Un rapport de la Cour des Comptes, rendu public très récemment, constate la situation difficile que connaissent certains régimes de retraite, relève l'urgence et la nécessité d'entreprendre un processus de réformes profondes du système de retraite au Maroc. Cela, on le savait déjà ! Mais, y a-t-il une vie après la retraite et de quoi demain sera-t-il fait ? Un rapport de plus, un rapport de moins, l'essentiel n'est-il pas d'engager des réformes pour sauver les retraites des Marocains ? C'est sur la base d'une mission d'évaluation de la situation des régimes de retraite en vigueur au Maroc que ce rapport a été élaboré. Cette mission a couvert le régime des pensions civiles de la Caisse Marocaine des Retraites (CMR), le régime général du Régime Collectif d'Allocation de Retraite (RCAR), le régime de retraite de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et le régime de retraite complémentaire géré par la Caisse Interprofessionnelle Marocaine de Retraite (CIMR). Le diagnostic du système de retraite en vigueur au Maroc, se caractérise par la diversité et la non convergence des régimes, la diversité des modes de gouvernance, le faible taux de couverture des actifs avec à peine 33% de la population active, qui bénéficie d'une couverture retraite, et la non pérennité et le déséquilibre structurel de certains régimes, car, à l'horizon 2060, le total des engagements non couverts des quatre régimes de retraite examinés, actualisé à fin 2011, s'élève à 813 milliards DH. Les déficits financiers des régimes sont attendus dès 2014 pour la CMR, 2021 pour la CNSS et 2022 pour le RCAR. Le diagnostic des différents régimes a permis de relever ce qui suit: Pour le Régime des pensions civiles de la CMR à partir de 2014, le solde technique de ce régime (différence entre les cotisations et les prestations servies) va s'inscrire dans un trend baissier irréversible. Les réserves vont décroître jusqu'à devenir négatives à partir de 2021. Sa dette non couverte accumulée à l'horizon 2060, est estimée à fin 2011, à 583 milliards DH. Les principaux facteurs du déséquilibre de ce régime peuvent être présentés comme suit : - La générosité excessive: le régime offre pour chaque année de cotisation une annuité de 2,5%, soit un taux de remplacement qui peut atteindre 100% du dernier salaire. Cela constitue l'un des principaux facteurs d'aggravation du déséquilibre du régime. - Le dernier salaire comme assiette de liquidation: la pension de retraite est liquidée sur la base du dernier salaire et non d'un salaire moyen de la carrière ou d'une partie de la carrière, ce qui amène à servir des pensions élevées et sans corrélation avec le niveau des cotisations consenties. Les effets de ces deux facteurs intrinsèques au régime, qui s'éloignent complètement de la pratique internationale, sont fortement amplifiés par l'essoufflement du moteur démographique. Le rapport démographique est ainsi passé de 12 actifs pour un retraité en 1986, à 6 en 2001, 3 en 2012 et devrait atteindre 1 dès 2024, date à partir de laquelle le régime comptera plus de retraités que d'affiliés cotisants. Régime général du RCAR Le principal facteur du déséquilibre futur du régime réside dans le niveau de revalorisation des pensions qui est indexée sur l'évolution du salaire moyen du régime. A l'horizon 2060, les projections montrent que les indicateurs démographiques du régime devraient connaître une évolution semblable au régime des pensions civiles de la CMR. Le rapport démographique qui est actuellement de 3 actifs pour un retraité, devrait se situer à 0,8 à partir de 2045. Régime de retraite de la CNSS La fragilité du régime provient de la sous-tarification des droits pendant les quinze premières années d'activité (soit 3.240 jours) où chaque période de 216 jours de cotisation est équivalente à une annuité d'environ 3,33%. Cette situation est en outre de nature à encourager la sous-déclaration, voire la non-déclaration au-delà de cette période. Les projections actuarielles font ressortir que le solde technique et financier du régime serait négatif à partir de 2021 et que les réserves devraient être totalement épuisées en 2030. A fin 2011, la dette implicite non couverte du régime atteint un total de 197 milliards DH. Régime de retraite complémentaire de la CIMR Contrairement aux autres régimes, les projections actuarielles montrent, que le reglme complémentaire géré par la CIMR ne connaîtra pas d'épuisement de réserves durant la période