Entre contraintes géopolitiques et crédibilité du système politique marocain Depuis plus de trois décennies, le Maroc est aux prises avec ses voisins espagnols au Nord et algériens à l'Est, pour la reconnaissance définitive de ses droits inaliénables sur le territoire du Sahara occidental occupé de force par l'Espagne en 1884 et récupéré par le royaume au terme d'un accord tripartite de rétrocession signé à Madrid en 1975. Voilà donc trente-sept ans que le Maroc fait face à un problème que l'on qualifierait volontiers de factice, du moment qu'il a été initialement réglé par les voies pacifiques avec l'ex-administration coloniale, en conformité avec la résolution de l'Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960 et les recommandations explicites de la charte de l'Organisation des Nations Unies (ONU) et ses instances y afférentes. La conclusion de l'accord de Madrid eut lieu en Espagne, dans une atmosphère contrastée de morosité et d'angoisse liée à la longue maladie du général Franco et au spectre du rétablissement de la monarchie aux commandes, un événement qui ne faisait pas que des heureux. Au Maroc en revanche, l'accord de Madrid a conforté les retrouvailles de la monarchie et de l'opposition nationaliste dans une ambiance de mobilisation et de liesse culminée par l'organisation ingénieuse et spectaculaire de la Marche verte. Deux conjonctures distinctes qui ont pesé chacune de son côté, sur l'issue de cette affaire, laquelle pourtant ne devait jamais être posée ultérieurement pour le Maroc en termes de décolonisation. Attaché à l'esprit de la légalité internationale, l'accord signé par le Maroc avec les parties, espagnole et mauritanienne, faisait suite logique à l'avis consultatif de la Cour Internationale de Justice (CIJ), lequel, malgré qu'il ait renié la souveraineté directe sur le territoire, a néanmoins reconnu l'existence de «liens d'allégeance» entre les populations du Sahara occidental et les rois du Maroc, confirmant indirectement sa marocanité. En effet, depuis le recouvrement de son indépendance, le Maroc n'a pas cessé de revendiquer sa souveraineté sur le territoire saharien et une partie de l'armée de libération ayant refusé de déposer les armes avant la libération totale des territoires, a mené la vie rude aux troupes espagnoles, contraintes de se regrouper à Tarfaya et dans les centres fortifiés de Laâyoune et de Villa Cisneros (Dakhla). L'erreur fatale de ces résistants récalcitrants fut néanmoins d'avoir provoqué les troupes françaises à Bir-Moghrein en Mauritantie. Ce qui déclencha l'opération «écouvillon» franco-espagnole . L'Armée de Libération Marocaine s'est alors distinguée en 1956, comme une instance représentative d'une partie de la population marocaine, refusant catégoriquement de déposer les armes, malgré le recouvrement de l'indépendance, tant que les présides espagnols de Sebta et Melilla sont encore occupés et tant que le sud marocain - Tarfaya, Sidi Ifni et Sahara occidental - demeurait sous le joug colonial. Décimés par la coalition franco-espagnole en 1958, de nouveaux mouvements ont vu le jour plus pour marquer une revendication légitime que pour mener réellement une guerre de libération. Il en a été ainsi du Frente de Liberacíon del Sahara bajo Dominacíon Española en 1966, Harakat Tahrir Saquiet Al- Hamra & Oued Eddahab en 1967 et enfin le Mouvement Révolutionnaire des Hommes Bleus en 1969, mené par Moha R'guibi alias Edouard Moha. Préoccupé à récupérer une partie de ses territoires spoliés à l'Est et au Sud, le Maroc n'avait jamais renoncé au territoire saharien et a poursuivi constamment la voie de la négociation, de la diplomatie et du droit. En témoigne la littérature onusienne, dont cette résolution 2072 (XX) du 16 décembre 1965 de l'Assemblée générale des Nations Unies appelant à la décolonisation de Sidi Ifni et du Sahara occidental et qui a une fois de plus réitéré l'urgence de leur indépendance. Faisant suite à la libération de Tarfaya, l'Espagne a consenti à restituer le territoire de Sidi Ifni en 1969, un geste marquant la bonne foi de l'Espagne dans un contexte international marqué par la décolonisation et l'affirmation du droit à l'autodétermination des peuples coloniaux. Comment ne pas y voir la justesse d'une démarche diplomatique fructueuse à l'inverse de celle, armée, autrement plus désastreuse et coûteuse