Le 16 octobre 1975, la Cour Internationale de Justice (CIJ) a rendu son Avis consultatif sur l'affaire du Sahara occidental. En raison de son originalité, le dispositif de cet avis a fait l'objet de profondes études et recherches doctrinales ayant largement contribué au développement progressif du droit international, aussi bien au niveau du fond qu'au niveau de la procédure. En effet, depuis la fin du protectorat français en 1956, le Royaume du Maroc n'a eu de cesse de revendiquer ses droits légitimes sur les autres territoires sous occupation espagnole à savoir Ifni, Tarfaya et le Sahara occidental. Ainsi, si le Maroc a pu récupérer Tarfaya et Ifni suite à la signature des accords de Cintra et de Fès avec l'Espagne, respectivement, en avril 1958 et en janvier 1969, il continuait, par contre, à soutenir que son intégrité territoriale ne saurait être parachevée sans la restitution de l'ensemble des territoires occupés par l'Espagne, notamment, le Sahara occidental. Parallèlement, l'Espagne s'est employée à mettre en avant divers prétextes dans l'objectif de ralentir, autant que faire se peut, le processus de décolonisation de ce territoire. Aussi, face aux atermoiements de Madrid, Rabat a décidé, en 1963, de soumettre cette question à l'examen du Comité des Nations Unies sur les territoires non autonomes. De son côté, l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU) a, dans sa Résolution 2072, adoptée le 16 décembre 1965, « (…) instamment [prié] le Gouvernement espagnol (…) de prendre immédiatement les mesures nécessaires pour la libération des territoires d'Ifni et du Sahara espagnol et d'engager à cette fin des négociations sur les problèmes relatifs à la souveraineté que posent ces deux territoires ». Ces demandes ont été ignorées par le gouvernement espagnol et le dossier saharien se trouvait, par conséquent, dans une impasse. Le Roi Hassan II proposait alors à l'Espagne de soumettre le conflit du Sahara à la procédure contentieuse de la CIJ pour trancher définitivement la question de la souveraineté sur ce territoire. L'Espagne, selon toute vraisemblance, refusa cette proposition et persista à entraver le processus de décolonisation du Sahara. Devant ce refus, le Maroc, avec l'appui de la Mauritanie, a décidé de soumettre cette question à l'Assemblée générale de l'ONU pour que celle-ci sollicite la CIJ pour Avis consultatif conformément au statut de la Cour. Par sa Résolution 3292 (XXIX), l'Assemblée générale de l'ONU a saisi la Cour pour Avis consultatif concernant le Sahara occidental. Ainsi deux questions ont été posées à la Cour : « 1. Le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) était-il, au moment de la colonisation par l'Espagne, un territoire sans maître (terra nullius) ? Si la réponse à la première question est négative, 2. Quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l'ensemble mauritanien ? ». Par ailleurs, le Maroc a demandé à la Cour de tenir compte de la structure particulière qui caractérisait l'empire chérifien. La Cour a estimé que cette demande est légitime puisqu'il n'y a « (…) aucune règle de droit international [qui] exige que l'Etat ait une structure déterminée, comme le prouve la diversité des structures étatiques qui existent actuellement dans le monde (…) ». La Cour a poussé son raisonnement en précisant que « (…) lorsqu'un Etat revendique la souveraineté sur un territoire, sa structure propre peut être un élément à prendre en considération pour juger de la réalité des manifestations d'activité étatique invoquées comme preuves de cette souveraineté ». En statuant sur le fond, la Cour a répondu par la négative quant à la première question, en estimant que le Sahara occidental n'était pas une terra nullius au moment de sa colonisation par l'Espagne. En ce qui concerne la seconde question, la Cour reconnut « (…) l'existence, au moment de la colonisation espagnole, de liens juridiques d'allégeance entre le Sultan du Maroc et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara occidental », tout en précisant que les « (...) renseignements portés à sa connaissance n'établissent l'existence d'aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental d'une part, le Royaume du Maroc ou l'ensemble mauritanien d'autre part ». L'analyse du dispositif de l'Avis consultatif de la CIJ au sujet du Sahara occidental permet de déceler quelques incohérences dans le raisonnement juridique adopté par la Cour. En effet, cette dernière a clairement affirmé qu'elle allait tenir compte de la structure spécifique de l'Empire chérifien à l'époque, considérée ainsi que le droit y applicable, en l'occurrence, le droit public musulman. Cependant la Cour traite cette question à la lumière du droit international contemporain, européocentrique de conception. Une telle démarche a largement brouillé le dispositif de l'Avis et a multiplié les interprétations qu'on a pu en faire. Si la Cour a expressément affirmé que le Sultan a effectivement exercé « (…) son autorité et son influence sur les tribus qui nomadisaient dans le Sahara occidental » sur la base de l'existence des liens d'allégeance entre les tribus sahraouies et le Sultan du Maroc, elle a, en revanche, constaté qu'il n'y a aucun lien de souveraineté entre le territoire du Sahara occidental et le Royaume du Maroc. Ainsi, la Cour n'entendait pas assimiler les liens d'allégeance