de projection (2060), malgré l'apparition d'un déficit technique entre 2033 et 2050. Grâce aux réformes entreprises en 2003, le régime a pu remédier à la sous tarification qu'il connaissait et a amélioré ses taux de préfinancement et de couverture. Toutefois, la faiblesse majeure de ce régime réside dans son mode de fonctionnement par répartition alors qu'il a un caractère facultatif. Cela pose le double défi de sa pérennité qui est tributaire de nouvelles adhésions et de l'application stricte et continue de la juste tarification. Une réforme nécessaire Au vu des résultats du diagnostic, la mise en place de réformes du système de retraite parait fondamentale. Une simple action sur les paramètres, en conservant l'architecture actuelle, pourrait allonger l'horizon de viabilité des régimes, mais ne pourrait résoudre la problématique de la pérennité de la plupart des régimes. D'où la nécessité de concevoir toute réforme paramétrique à engager comme une étape vers une réforme globale de l'ensemble du système de retraite au Maroc. Dans ce sillage, la Cour des Comptes recommande d'engager au plus tôt une réforme progressive s'articulant en deux grandes phases. - Première phase: Réforme paramétrique La réforme paramétrique proposée aura pour principal objectif d'augmenter l'horizon de viabilité et diminuer la dette des régimes les plus fragiles notamment celui de la CMR dans la perspective d'une réforme systémique globale couvrant tous les régimes. La mise en œuvre de cette réforme devrait se faire selon une démarche progressive et prendre en considération la pénibilité caractérisant certains métiers. Régime des pensions civiles de la CMR - Age légal de départ à la retraite: Il devrait être porté à 65 ans sur un horizon de 10 ans (au lieu de 60 ans actuellement) tout en laissant la possibilité aux affiliés qui le souhaiteraient de prolonger leur durée d'activité afin de pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein. Au-delà d'un certain âge, le prolongement devrait être encadré. - Assiette de calcul des droits: Elle devrait être progressivement portée à la moyenne des salaires des 10 à 15 dernières années (au lieu du dernier salaire d'activité) comme c'est le cas dans de nombreux pays et même pour les autres régimes de retraite en vigueur au Maroc (CNSS - 8 dernières années et RCAR - moyenne du salaire de la carrière). - Taux d'annuité : 2% au lieu de 2,5% actuellement. - Taux de cotisation : 30% répartis comme suit: - 24% pour le régime de base en répartition au lieu de 20% actuellement; - 6% pour un régime additionnel en capitalisation répartis à parts égales entre l'employeur et l'employé. Avec la mise en place d'un régime additionnel et l'effet de l'abattement fiscal qui est passé en 2013 de 40% à 55%, la réforme paramétrique proposée devrait maintenir les pensions servies à un niveau proche de la situation actuelle et par conséquent, préserver le pouvoir d'achat des retraités. A l'horizon 2060, l'effet combiné des réformes proposées permettra d'augmenter l'horizon de viabilité du régime à 2028 et réduire la dette implicite de près de 60%. Régime général du RCAR - Age légal de départ à la retraite: il devrait être porté à 65 ans sur un horizon de 10 ans (au lieu de 60 ans actuellement) selon le même schéma que le régime des pensions civiles de la CMR. - Revalorisation: révision à la baisse du taux actuel de revalorisation des pensions à un niveau des 2/3 (66%) de l'évolution du salaire moyen du régime. Ces mesures auront pour effet combiné d'absorber les engagements non couverts du régime et de prolonger son horizon de viabilité au-delà de 2060. Régime de retraite de la CNSS - Age légal de départ à la retraite: il devrait être maintenu à 60 ans, tout en laissant la possibilité aux affiliés qui le souhaiteraient de prolonger leur activité jusqu'à 65 ans. - Taux de remplacement: le plafond des droits devrait être relevé à 75% au lieu de 70% actuellement afin d'offrir la possibilité aux salariés désireux de poursuivre leur activité au-delà de 60 ans et d'augmenter leurs droits. - Taux de cotisation: Il devra connaître une augmentation progressive de 11,89% actuellement à 14% sur une période de 5 ans. Toutefois, pour éviter l'augmentation des prélèvements obligatoires et préserver aussi bien la compétitivité des entreprises que le pouvoir d'achat des salariés cotisants, la Cour des comptes recommande de privilégier la possibilité de couvrir cette augmentation des cotisations