Avec ses trente années passées au Maroc dans le cadre de la coopération, qui mieux que Ousmane Chérif, ingénieur, coopérant guinéen et gérant de société de construction au Maroc, peut parler du partenariat maroco-guinéenne ? Pour lui, la coopération entre Rabat et Conakry est régie par d'importants accords de longue date. Mais il déplore que certains soient restés au stade larvaire pour cause des différents changements à la tête de l'Etat guinéen. Toutefois, avec la nouvelle dynamique royale, matérialisée par la récente visite historique du Souverain marocain à Conakry et le nouveau concept «la Guinée is back» prônée par le Président Alpha Condé, une nouvelle page s'ouvre pour les deux pays. Ousmane Chérif, témoin actif des trente dernières années de l'évolution des relations maroco-guinéennes, analyse, dans cet entretien accordé à L'Opinion, ce qu'il convient d'appeler désormais le partenariat stratégique entre la Guinée et le Maroc. L'Opinion : Vous êtes coopérant guinéen résident au Maroc dans le cadre du partenariat entre les deux pays. Pouvez-vous nous parler de la coopération entre le Maroc et la Guinée à la lumière de la visite historique que vient d'effectuer SM le Roi Mohammed VI dans votre pays ? M. Ousmane Chérif : D'abord ce fut un grand honneur pour le peuple de Guinée d'accueillir dans la liesse populaire SM le Roi Mohammed. Une visite d'amitié et de fraternité que SE Aboubacard Kaba, Ambassadeur de la Guinée au Maroc, qualifie d'historique puisque c'est la première fois qu'un Souverain Chérifien se rend dans mon pays. Les multiples conventions, signées dans tous les domaines, l'accueil exceptionnel réservé à SM le Roi, attestent la solidité et l'exemplarité de l'amitié qui lie les deux Etats. Ce déplacement royal ne fera qu'approfondir cette coopération bilatérale que le Pr Alpha Condé, Chef de l'Etat Président de la République, ambitionne de toutes ses forces. C'est une visite qui marque un nouveau départ dans la coopération entre les deux pays. Il faut le rappeler, en ce qui me concerne et en tant qu'ingénieur de génie civil, que je suis le fruit de cette coopération solidaire et agissante entre la Guinée et le Maroc. Mon parcours est illustratif à ce sujet. Pouvez-vous nous parler de ce parcours dans le cadre de la coopération Guinée-Maroc ? M. Ousmane Chérif : En effet, j'étais en service au bureau d'études du ministère de l'habitat à Conakry et c'est là que la société privée marocaine SNEE (Société Nationale d'Etudes et d'Entreprises), de feu Haj Abderhaman M'Kinsi, m'a proposé de rejoindre son effectif au Maroc. La SNEE est l'une des premières grandes entreprises marocaines à s'installer en Guinée, à travers le projet de construction de la grande Mosquée Fayçal de Conakry sous le régime de feu Ahmed Sékou Touré. Cette grande Mosquée est le fruit de la coopération entre la Guinée et trois grandes nations à savoir l'Arabie Saoudite pour le financement, l'Egypte pour l'architecture et les études, enfin le Maroc pour la réalisation de l'ouvrage à travers la SNEE. Mieux, la SNEE, outre la Mosquée Fayçal, a continué à réaliser d'autres projets dans le cadre de la coopération entre la Guinée et le Maroc. En tant que responsable technique de la SNEE à Rabat, nous avons ainsi conçu plusieurs autres ouvrages en République de Guinée notamment : travaux d'assainissement de la ville de Conakry, construction de la caserne de l'unité montée de la garde républicaine à Kindia, construction des écuries de Kindia, rénovation du siège du ministère délégué à Kankan, rénovation du ministère de la justice à Conakry, rénovation du ministère des Affaires Etrangères à Conakry, rénovation du siège de la Sotelgui (Société de téléphone de Guinée) à Conakry) et rénovation des cases présidentielles de belle vue lors de la visite du président français. Si l'on ajoute à cela la présence de l'ONA dans le domaine minier, on comprendra dès lors l'importance du partenariat stratégique entre Rabat et Conakry. C'est aussi pour dire que la coopération entre le Maroc et la Guinée ne date pas d'aujourd'hui et elle a toujours été très active. Je crois qu'en termes de coopération Sud-Sud, le Maroc est l'une des premières grandes nations à assister la Guinée dans tous les domaines. Lors de la visite du Souverain marocain en Guinée, plusieurs conventions de partenariat ont été signées dont celle relative à l'évacuation sanitaire. De quelle