à l'exercice effectif de la souveraineté et nie, par voie de conséquence, les règles fondamentales du droit public musulman, pierre angulaire du pouvoir chérifien. Une telle posture ne s'accommode nullement avec le statut de la Cour qui dispose, dans son article 9, que cette dernière doit assurer « (…) la représentation des grandes formes de civilisation et des principaux systèmes juridiques du monde ». Le professeur Mohammed Bennouna a souligné que, par sa « (…) distinction entre les liens d'allégeance et de souveraineté, la Cour en arrive à mettre en cause l'existence même du Maroc puisque le pouvoir s'exerçait selon des formes similaires aussi bien dans les régions de Marrakech ou de Fès ! ». Dans le même ordre d'idées, le professeur René-Jean Dupuy a fait remarquer que la Cour devait assurer « (…) l'application (…) des règles propres [aux divers] systèmes [juridiques] et non pas la référence automatique au droit européen ». La Cour aurait dû prendre en considération le particularisme juridique du Maroc pendant cette période. Selon ce particularisme juridique, l'allégeance équivaut, en droit public musulman, à la notion de souveraineté telle qu'elle est consacrée aujourd'hui par le droit international occidental. En effet, si certains juristes ont fait remarquer que bien qu'il y ait eu des liens d'allégeance entre le Sultan marocain et certaines tribus sahraouies au Sahara occidental, ces liens ne sauraient être interprétés comme revêtant un caractère juridique, mais plutôt d'ordre personnel. Notons qu'en droit public musulman et marocain, le concept d'allégeance revêt un caractère fondamental dans l'armature de l'empire chérifien. Il s'agit d'une obligation d'obéissance en vertu de laquelle la Communauté musulmane s'engage à obéir au sultan qu'elle a elle-même investi. En ce sens, l'acte d'allégeance se présente comme un contrat social qui réglemente les rapports entre gouvernant et gouvernés. Il est également source de droits et d'obligations. Précisons qu'en droit public marocain, l'acte d'allégeance ne saurait en aucun cas être assimilé au système féodal européen d'antan, fondé sur la vassalité et la suzeraineté. Il s'agit d'un acte d'investiture établi entre le Sultan et ses sujets, soit directement ou à travers ses représentants en raison de la structure tribale de la Communauté musulmane. Comme l'a si bien souligné le professeur Dupuy, l'allégeance en droit public musulman se fonde sur « (…) la confusion du pouvoir religieux et politique, qui atteint d'abord les hommes et, par eux, le territoire ». Selon lui, c'est dans ce contexte qu'il fallait appréhender le concept de souveraineté dans le conflit saharien. Sur un autre registre, il convient de souligner que si certaines tribus sahraouies relevaient de ce qu'on appelait « bled Siba », c'est-à-dire des tribus dissidentes au pouvoir central, elles n'échappaient pas non plus à l'autorité du sultan et ne constituaient aucunement des entités indépendantes. La souveraineté de l'Etat marocain était donc fondée sur l'Islam et l'allégeance. Le concept de souveraineté, ayant vu le jour au XVIème siècle en Europe, est méconnu du système juridique musulman. Car, en droit public musulman, la souveraineté n'appartient qu'à Dieu et elle est exercée par les Califes dont l'investiture intervient en vertu d'un acte d'allégeance. Conformément à cet acte d'allégeance, la Communauté musulmane s'engage à obéir et à se soumettre à l'autorité du Sultan tant que son commandement s'inscrit dans le cadre des prescriptions et des prohibitions de la Charia. Le sujet bénéficie en contrepartie d'une protection de sa personne, de ses biens et de son territoire et confère au sultan l'exercice de la souveraineté sur le territoire. C'est ainsi que le droit musulman assimile le concept d'allégeance à celui de souveraineté territoriale et toute distinction entre les deux concepts revient à nier « (…) une grande forme de civilisation » et « (…) un des principaux systèmes juridiques du monde », pour reprendre les termes du statut de la Cour elle-même. In fine, l'on pourrait affirmer que la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental a été reconnue par la Cour dès lors que celle-ci a conclu à l'existence des liens d'allégeance entre le Sultan du Maroc et les tribus sahraouies. * Le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion et d'analyse basé à Rabat. Acteur actif du débat afférent à la conflictualité saharienne et à certaines thématiques nationales fondamentales, le CEI a publié, en 2010, auprès des éditions Karthala, un ouvrage collectif intitulé : « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) ». En janvier 2011, le CEI a rendu public, auprès du même éditeur, un second ouvrage titré, « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile ». Il vient également de faire paraître, auprès des éditions précitées, un ouvrage portant sur « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies ». Outre ses revues, libellées, « ETUDES STRATEGIQUES SUR LE SAHARA » et « La Lettre du Sud marocain », le CEI compte par ailleurs à son actif plusieurs supports électroniques parmi lesquels figurent, “http://www.arsom.org”www.arsom.org, “http://www.saharadumaroc.net”www.saharadumaroc.net, “http://www.polisario.eu”www.polisario.eu et www.ibn-khaldoun.com. _______________ Analyste au Centre d'Etudes Internationales*