Les délégations des 195 pays qui prennent part à la conférence des Nations unies sur le climat (COP 21) ont adopté samedi soir le projet d'accord soumis par la présidence française de la COP au terme de deux semaines de négociations. Le texte a pour objectif de limiter le réchauffement climatique bien en deçà de 2 C et fixe à 100 milliards de dollars par an le "plancher" de l'aide climatique aux pays en développement. Il prévoit aussi tous les cinq ans un bilan collectif des progrès réalisés dans ce domaine. Un accord sans précédent pour lutter contre le réchauffement, dont l'ampleur menace la planète de catastrophes climatiques, a été adopté à Paris par 195 pays, mais beaucoup reste à faire pour que les engagements ambitieux se concrétisent. "Je déclare l'accord de Paris pour le climat adopté", a déclaré samedi, ému, Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères et président de la 21e conférence climat de l'ONU (COP21), en abattant son maillet sur le pupitre au centre de conférences du Bourget, au nord de Paris. Dans une atmosphère euphorique, une ovation de plusieurs minutes a salué ce moment historique, six ans après le fiasco de la COP de Copenhague, qui avait échoué à sceller un tel accord, et après des années de négociations extrêmement ardues. Pour limiter les dérèglements climatiques - multiplication des vagues de chaleur, des sécheresses et des inondations, fonte accélérée des glaciers -, l'accord entérine l'objectif très ambitieux de contenir le réchauffement "bien en deçà de 2°C". Il appelle même à "poursuivre les efforts pour limiter la hausse à 1,5°" par rapport à l'ère pré-industrielle, une demande des pays les plus vulnérables. Jusqu'à présent, les 2°C étaient visés. L'aide climat aux pays en développement, qui doit atteindre 100 milliards de dollars annuels en 2020, devra être "un plancher", appelé à être revu à la hausse. C'était aussi une exigence forte des pays du Sud. En réunion plénière, des discours enthousiastes ont accueilli l'accord, seul le Nicaragua émettant des réserves. Edna Molewa, ministre sud-africaine de l'Environnement dont le pays préside le groupe le plus important, le G77+Chine (134 pays), y a vu "un tournant vers un monde meilleur et plus sûr". "Nous pouvons rentrer à la maison pour mettre en œuvre cet accord historique"", s'est réjoui, au nom des pays développés, la ministre australienne Julie Bishop. "L'histoire jugera le résultat non pas sur la base de l'accord d'aujourd'hui, mais sur ce que nous allons faire à partir d'aujourd'hui", a tempéré Thoriq Ibrahim, ministre de l'Environnement des Maldives et président du groupe des Petits Etats insulaires. "Il reste encore beaucoup de travail à accomplir", a abondé la chancelière allemande Angela Merkel, mais l'accord "est un signe d'espoir". "Le problème n'est pas résolu", mais "l'accord de Paris (...) établit le cadre durable dont le monde a besoin pour résoudre la crise climatique", selon le président américain Barack Obama. Accélérer la transition énergétique Reflétant le sentiment de plusieurs grandes ONG, Greenpeace a estimé que l'accord marquait un "tournant" et reléguait les énergies fossiles "du mauvais côté de l'Histoire". Lors du coup d'envoi de la COP21, 150 chefs d'Etat et de gouvernement étaient venus exprimer l'urgence à agir contre le réchauffement, qui touche d'abord les pays les plus pauvres. L'emballement du mercure menace la production agricole, les ressources marines et les réserves en eau de nombreuses régions, et la montée des océans met en danger des Etats insulaires, comme les îles Kiribati, et des communautés côtières, au Bangladesh par exemple. Le pacte, qui entrera en vigueur en 2020, doit permettre de réorienter l'économie mondiale vers un modèle à bas carbone. Pareille révolution implique un abandon progressif des ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz), qui dominent largement la production énergétique mondiale, un essor des énergies renouvelables, d'immenses économies d'énergies ou encore une protection accrue des forêts. L'accord consacre l'importance de donner un prix au carbone pour stimuler les investissements dans les énergies propres. "En 2014, c'est la première fois que les investissements dans les énergies renouvelables ont dépassé ceux dans les énergies fossiles, ce mouvement doit s'accélérer, l'accord va y contribuer", a souligné Matthieu Orphelin, de la Fondation Nicolas Hulot. Les objectifs des pays établis en vue de la COP, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, mettent à ce stade la planète sur une trajectoire de +3°C. L'accord instaure un mécanisme imposant de réviser ces objectifs à la hausse tous les cinq ans, mais à partir de 2025 seulement - trop tardif pour les ONG et les scientifiques, dont certains ne cachent pas leur scepticisme. "A +2°C, le climat sera déjà très différent d'aujourd'hui", rappelle le climatologue Jean Jouzel. "Mais 2°C ou moins, c'est l'objectif qu'il faut tenir si, à la fin du siècle, on veut avoir un monde dans lequel on peut s'adapter". "Atteindre cet objectif nécessite de laisser les carburants fossiles dans le sol, non exploités", mais "rien n'est dit sur la façon dont cela se fera", souligne Nick Hewitt, professeur en chimie atmosphérique à l'Université de Lancaster (Royaume-Uni), pour qui "il y a d'importantes raisons d'être sceptique". Une "étape historique" à concrétiser Après l'euphorie et les discours qui ont salué l'accord de Paris sur le climat comme une "étape historique", le plus dur reste à faire: concrétiser les engagements ambitieux pris par 195 pays. Résumant un sentiment général, le président américain Barack Obama a reconnu dès samedi soir que "le problème n'est pas résolu grâce à l'accord de Paris". Les divergences qui se sont exprimées