Pour la première fois vient de paraître sous les Presses d'Edita Estrechando, à Tétouan 2013, «Zéjeles de Las dos orillas» (Les Zajales des deux rives), une petite anthologie d'un trio poétique zégéliste luso-hispanophone des poètes Maria do Sameíro Barroso (du Portugal), Patricío González García (d'Espagne) et Mohamed Ahmed Mgara (sur notre photo). Le prologue de l'œuvre souligne sciemment : «On pourrait parler d'une résurgence du zajal dans cette nouvelle Andalousie, ou bien d'une simple réunification du champ créatif et intellectuel de la Péninsule.» Or, décrivant le zajal d'origine arabo-andalou, G. Cirot et M. Darbord indiquent notamment: «L'influence arabe sur la lyrique castillane semble s'être produite par la diffusion d'un type de chansons, appelées zejel, qui n'est pas nécessairement d'origine orientale et a pu naître sur le sol andalou, dans sa forme populaire. Le zejel le plus courant, dont la moaxaha [la muwachaha] est une forme plus érudite, et constituée par des strophes de quatre vers, de 6, 8, 10 ou 12 syllabes, dont les trois premiers (tristique monorime) riment entre eux, et le dernier avec les deux vers à rimes constantes du refrain. Ce dernier se chante en chœur avec accompagnement.»-«LITTÉRATURE ESPAGNOLE EUROPÉNNE», Paris, Ed. Armand Colin, 1956. Certes, l'ouvrage se compose de trois parties respectivement : 1) MARIA DO SAMEIRO BARROSO (9 poèmes), 2) PATRICIO GONZALEZ GARCIA (15 poèmes), 3) MOHAMED AHMED MGRA (15 poèmes). Le prélude reconnaît par ailleurs le mérite de Patricio Gonzalez initiateur d'une telle résurgence en Andalousie en signalant : «Patricio Gonzalez porte l'illustre pari à faire récupérer par l'Andalousie ce moyen d'expression populaire authentiquement séculaire. Tout cela est né en 2009, lors de sa présence à Dar Sanaa – Escuela de Artes y Oficios Tradicionales ubicada -, à Bab Okla, dans la cité de Tétouan, au cours d'une rencontre de zajalistes pendant laquelle ont eu lieu des lectures et des activités parallèles.» (Ibid.). Pour illustrer cet effort de renaissance zajaliste luso-hispanique, et en donner un avant-goût charmeur, faisons un bref aperçu illustré des maîtres artisans cette initiative luso-hispano-marocaine hautement exemplaire, à travers la contribution de notamment : *Maria Sameiro Barroso (Portugal, 1951) La poétesse portugaise Maria do Sameíro Barroso est née en 1951, à Braga. Elle est diplômée en philologie allemande, en médecine et chirurgie de l'Université de Lisbonne. Elle est membre du Pen Club portugais. Initialement dédiée à la poésie, elle élargit son activité à la traduction d'auteurs allemands et en histoire de la médecine. Elle a écrit «Le Crimson de coquelicot» (1987), «La Litanie rose » (1997), «Poèmes soir incomplet» (2010), etc. Ainsi, de «Zéjeles de Las dos orillas», citons d'elle par exemple : ZÉJEL À SILVES «Lys et parole, fleur de lumière, caverne de feu et éblouissement. Comme une émeraude noire traque sa proie, la nuit demeure de fièvre, parce que à Silves, en ses ruines, vit le roi Al Mutamid. En ses patios de soie et de fraîcheur De sa belle douceur, Avaient vécu Maures et poètes Guerriers de fer et de prophéties, C'est pourquoi à Silves, en ses ruines Vit le roi Al Mutamid.» *Patricio González Garcia( Espagne, 1955) L'écrivain et poète espagnol Patricio González Garcia est né en 1955, à Algésiras. Il a été ancien maire d'Algésiras, pendant trois mandats (12 ans), député provincial et directeur des relations