par un redéploiement au niveau des autres cotisations sociales gérées par la CNSS. - Annuité de liquidation des droits: le nombre de jours nécessaires pour pouvoir bénéficier de 50% des droits devrait passer à 4.320 jours au lieu des 3.240 jours actuellement. Cette augmentation, qui sera progressive et étalée sur une période de 10 ans, devrait être accompagnée de mesures efficaces de lutte contre la non déclaration et la sous déclaration dont sont victimes les affiliés les plus vulnérables. A l'horizon 2060, ces mesures auront pour effet combiné d'améliorer l'horizon de viabilité du régime d'au moins 15 années et de réduire la dette non couverte, de plus 50%. - Deuxième phase: Vers une réforme systémique en deux étapes Cette deuxième phase comportera deux principales étapes : une première étape intermédiaire où il s'agira d'introduire des réformes permettant en particulier d'assurer une plus grande convergence et harmonisation des différents régimes, et une deuxième étape où le système cible sera mis en place. Etape 1 : Vers le début d'une réforme Systémique Cette étape, qui devrait être effectivement réalisée dans un horizon de 5 à 7 années, devrait constituer une transition vers la mise en place d'un régime de base unique généralisé devant couvrir l'ensemble des actifs des secteurs public et privé. Parmi les principales options qui pourraient être envisagées dans cette étape: - La mise en place de deux pôles de retraite (public et privé) qui consistera essentiellement à fusionner les régimes du secteur public; - Le maintien des régimes avec notamment une réforme profonde du régime des pensions civiles de la CMR en vue de son rapprochement des autres régimes existants surtout au niveau du plafonnement. Etape 2 : Vers un système à régime de base unique A ce niveau, la Cour ne souhaite pas proposer un schéma précis quant aux choix à opérer en matière d'architecture du système et des principales règles et paramètres qui le régissent, mais plutôt d'en préciser les contours. Le nouveau système de retraite devrait adopter une logique de piliers comprenant : Régime de base unique Parmi les principales caractéristiques de ce régime qui devrait couvrir l'ensemble des actifs, il convient de citer : - Le plafonnement et la fixation d'un taux de remplacement permettant d'assurer un niveau de pension convenable; - La détermination des taux de cotisation compatibles avec les impératifs de compétitivité, de préservation du pouvoir d'achat des cotisants et de la viabilité du régime ; - Le régime sera basé sur la répartition et sa gestion devrait être confiée à un organisme public. Régimes complémentaires Les régimes complémentaires devraient prendre en considération les facteurs suivants: - Ils seraient à cotisations définies ; - Ils fonctionneraient en mode capitalisation, sans toutefois écarter l'option de la répartition en particulier dans le secteur privé. Le caractère obligatoire de ces régimes pourrait être limité, dans un premier lieu, au secteur public avant d'être progressivement généralisé. Régimes facultatifs Ils seront destinés à prendre en charge la partie des revenus supérieure au plafond des régimes complémentaires. Le mode de fonctionnement approprié est la capitalisation. Etant sur une base facultative, les cotisations seront supportées exclusivement par les affiliés. Pour l'accompagnement de la mise en œuvre de la réforme, il est proposé la création d'un organe indépendant de veille et de suivi du système. Cet organe aura pour mission notamment le suivi permanent de la situation du système de retraite et l'accompagnement de la mise en œuvre de la réforme. Maintenant, il est à souhaiter que l'usage qui sera réservé aux conclusions et recommandations de ce rapport servira l'intérêt général et activera concrètement la réforme nécessaire à la viabilité du système de retraite. Effectivement, un plan d'action étalé jusqu'en 2060 peut souffrir des aléas de la non-visibilité des politiques à court-terme de gouvernements ayant un tableau de bord à 4 ou 5 années avec des échéances électorales à l'horizon. Le Maroc n'est pas le seul pays à avoir des soucis avec les retraites, mais d'autres pays dont surtout la France connaissent d'âpres discussions à ce sujet. Aussi, serait-il opportun de s'intéresser, voire de s'inspirer de ce qui s'y passe. En attendant, la question reste suspendue pour des centaines de milliers de travailleurs et de salariés : Le futur de nos retraites a-t-il un avenir ?