manière l'expertise marocaine pourrait être judicieusement dynamisée pour qu'elle soit mutuellement bénéfique aux deux parties ? M. Ousmane Chérif : Je suis certain que si nous consultons les archives, nous constaterons que depuis le premier régime, le Maroc et la Guinée ont signé et mis en application d'importants accords de coopération. Malheureusement, les bouleversements politiques à répétition que notre pays a connus depuis 1984 n'ont pas aidé à la consolidation de ces acquis. Par exemple, au début des années 80, les évacués sanitaires guinéens étaient admis dans les hôpitaux publics au Maroc et soignés gratuitement dans le cadre des accords de coopération. Avec les changements à la tête de l'Etat guinéen, il a été difficile voir impossible de maintenir et d'améliorer ces acquis d'antan. Résultat : depuis très longtemps, les évacuations sanitaires de la Guinée vers le Maroc sont presque entièrement gérées par des structures privées, moyennant beaucoup d'argent. Même sur le plan culturel, je crois que les étudiants guinéens inscris à titre privé chaque année sont de loin plus nombreux que ceux pris en charge dans les établissements publics dans le cadre de la coopération bilatérale. Aujourd'hui, il y a des pays africains qui ont plus de bourses que nous et pourtant dans un passé récent la Guinée était privilégiée dans tous les domaines. C'est pourquoi, la visite historique de SM le Roi a été l'occasion de redynamiser la coopération bilatérale afin que le partenariat entre les deux pays retrouvent la place qu'il mérite à la lumière des potentialités économiques des deux Etats mais aussi de l'excellence des relations diplomatiques entre la Guinée et le Maroc. Il est donc évident, qu'après la signature de ces différents accords, il est important, à mon avis, de mettre en place des structures pérennes pour le suivi et la consolidation des acquis. Le Maroc possède l'expertise et les ressources humaines dont la Guinée a besoin, et cela dans tous les domaines. Il nous revient, nous Guinéens, de définir nos priorités et les structures au cas par cas pour accompagner les différentes conventions paraphées afin de profiter efficacement de cette coopération. Qu'en est-il de votre domaine d'activité et ses perspectives dans le contexte actuel ? M. Ousmane Chérif : Concernant le domaine des infrastructures, dans lequel nous intervenons, comme je vous l'ai dit plus haut, le Maroc est présent en Guinée depuis le début des années 80. Il a fait ses preuves, à l'époque, par la réalisation de grands ouvrages dont les plus importants sont la grande Mosquée Fayçal de Conakry et la cinquantaine de villas, haut standing, destinées à l'hébergement des chefs d'Etat pour le Sommet de l'OUA, qui était prévu dans la capitale guinéenne en 1984. Pour moi, la compétence et l'expertise marocaine ne sont donc plus à démontrer et je pense, le séjour historique que vient d'effectuer SM le Roi, nous avons la preuve intangible que le Maroc est disposé à aider la Guinée pour le développement harmonieux de notre pays. La signature des présents accords est une opportunité à saisir pour relancer et accélérer la coopération entre les deux pays. Pour cela, il est essentiel de créer toutes les conditions nécessaires pour le respect des dispositions des différents accords. C'est, à mon avis, la condition de base pour faire de ces avancées politiques des réalités économiques pour le bonheur de notre pays. L'Opinion : Un mot sur votre intégration dans la société marocaine. Comment a-t-elle évolué ? M. Ousmane Chérif : Quand je suis arrivé au Maroc en 1984, la coopération entre les deux pays était déjà au beau fixe. Il n'y avait pas de difficultés majeures pour la signature du contrat de travail par le ministère de l'emploi quant à l'obtention d'un titre de séjour. Aujourd'hui, il faut saluer la volonté des autorités marocaines pour faciliter la régulation des ressortissants subsahariens, c'est une bonne chose pour l'intégration. Aussi la possibilité d'obtention du titre de séjour de dix ans de validité pour ceux qui remplissent les conditions est une avancée très significative et importante parce qu'elle permet aux bénéficiaires de se consacrer sereinement à leurs activités dans la stabilité et la sécurité. Quant à moi, je me considère aussi Marocain que Guinéen au regard du nombre d'années que j'ai passés ici, sur ce sol aussi accueillant que chaleureux.