Dans l'Histoire du Maroc moderne, il est un événement qui ressort comme un jalon unique en son genre, de par le génie qui a accompagné son processus, depuis sa genèse comme idée ayant germé dans l'esprit d'un Souverain qui a fait ses preuves dans la création d'événements suscitant émerveillement et estime, jusqu'à son succès sous toutes les coutures, provoquant l'admiration de la Terre entière. C'est la Marche Verte, organisée il y a 40 ans, le 6 novembre 1975. Le Maroc devant parachever son indépendance en soustrayant au joug du colonialisme - imposé depuis 1884 - une partie de son territoire restée occupée par la puissance espagnole, a fait appel à ses citoyens pour entreprendre une marche pacifique, non dénuée de risques, qui ne s'arrête jusqu'à franchissement des frontières factices séparant son Sahara du reste du Royaume. 350.000 était le chiffre désigné par Feu Hassan II, l'équivalent du nombre des naissances de Marocains en une année, et ce sont autant de citoyens et citoyennes dont la demande de participation a été retenue, parmi un nombre bien plus supérieur de volontaires qui ont répondu avec fougue à l'appel de la Patrie. Armés d'exemplaires du Coran et de drapeaux nationaux, ils ont bravé tous les écueils, enduré toutes les difficultés, jusqu'à atteindre l'objectif et implanter le drapeau marocain au lieu et place de celui du colonisateur. Douze ans auparavant, en 1963, le Maroc avait réclamé à l'Organisation des Nations Unies (ONU) de faire mention du Sahara comme territoire non autonome, conformément à la résolution 1514 du 14 décembre 1960, portant Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples colonisés. La première résolution relative à cette question porte le numéro 2072 et a été adoptée par l'Assemblée générale en date du 16 décembre 1965. Résolution qui enjoignait à la Puissance administrante, l'Espagne en le cas d'espèce, de décoloniser le Sahara. L'Espagne eut recours au subterfuge en suggérant, avec insistance, à l'ONU d'organiser un référendum d'autodétermination. Ce que le Maroc accepta dans un premier temps, avant que la chose ne s'avère pratiquement inconséquente. Nul besoin de rappeler que les années 1960 étaient l'époque des indépendances, et de la guerre froide. Entre le Maroc et l'Algérie une tension prenait de l'ampleur pour aboutir à la « guerre des sables » de 1963, pour ne point connaître de parfaite accalmie depuis. C'est le contexte géopolitique qui prévalait alors que le Maroc revendiquait la récupération de ses provinces du Sud. Une année avant la Marche Verte, l'Espagne, sous la dictature du Caudillo Franco, a effectué un recensement général des populations sahraouies, et s'apprêtait à organiser un référendum d'autodétermination. Aussitôt, le Maroc porta la question devant la Cour Internationale de Justice (CIJ). La Mauritanie lui emboita le pas. L'Espagne refusa auparavant de régler le contentieux par la voie judiciaire. Elle résistait, en outre, à accepter la demande de l'Avis consultatif. Par le truchement de l'Assemblée générale, la CIJ a répondu aux questions qui lui étaient formulées. Elle a, d'abord, reconnu qu'avant son occupation par le voisin ibérique, le Sahara n'était pas une terra nullius. Ensuite, elle a admis l'existence de liens juridiques d'allégeance entre les Sultans du Royaume et les tribus sahariennes. Quant aux autres points traités par l'Avis consultatif, notamment la préconisation de l'autodétermination des populations sahraouies, selon une approche d'ailleurs contestable, ils apparaissent comme peu pertinents, le plus important demeurant qu'il ait conforté la thèse des droits historiques du Royaume sur son Sahara. Le Maroc a donc considéré que l'Avis consultatif, notamment dans son premier volet concernant la reconnaissance des liens juridiques d'allégeance, était un argument juridique suffisant pour lancer la Marche Verte. La préparation de cet événement majeur s'est faite dans la plus grande discrétion. L'organisation logistique a été impressionnante. Plusieurs délégations de pays étrangers, amis du Maroc, ont participé à cet événement de taille. Même des pays qui comptaient parmi les soutiens du Front Polisario, notamment la Libye, envisageaient de prendre part à cette Marche. Réaction de la Communauté internationale et résultats diplomatiques Le Conseil de sécurité, en garant de la paix et de la sécurité internationales et devant prendre position par rapport à la Marche Verte, laquelle avait déjà atteint ses objectifs et réalisé un succès indéniable, a tenu une réunion lors