Après deux mois de lutte pacifique, le mouvement anti-schiste à In Salah, a connu, dimanche 1er Mars, ses premiers affrontements entre les manifestants et les forces d'intervention de la gendarmerie nationale. Bilan provisoire, une vingtaine de blessés et une centaine d'arrestations. Le millier de manifestants anti-gaz de schiste, mobilisés depuis le 1er janvier dernier, a le sentiment de vivre un moment charnière de la contestation. D'après eux, les autorités étatiques sont en train de tenter un « passage en force », en ayant recours à la fracturation hydraulique, au moment même où les militants d'In Salah ont tenté de renouer le dialogue avec les autorités. De violents affrontements entre les activistes anti-gaz de schiste et les gendarmes ont éclaté, samedi 28 février, près du site gazier de la compagnie pétrolière américaine Halliburton, situé à 10 km au nord d'In Salah. D'autres incidents ont eu lieu à Tamanrasset. Les altercations entre les gendarmes et les militants d'In Salah ont commencé devant la base de vie de la multinationale américaine Halliburton, en charge de la fracturation hydraulique dans les puits-tests de forage du bassin d'Ahnet, située à une dizaine de kilomètres au nord de la ville «Des échanges vifs ont eu lieu entre les forces de l'ordre et les quelques centaines de manifestants, quand ces derniers ont voulu bloquer la route nationale qui passe devant la base de vie et mène au puits-test de forage. Les militants d'In Salah ont brûlé des pneus et les gendarmes ont répliqué par des gaz lacrymogène «, décrit un militant anti-schiste d'In Salah. Cette escalade dans le mouvement a été déclenchée par des informations parvenues aux habitants d'In Salah selon lesquelles la société américaine s'apprêtait à fracturer le second puits-test de forage cette semaine, en «passant en force «si les manifestants s'opposaient à leur projet. Les militants ont, par ailleurs, eu d'autres informations selon lesquelles des produits chimiques et le matériel pour explorer étaient arrivés sur la base de vie. La gendarmerie et la police sont alors intervenues et ont arrêté des gens. Ce qui a poussé les protestants à aller manifester devant la gendarmerie », raconte un manifestant. Les habitants d'In Salah, mobilisés depuis le 1er janvier contre le gaz de schiste, réclament à présent le départ d'Halliburton du centre d'In Salah. «Halliburton dégage! Nous n'avons pas besoin de toi, ni à In Salah, ni en Algérie»! clament les manifestants devant la base de vie de la multinationale. Selon certains témoignages, les affrontements ont conduit à une centaine d'arrestations, alors qu'une vingtaine de personnes auraient été blessées. En réponse, les habitants d'In Salah se sont rassemblés devant le poste de gendarmerie de la ville où ils exigent la libération de leurs camarades, selon des témoins oculaires. Entêtement du pouvoir La société civile d'In Salah avait adressé, la semaine dernière, une demande de moratoire sur le gaz de schiste, cosignée par des experts algériens en énergie, au chef de l'État. Dans ce document, les signataires mettent en exergue, expertise à l'appui, les risques environnementaux encourus – pollution de l'eau, de l'air, les séismes, les répercussions sur la santé – pour une ressource, dont l'exploitation n'est pas rentable, d'après plusieurs spécialistes algériens en énergie. Plus d'une semaine après l'envoi, le gouvernement algérien n'a toujours pas répondu, indiquent les manifestants joints ce samedi par téléphone. Pire, le jour de la marche anti-gaz de schiste du 24 février, date anniversaire de la nationalisation des hydrocarbures, le président Bouteflika a parlé de cette ressource non-conventionnelle, via un communiqué, de « don de Dieu ». Actuellement, il y a deux Algérie qui se font face. Un pouvoir rentier qui ne voit l'avenir économique qu'à travers forages et pompages d'énergies fossiles, et la société civile qui croît au génie de l'innovation de ses scientifiques et ingénieurs pour transformer le pays en eldorado des énergies renouvelables. Certains Algériens du nord comme du sud du pays ne veulent plus être de simples rentiers. Même si le président Bouteflika vient de leur déclarer que «le gaz de schiste est un don de Dieu», ils se sentent comme honteux de vivre encore dans un pays où l'économie tourne à 97 % grâce à l'extraction du sous-sol saharien. 15 années après avoir réussi à sortir d'une décennie noire qui a marqué à jamais la mémoire collective, par la terreur impitoyable qui a sévi dans tout le pays, il y a comme une envie de révolution énergétique dans la société algérienne. Ainsi, le mouvement né contre le gaz de schiste à In Salah n'est pas uniquement de refuser l'accès à l'exploitation énergétique d'un territoire. Il s'inscrit dans une volonté de partager avec tous les Algériens une grande expérience, celle d'une transition énergétique verte bâtie sur le savoir des sciences de l'ingénieur made in Algeria, menée par des cadres de l'intérieur comme de la diaspora. En fait, ceux qui refusent l'exploitation du gaz de schiste voient un paradoxe dans l'entêtement du pouvoir. Alors que l'Algérie a fêté, ce 24 février, la nationalisation, en 1971, des hydrocarbures par le président Houari Boumediene, une information symbolique est passée inaperçue. L'université Kasdi Merbah, de la ville d'Ouargla, au sud-est du pays, a été primée au niveau international, comme étant la deuxième université d'excellence en Algérie. Voilà qui conforte les habitants d'In Salah, car leur position contre le gaz de schiste repose beaucoup sur le soutien de nombreux scientifiques du campus d'Ouargla, à l'exemple du professeur Segni Ladjal. L'apparition de ce dernier, spécialiste de biotechnologie et de la chimie sur la scène médiatique algérienne, a bouleversé le rapport de force au sujet de l'avenir énergétique algérien, jusque-là le pré carré d'un petit cercle de pétroliers.