en près de deux semaines de difficiles négociations au Bourget, près de Paris, ont souligné l'ampleur des obstacles restant à surmonter. L'accord se fixe pour objectif de limiter "bien en deçà" de deux degrés Celsius la hausse du thermomètre par rapport à l'ère préindustrielle, et même, si possible, à 1,5 degré. Une tâche qui s'annonce difficile: le réchauffement de la planète a déjà atteint près d'un degré, a averti le mois dernier l'Organisation météorologique mondiale. Et même s'ils étaient respectés, les engagements de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre déjà annoncés par la quasi-totalité des pays placeraient la Terre sur une trajectoire de +3 degrés. Le seul espoir réside dans les dispositions de l'accord encourageant les pays à revoir leurs promesses à la hausse dans les années à venir. "C'est l'élément clé pour assurer que les actions deviennent de plus en plus fortes, de manière à parvenir à 2 degrés et en dessous", a déclaré Tasneem Essop, du WWF. Selon les scientifiques, au-delà de 2 degrés, le réchauffement de la planète aurait des conséquences dramatiques: tempêtes, sécheresses, montée du niveau des océans, guerre pour l'eau, migrations massives... Un mécanisme de révision L'accord prévoit donc un mécanisme de révision des engagements volontaires des pays pour qu'il reste possible de contenir le réchauffement sous les 2 degrés. Mais selon le Climate Action Tracker (CAT), qui regroupe quatre instituts de recherche, les promesses faites par la plupart des pays sont "insuffisantes" et "presque tous" doivent revoir à la hausse les engagements qu'ils ont pris à l'horizon 2025 ou 2030. En 2018, deux ans avant l'entrée en vigueur de l'accord, une première étape consistera à faire le bilan des progrès réalisés dans la transition des énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) vers les énergies renouvelables (éolien, solaire..). Ce bilan doit servir de base aux nouveaux engagements de réduction d'émissions, appelés à remplacer ceux qui entreront en vigueur avec l'accord en 2020. "Ce sera un moment politique important, où les gouvernements seront incités à accroître leurs efforts", souligne Mohamed Adow, de l'ONG Christian Aid. Si les engagements ne sont pas bientôt revus à la hausse, le monde pourrait se retrouver coincé sur une trajectoire de trois degrés pour les dix prochaines années. Certains pays se sont fixé des objectifs à l'horizon 2025, d'autres 2030, une disparité qui complique encore la tâche, selon Tasneem Essop. Une fois l'accord entré en vigueur, l'impact des efforts menés sera examiné tous les cinq ans à partir de 2023 et, au vu de ce bilan, les engagements seront revus à la hausse tous les cinq ans à partir de 2025. Beaucoup auraient souhaité que l'accord soit plus exigeant sur ce point, qui a fait l'objet de divergences. Les Etats-Unis par exemple veulent que les engagements soient volontaires et non contraignants, pour éviter d'être obligés de soumettre l'accord au Congrès, hostile à sa ratification. Justice climatique De leur côté la Chine, l'Inde et d'autres pays en voie de développement veulent conditionner leurs engagements à l'assurance qu'ils bénéficieront de milliards de dollars de soutiens financiers pour mener à bien la transition de leur économie des énergies fossiles vers les renouvelables. Selon les scientifiques, pour respecter le seuil de 2 degrés, les émissions de gaz à effet de serre doivent baisser de 40% à 70% entre 2010 et 2050, et atteindre zéro d'ici à 2100. Beaucoup espèrent que les lignes de fracture entre pays s'estomperont avec le développement de nouvelles technologies bas carbone, moins chères, et l'émergence d'un prix mondial du carbone. L'énergie "verte" "doit être abordable, c'est le principal défi" pour les pays en voie de développement, a souligné le négociateur indien Ajay Mathur. Pour Felipe Calderon, président du think tank Global Commission on the Economy and Climate, la transition vers une économie bas carbone est déjà en marche et sera encouragée par l'accord stipulant que les émissions dues aux énergies fossiles doivent atteindre leur pic "dès que possible". "Il n'y a ni gagnants, ni perdants à la conclusion de l'accord de Paris. La justice climatique a gagné et nous travaillons tous à un avenir plus vert", a résumé dimanche le Premier ministre indien, Narendra Modi. COP 22 à Marrakech, un rendez-vous important pour la mise en œuvre des mesures adoptées à Paris La prochaine édition de la conférence des Nations unies sur le climat (COP 22), prévue en novembre prochain à Marrakech, sera un rendez-vous important pour la mise en œuvre des mesures adoptées, le suivi et l'évaluation des engagements pris à Paris, a affirmé la secrétaire générale de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), Michaëlle Jean. Dans un communiqué, Mme Jean a souligné que l'accord de Paris, adopté par la COP 21 est "un accord équilibré qui contient des éléments qui offrent la possibilité à tous les gouvernements de prendre des actions de plus en plus décisives en termes d'atténuation, d'adaptation et de financement", ajoutant que "le monde peut désormais compter sur un accord universel, ambitieux et inclusif, tenant compte des capacités respectives des différents pays, y compris les plus vulnérables". Mme Jean a en outre salué la forte mobilisation des Etats francophones pour l'adoption de cet accord "universel, ambitieux, inclusif et solidaire". "L'OIF restera fortement mobilisée, à travers son Institut de la Francophonie pour le développement durable, pour maintenir l'esprit de Paris et accompagner ses Etats et gouvernements membres afin de remplir pleinement leurs obligations en vue d'impulser des trajectoires de développement résilient et sobre en carbone", a-t-elle assuré.