Le groupe pétrolier public algérien Sonatrach est au centre d'un vaste procès pour corruption qui s'est ouvert, dimanche 15 mars, à Alger et implique également les compagnies italiennes, Saipem, et allemande, Funkwerk. Un ancien PDG du groupe, Mohamed Meziane, deux de ses enfants et huit ex-directeurs exécutifs de Sonatrach font partie des 19 accusés, dont sept en détention, cités à comparaître devant la cour criminelle d'Alger. Ils sont poursuivis notamment pour association de malfaiteurs, détournement de deniers publics, blanchiment et corruption dans le cadre de passations de marchés "de gré à gré" avec des compagnies étrangères, contraires à la réglementation. Mohamed Meziane est soupçonné d'avoir accordé à Funkwerk Algérie des marchés de plus de 110 millions d'euros en contrepartie de cession d'actions à ses deux enfants. Funkwerk, spécialisée dans le développement et la fabrication de systèmes de communications pour les entreprises et le secteur du transport, devait fournir à Sonatrach un système de télésurveillance de ses installations. Le marché aurait également donné lieu à des commissions de 4 millions d'euros qui auraient servi à financer des cadeaux, dont un appartement à Paris, à la famille de M. Meziane. Mohamed Meziane est aussi soupçonné d'avoir favorisé la société italienne Saipem, filiale d'ENI, dans un contrat de 586 millions d'euros pour la réalisation d'un gazoduc entre l'Algérie et l'Italie. Saipem, dont le directeur pour l'Algérie avait pour conseiller un des fils de M. Meziane, avait ensuite sous-traité le marché à la société française Spiecapag qui était sa concurrente lors de soumission. Farid Bedjaoui, 45 ans, un ami de Chakib Khelil, ministre algérien de l'Énergie à l'époque des faits, est au cœur de diverses enquêtes pour corruption présumée en Algérie, en Italie et au Canada. Les magistrats de Milan le soupçonnent d'avoir rétribué des responsables politiques algériens dans le cadre de marchés obtenus par la firme italienne Saipem auprès de Sonatrach. Objet de deux mandats d'arrêt internationaux en Italie et en Algérie, il aurait trouvé refuge au Mexique. Intermédiaire attitré des investisseurs étrangers, Farid Bedjaoui serait ainsi intervenu pour le compte des Chinois pour leur arracher un contrat de 6,2 milliards de dollars dans le cadre de la réalisation de l'autoroute est-ouest. Sa commission se chiffre, selon des indiscrétions, en dizaines de millions de dollars. Une source proche du dossier confie que Bedjaoui a même pris part aux négociations, à la résidence de l'ambassade d'Algérie à Pékin. Sa réputation faite, les Italiens s'attachent alors ses services, tout comme les Canadiens de SNC-Lavalin, pour lesquels il réussira à décrocher 6 milliards de dollars de contrats. Le 17 octobre 2007, Farid Bedjaoui signe, via son autre société, Pearl Partners, domiciliée à Hong Kong, une convention avec Saipem lui assurant une commission de 3 % sur l'ensemble des contrats que les Italiens pourraient obtenir en Algérie. Pour ne pas éveiller les soupçons des services secrets algériens, les transactions se déroulent à l'étranger. Le plus gros scandale financier Dans des hôtels de Paris et de Milan, Bedjaoui négocie avec les patrons de Saipem, en présence de Chakib Khelil. C'est ainsi qu'entre 2007 et 2009 le groupe italien conclut sept contrats d'une valeur de 8 milliards d'euros. En contrepartie, Pearl Partners reçoit 198 millions d'euros virés sur des comptes, notamment en Europe et en Asie. La justice italienne cherche aujourd'hui à déterminer l'identité des responsables algériens qui ont bénéficié des largesses de Bedjaoui. Réda Hemche, l'ancien chef de cabinet de Mohamed Meziane, alors PDG de Sonatrach, a obtenu 2 millions de dollars en guise d'honoraires. Omar Habour, ami d'enfance du ministre de l'Énergie, également recherché en Italie, n'est pas en reste. Si l'on ignore le montant des commissions qu'il a touchées, on sait en revanche qu'il a acquis avec le couple Khelil, entre 2007 et 2008, un ensemble de trois résidences dans le Maryland, aux États-Unis, pour 2,1 millions de dollars. Les autorités suisses ont saisi des documents liés à cinq comptes bancaires que Chakib Khelil avait ouverts dans deux banques suisses. L'ancien ministre continue de s'opposer au transfert de ces données aux magistrats algériens. Un troisième dossier concerne la rénovation d'un immeuble de Sonatrach au centre d'Alger. D'un montant de plus de 64 millions d'euros, il aurait été confié de manière illégale à une autre entreprise étrangère. Un autre dossier dit "Sonatrach 2", qui concerne également des affaires de corruption, est en cours d'instruction. Il implique notamment l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, contre lequel un mandat d'arrêt international a été délivré avant d'être annulé pour des raisons de procédure. Sonatrach est partie civile dans ce procès instruit à l'initiative du parquet. La compagnie publique algérienne d'hydrocarbures était classée, en 2013, première société en Afrique, avec un chiffre d'affaires à l'exportation de plus de 63 milliards de dollars. C'est le plus gros scandale financier du pays. La justice algérienne va tenter de comprendre comment entre 2000 et 2009, trois contrats passés de gré à gré par l'entreprise nationale de pétrole, Sonatrach, ont généré des commissions de plusieurs millions d'euros. L'affaire est sensible. D'abord, parce que Sonatrach est l'entreprise stratégique du pays, celle qui gère les revenus liés au pétrole et au gaz. Mais surtout, le procès pourrait impliquer certains responsables politiques de l'époque qui sont toujours au pouvoir. L'homme politique symbole de cette affaire, Chakib Khelil, qui était ministre de l'Énergie pendant toute cette période, ne sera pas présent au procès car réfugié aux États-Unis. Un mandat d'arrêt a été lancé contre lui, puis a été annulé pour vice de procédure. Les autorités algériennes n'ont pas demandé son extradition. Certains prévenus estiment ainsi être victimes de règlements de compte politiques.