en hommes et en ressources matérielles ?! Cette action a donc tout naturellement conforté le Maroc dans sa démarche des petits pas ayant fait ses preuves jusque-là, pour prétendre à la récupération du Sahara par les voies pacifiques. Certes, le début de la décennie 1970 a été particulièrement rude pour la monarchie : deux coups d'Etat militaires manqués et une intrusion d'armes dans le Moyen Atlas en provenance de l'Algérie. La création du Polisario à l'étranger, et en catimini, a coïncidé avec les retrouvailles du roi et des leaders de l'opposition traditionnelle. N'était-ce le soutien militaire, financier et logistique de la Libye au front Polisario en 1973 et plus tard de l'Algérie, jamais la question du Sahara occidental ne se serait posée pour le Maroc. Au terme d'une guerre fratricide ayant fait des milliers de morts de part et d'autre, et de plusieurs années d'incertitude et de blocage de toutes formes de règlement du conflit après le cessez-le-feu signé en 1991, la Communauté internationale commençait à perdre espoir de voir la paix et la sécurité revenir dans cette région stratégique entre l'Atlantique et la Méditerranée, l'Europe et l'Afrique. Les grandes puissances s'impatientaient en fait depuis la chute du mur de Berlin et la fin du bloc communiste, de trouver une issue à ce conflit qui ressemblait plus à une relique de la guerre froide qu'à un conflit classique de décolonisation. Depuis 2004, le Conseil de sécurité a tiré la sonnette d'alarme, et n'a pas cessé d'appeler «les parties et les Etats de la région à continuer de coopérer pleinement avec l'ONU pour mettre fin à l'impasse actuelle et progresser vers une solution politique» . Le Maroc, faisant montre de bonne volonté, a saisi le message de la Communauté internationale et répondu positivement à cet appel pressant, en apportant une pierre blanche à l'édifice de la paix dans la région. La proposition marocaine d'autonomie élargie a redonné un élan au processus des négociations, en mettant sur la table un statut de régionalisation avancée comme solution ultime et définitive pour le territoire du Sahara occidental. Face à une situation de statu quo, le Maroc a pris l'initiative d'apporter une solution viable, équitable et conforme au droit international. Par son initiative courageuse et volontariste, il souhaite aller vite sur la voie du règlement du différend saharien qu'il juge factice, et décide de priver définitivement les détracteurs de son intégrité territoriale de tout argument superfétatoire, en garantissant aux populations sahraouies un avenir meilleur, à la fois démocratique, paisible et prospère. Bien plus qu'un simple statut d'autonomie destiné à faire taire la contestation pour quelque temps, le projet marocain garantit le succès de l'implémentation de cette forme novatrice de régionalisation, dans laquelle les Sahraouis bénéficieraient également des bienfaits de la démocratie représentative, de la justice et de la paix sociale. Au cœur de cette solution éminemment politique, les hommes comme leurs institutions ont été justement pris en compte, et tout indique que le projet échafaudé garantirait aux populations concernées de s'épanouir dans le cadre d'une solution réelle qui touche l'autonomie de la sphère économique tout aussi bien que celle de la sphère politique et culturelle. En effet, la solution proposée par le Maroc épouse parfaitement le vœu de nombreuses nations de par le monde et conforte les recommandations constamment réitérées des Nations Unies. Tout en rappelant les précédentes résolutions sur le Sahara occidental, dont les résolutions 1495 du 31 juillet 2003 et 1541 du 29 avril 2004, le Conseil de sécurité réaffirme, au moins depuis cette date, «(...) sa volonté d'aider les parties à parvenir à un règlement politique, juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l'autodétermination (...)». Et l'on sait que cette dernière ne peut, d'une part, s'exercer contre l'intégrité territoriale de l'Etat hôte, conformément à la résolution 1514, adoptée par l'Assemblée générale le 14 décembre 1960, tout comme elle ne peut, d'autre part, désigner la seule option d'indépendance, du fait que la résolution 1541, adoptée par l'Assemblée générale le 15 décembre 1960, énumère trois modes d'atteinte par un territoire de sa «pleine autonomie», dont l'intégration à un Etat indépendant. Eminemment