avec le Nord du Maroc, par le biais de Las dos Orillas Fondation (la Fondation des Deux Rives). Il est actuellement à la retraite suite à une maladie cardiaque majeure. Il a donné des conférences notamment à l'Université Abdelmalek Essaadi de Tanger-Tétouan, à l'Université de Cadix, à l'Université internationale d'Andalousie. Il est aussi le présentateur d'innombrables livres et d'écrivains, chroniqueur d'information au ‘Phare', ‘Viva-Campo' de Gibraltar et à ‘Teleprensa.es' et commentateur sur ‘Onda Cero Radio Television' de San Roque et dans ‘Le hispaniste' Tetuan. De sa contribution dans ce même ouvrage, citons par exemple : EL DOLOR «J'ai l'âme chagrinée cette nuit. Ne te fais aucun reproche. Cette douleur est intérieure. De tant de mal comme je rencontre. Quand dans la nuit je rentre. La douleur est une prodigalité. J'ai l'âme chagrinée cette nuit. Ne te fais aucun reproche.» *Ahmed Mohamed Mgara (Maroc, 1954) Le poète et écrivain polygraphe hispano-arabophone marocain, Ahmed Mohamed Mgara est né en 1954, à Martil près de Tétouan, au Maroc. C'est le fils de l'un des archivistes de la Combe Blanche. Il fait ses études primaires et secondaires à Tétouan et supérieures en Andalousie (Malaga et Grenade), en génie industriel et social. Il a créé un journal ‘El Eco de Tetuan' (1996) et publié des dizaines de livres dont ‘Tetuan... Andalouse charme' (1997), avec Amour' (2003), ‘Divagations' (2005), ‘Les Femmes hispano-marocaines poésie' (2009), etc. Il a reçu le premier Prix de la Culture Fondation Mariano Bertuchi d'Algésiras des deux rives, de la province de Cadix. De ses poèmes au sein de cette anthologie en tant que représentant de la part morisque, citons à titre d'exemple : DE RONDA À TÉTOUAN «De Ronda je tiens à mon aimée, à Tétouan personne ne m'attends. De la lune je tiens la timidité; l'apparition par la corniche plane mon âme de lumière et de rire. À Ronda retourne une nymphe. De Ronda je tiens à mon aimée, à Tétouan personne ne m'attends. En ses vues on entend des chants et des siècles d'amour, et en ses marches, pour Tétouan, Ronda et autres demeures. Morisque chrétienne... bienaimée.» Or, de ce merveilleux joyau taillé avec tact par ce trio zajaliste luso-hispano-marocain, soulignons avec force la renaissance ibérique de ce genre poétique arabo-andalou par excellence, ce dont A.M. Mgara situe la survivance hispanique oralo-lyrique en Amérique latine, arabo-islamique en Afrique du Nord et au Moyen Orient, et dont pourrait se réclamer son actuelle résurgence en Espagne, au Portugal et au Midi de la France. À cet égard, le critique brésilien José Guilherme Merquir rappelle en particulier : En effet, ‘l'oralité' qui détermine l'orientation de la littérature latino-américaine [v. le zajal] et qui est la marque stylistique du statut social de l'écrivain [v. du poète zégéliste] n'opère pas dans le domaine de la chosification, nommée ‘la métonymie de la langue', mais dans ‘le registre de la langue' (...). Enfin, l'oralité de la littérature créole n'émane pas d'une translation supposée vers l'art populaire (...). La simplicité n'a pas entravé l'imitation mécanique permanente des moules transatlantique [v. le zejel arabo-andalou].» - César Fernabdez Morino : «AMERICA LATINA EN SU LITERATURA », Kuweit, Ed. M.S., 1988, p.258. En un mot, une petite anthologie interculturelle grandiloquente à saluer et une voie exemplaire à suivre entre les deux rives du Détroit de Gibraltar et de par le monde.