de sa 1850ème séance, à laquelle a pris part l'Algérie, aux côtés du Maroc et de l'Espagne. Ceci prouve que dès le début, l'Algérie était l'une des parties prenantes au conflit du Sahara. La réaction du Conseil de sécurité intervenant sur fond de tension dans la région, la résolution 379, en date du 2 novembre 1975, exprimait cette inquiétude en soulignant que la situation dans la région demeurait grave. Mais les signes de cette tension étaient visibles bien avant. C'est ainsi que, par la résolution 377, en date du 22 octobre 1975, le Conseil de sécurité, d'ailleurs pour la première fois depuis l'apparition du conflit, s'est saisi de cette question en appelant toutes les parties à la retenue et à la modération. Le fondement de son intervention se trouve dans l'article 34 de la Charte des Nations Unies, qui entrevoit la possibilité, pour le Conseil de sécurité, de mener, s'il le juge nécessaire, une enquête à propos d'un différend qui risque de persister et, par conséquent, menacer la paix et la sécurité. La démarche prônée par le Conseil de sécurité se voulait être négociatoire, conformément à l'article 33 de la Charte onusienne portant règlement pacifique des conflits. Le Conseil de sécurité n'a jamais enjoint au Maroc d'arrêter la Marche Verte sous peine d'encourir des sanctions. Le caractère pacifique de cette Marche, perçue comme un moyen de règlement pacifique des différends, l'a incité à prendre une attitude plutôt modérée, l'action du Maroc ne pouvait être qualifiée d'acte d'agression. Autrement, le Conseil de sécurité aurait agi d'une toute autre manière, en recourant notamment à des moyens coercitifs prévus par le chapitre VII de la Charte de l'ONU. Succès tous azimuts L'un des succès diplomatiques incontestables de la Marche Verte réside dans le fait qu'elle a précipité le départ de l'Espagne du Sahara occupé. La concrétisation juridique de ce départ s'est faite par le truchement de l'Accord de Madrid signé le 14 novembre 1975. Il s'agit d'un accord tripartite signé, par le Maroc, l'Espagne et la Mauritanie. En vertu de cet arrangement, l'administration du territoire saharien fut transférée au Maroc et à la Mauritanie. Le 28 février 1976, l'Espagne s'est retirée définitivement du territoire. En août 1979, après le retrait de la Mauritanie de Oued Eddahab, à cause des revers militaires qu'elle a essuyés de la part des milices du Polisario, le Royaume du Maroc a étendu son contrôle sur cette zone, achevant, ainsi, le recouvrement d'une intégrité territoriale tant revendiquée. Cette reconquête a permis au Maroc de sceller sa réunification territoriale, surtout qu'elle s'est exprimée par l'acte du serment d'allégeance prêté au Roi par les chefs des tribus sahraouies. La Marche Verte a rehaussé l'image du Maroc dans la région car aucun pays au monde, mis à part la Chine, n'avait songé à une telle entreprise. Elle a été donc suffisamment dissuasive pour pousser l'Espagne à se résigner, après qu'elle ait refusé, à maintes reprises, de procéder à des négociations sérieuses visant à clore ce dossier qui a envenimé les relations entre le Maroc et l'Algérie. Précisément, l'Algérie, alors à l'apogée de son ascension diplomatique, a été exaspérée par l'organisation de cette Marche et par la signature de l'Accord de Madrid, auquel elle n'a pas été associée. Sa réaction fut brutale car elle a aussitôt instigué la création, sur son sol, de la fantasmagorique République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD). Les relations diplomatiques entre le Maroc et l'Algérie furent alors rompues jusqu'en 1988, et une guérilla éclata entre le Maroc et le Polisario. Or, il est évident que ce groupuscule ne pouvait mener un combat militaire régulier contre l'Armée marocaine sans l'appui conséquent de l'Algérie. D'ailleurs, c'est l'Algérie qui a rappelé son ambassadeur à Rabat à la suite de l'organisation de la Marche Verte. En outre, elle n'a pas hésité à refouler, selon des méthodes pour le moins inhumaines, des milliers de familles marocaines du sol algérien. Les familles des victimes ont même envisagé de mener une action en justice pour demander la réparation des préjudices consécutifs à cet acte d'expulsion. En dépit de toutes ces vicissitudes, force est de noter que la Marche Verte impose l'admiration sur le plan diplomatique. Elle a en effet permis d'établir de nouveaux rapports de force géopolitiques dans la région, dans l'intérêt du Maroc. Faire face à l'époque à une puissance coloniale, sans utiliser la moindre arme, n'était pas un événement anodin.