. de Rabat, défend l'interventionnisme étatique. A l'inverse de ce que l'idéologie libérale du « moins d'Etat » tend à créditer. Question : Du point de vue de la gestion quotidienne, la seule question qui compte est de savoir si le marché peut à lui seul assurer la stabilité, l'allocation optimale des ressources et la distribution équitable des richesses. D'où la question : l'idée de la convertibilité du dirham n'est-elle pas d'ajuster les taux de change aux taux d'inflation ? Réponse : La réforme monétaire implique effectivement des rapports d'échange stables entre le dirham et les devises étrangères. Mais, de tels rapports ne pourront exister tant que l'inflation sévira dans les pays industriels. Les variations entre indices d'inflation devront être compensées par des réajustements des taux de change... Le dirham n'est pas une monnaie librement convertible. Le dirham est toujours soumis à un système de change non flottant, son cours est établi par rapport à un panier de monnaies. Le dirham fut indexé à 80% sur l'euro et 20% sur le dollar. Mais depuis le 13 avril 2015, le dirham est indexé par rapport à un panier basé à 40% sur le dollar et à 60% sur l'euro, ceci est, bien entendu, en fonction des importations et des exportations du pays. L'objectif actuellement est la préparation du dirham à une cotation vers un système de change flottant afin de préparer l'économie marocaine à intégrer l'économie mondiale. Question : Pouvez-vous donner un exemple pratique de l'importance et des enjeux de cette nouvelle stratégie ? Réponse : Depuis plusieurs années, les Marocains ont eu beaucoup de mal à payer les factures de leurs importations de produits alimentaires et de matières premières et également à payer les intérêts de leur dette. D'autant plus que le coût élevé de nos produits manufacturés, la médiocrité de leur qualité et la longueur de leurs délais de livraison les mettaient dans une position très défavorable face à la concurrence étrangère, notamment espagnole. Avant que la baisse du dirham des dernières années ait pu porter ses fruits en stimulant les exportations, elle avait fait monter les prix des produits importés et aggravé le coût de la vie. Notre pays contracta de gros emprunts auprès du F.M.I. Pour satisfaire aux conditions de cette institution monétaire, le Maroc dut alors procéder à des réductions sévères dans son programme de dépenses publiques. Ce freinage de la progression des salaires et des prix fut l'amorce du redressement. Les exportations équilibrèrent petit à petit les importations. Des portefeuilles de devises étrangères s'accumulèrent à Bank Al-Maghrib et il devient possible de rembourser des emprunts. Vous le savez bien, une chose est sûre, c'est que le F.M.I n'offre pas de traitement permanent contre l'instabilité du marché des changes. Il faut en chercher le remède dans la maîtrise de l'inflation des principaux partenaires économiques du Maroc. Q : Le Maroc suit sa propre voie pour sortir de la crise. Mais, tant que des disparités subsisteront entre nous et nos partenaires économiques, peut-on, d'après votre analyse, espérer une amélioration de la situation ? R : Oui et non, car l'instabilité des changes persistera. Le cours de l'euro, c'est-à-dire la monnaie de notre premier partenaire – l'Europe – à faible taux d'inflation continuera à monter. Et le dirham harcelé par l'inflation, ou la mise en œuvre de la politique d'ensemble des revenus et des prix, rencontrera plus d'obstacles, assistera vis-à-vis de l'euro impuissant au dérapage de sa valeur. Oui, sans aucun doute, le Maghreb se porterait beaucoup mieux, si notre région, forte et véritablement unie, était capable de mettre au point et d'appliquer une politique efficace commune en matière de prix et d'emploi. Il est toujours préférable d'avoir le contre-poids d'un autre pôle d'influence. Nous sommes lucides ici, pour aujourd'hui, c'est l'Europe. Q : En attendant, il y a un degré minimal de coopération indispensable ? R : Malgré les bonnes intentions, le Maghreb est loin d'avoir réalisé son unité. L'unité implique, pour moi, une politique fiscale et monétaire commune et des mesures de contrôle identiques sur les prix, les salaires et les revenus. C'est seulement une fois que toutes ces conditions seront réunies qu'il sera possible de créer une monnaie maghrébine. Mais, nous en sommes encore très loin. Q : Ces prix imposés par l'Europe ne constituent-ils pas une source d'instabilité permanente ? R : Oui, mais la prééminence de l'Europe ne doit pas donner au Maghreb un alibi pour baisser les bras. Je m'explique : par exemple, la politique d'ensemble des revenus et des prix serait plus aisément réalisable si tous les pays du Maghreb comprenaient son enjeu et harmonisaient leurs efforts pour en appliquer les dispositions. Ainsi, chacun de nous pourrait mieux se protéger des effets des mouvements de prix en dehors de ses frontières. Q : Aurions-nous pu nous prémunir contre cette situation ? R : Bien sûr que c'est une situation fâcheuse mais pas désespérée. On parlera d'extension de délai, de report, de refinancement, de moratoire, etc. Et l'esprit d'entreprendre chez nous démontrera de nouveau sa merveilleuse souplesse. C'est une précaution élémentaire, si nous voulons sauvegarder notre indépendance économique et être prêts à affronter les défis du troisième millénaire.