réaliste, cette dernière solution répond au vœu répétitivement formulé par le Conseil de sécurité quand il a demandé «(...) aux parties et aux Etats de la région de (...) mettre fin à l'impasse (...) et progresser vers une solution politique» qui fut, du reste, le marqueur fondamental de la proposition marocaine d'autonomie. Cette dernière, et depuis sa présentation le 11 avril 2007, a fait l'objet de motions apologiques de la part du Conseil de sécurité qui profite de chaque résolution sur la question du Sahara pour se féliciter «(...) des efforts sérieux et crédibles faits par le Maroc pour aller de l'avant vers un règlement (...)». L'Initiative marocaine est d'autant plus opportune que la conjoncture régionale et internationale donne raison au Maroc et ce au moins pour une raison : le vent des réformes tous azimuts en cours au Maroc depuis la révision de la Constitution et son adoption par une majorité écrasante de la population. Cette réforme de la Charte constitutionnelle a globalement favorisé une participation significative des électeurs et a ouvert la voie au premier gouvernement à coloration islamiste parvenu au pouvoir par les voies démocratiques et bénéficiant de la légitimité populaire. Ce qui renforce la crédibilité accrue du système politique dans son ensemble. Cette dynamique constitutionnelle et politique est également de nature à soutenir et à propulser en avant le grand chantier des régions en favorisant la mise en place des mécanismes institutionnels indispensables à l'enracinement de la bonne gouvernance. Tout cela augure de lendemains enchanteurs qui reposent sur des facteurs objectifs et palpables, à savoir la stabilité du régime, le pluralisme des voix d'expression politique, ethnique et identitaire et la prise en compte des problèmes réels en vue de résoudre l'équation du développement économique et social. Mais la question du Sahara demeure néanmoins intimement liée à l'histoire du dépeçage en règle du territoire de l'empire chérifien au Nord et à l'Est, comme au Sud. L'Espagne a envahi le Sahara occidental peu après qu'elle ait occupé la ville de Tétouan à la suite de la guerre désastreuse de 1860. Déjà présente à Sebta et Melilla, l'Espagne considérait ainsi le sud marocain comme une conséquence obligée de ses visées coloniales du 19e siècle et n'hésitait point à former dès 1946, l'Afrique Occidentale Espagnole (AOE) composée d'Ifni, de Tarfaya et du Sahara occidental (Saquiet el Hamra et Rio de Oro). Ce qui, a contrario, donnait un sens et une légitimité à la revendication marocaine . Derrière le combat juridico-politique mené par le Maroc pour le parachèvement de son intégrité territoriale, et la mobilisation de la Communauté internationale par le truchement du Conseil de sécurité de l'ONU pour le règlement d'un différend territorial, il y a un jeu fourbe que Pierre Vermeren a su résumer en quelques lignes : «Dans cette partie de poker menteur, qui fait peu de cas de la légalité européenne et onusienne, les atavismes coloniaux pèsent lourd. La France a à cœur de doter le Maroc d'un morceau de Sahara, afin de compenser les 2 millions de Km2 de désert qu'elle a cédés à l'Algérie. Quant à l'Espagne, elle ne pardonne pas au Maroc d'avoir accaparé un territoire qu'elle espérait remettre à de jeunes Sahraouis hispanophiles, propre à conforter son influence dans la région» . Doyen de la faculté de droit de Mohammedia Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales* Zoom sur le CEI Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume. Notes 1- Voir Robert Rézette, Le Sahara Occidental et les frontières marocaines, Nouvelles Editions Latines, Paris, 1975, pp. 96-100. 2- Premier paragraphe du texte de l'Initiative marocaine pour la négociation d'un statut d'autonomie de la région du Sahara. 3- Dont la dernière en date, la résolution 2044, a été adoptée par le Conseil de sécurité à sa 6758ème séance, le 24 avril 2012. 4- Cette nouvelle entité dépendait de la présidence du gouvernement espagnol au sein de la « direction générale du Maroc et des colonies ». Voir Charles-Robert Ageron & Marc Michel (sous la direction de), L'ère des décolonisations, Karthala, Actes du Colloque d'Aix-en-Provence, 1995, pp. 324 et suivantes. Pierre Vermeren, Le Maroc, Le Cavalier Bleu, collection Idées Reçues, Editions Le Cavalier Bleu, Paris, 2007, p. 26.