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Entretien avec Fatiha Benlabbah, Directrice de l'Institut des Etudes Hispaniques et Lusophones : «L'Institut s'érige en pont entre le Maroc et les différents territoires de civilisation hispaniques et lusophones»
L'Opinion: L'IEHL existe depuis huit ans. Que pouvez-vous nous en dire pour le présenter aujourd'hui à des lecteurs qui ne le connaissent pas ? Fatiha Benlabbah: L'Institut des Etudes Hispano-Lusophones (IEHL) est un établissement de recherche scientifique supérieur, dernier né parmi les établissements de l'Université Mohammed V Agdal. Il a été créé en 2002 et c'est en 2005 qu'il a été mis service. Depuis, il grandit, se développe, accomplit sa tâche. Sa mission consiste à réaliser des études et des recherches sur différents aspects de la culture et civilisation d'Espagne, du Portugal et d'Amérique Latine mais aussi des pays africains lusophones. Pour atteindre ces objectifs et quoiqu'il ne dispose que d'une équipe réduite, l'IEHL organise régulièrement des activités scientifiques et culturelles. C'est à tort que d'aucuns croient que notre intérêt se limite au patrimoine architectural historique et culturel partagé. C'est vrai que c'est là un aspect très important, fondamental même pour les relations entre le Maroc, l'Espagne et le Portugal. Seulement, nous nous attachons aussi à l'étude et la recherche dans d'autres domaines d'intérêt commun, liés au présent des relations entre le Maroc et ces pays et à l'avenir aussi. A travers la recherche et les activités, séminaires, rencontres, conférences, colloques, ateliers, publications, nous essayons de matérialiser cette mission de l'IEHL. L'Opinion: Existe-t-il d'autres institutions similaires ? Fatiha Benlabbah: Non, l'Institut est unique en son genre au niveau national de par sa configuration, il n'y a qu'un seul institut des études hispano-lusophones au Maroc. L'Institut s'érige comme un pont entre ces différents territoires de civilisation. Il est à espérer qu'à travers notre travail, soit confirmé le rôle de notre pays comme leadership et trait d'union entre les mondes africain et arabe d'une part et européen et latino-américain d'autre part. C'est pourquoi nous avons choisi comme devise de l'Institut celle d'être un «instrument de diplomatie culturelle et universitaire». L'Opinion: Comment se manifeste le travail de l'IEHL sur le terrain ? Fatiha Benlabbah: C'est grâce aux activités scientifiques et culturelles que nous organisons chaque année. Nous avons tout un programme d'activités très ciblé, que cela concerne l'Espagne ou le Portugal ou encore le Brésil, l'Argentine, le Pérou, le Chili etc. Ce sont des activités très ciblées parce que nous avons toujours des objectifs à atteindre. Toute activité répond à des objectifs fondamentaux. Ainsi à titre d'exemple, nous avons organisé entre 2005 et 2013 plus de quarante activités scientifiques dont des congrès de haut niveau, une rencontre euro-maghrébine, un colloque sur les Morisques et leur héritage sur les deux rives, un important congrès sur le thème très peu traité chez nous au Maroc, celui de la frontière. Ce colloque international portait sur le thème «Repenser les frontières culturelles et continuité». Nous l'avions organisé en collaboration avec notre principal partenaire latino-américain en ce moment, l'Université nationale Rosario d'Argentine. Parallèlement nous avons publié les actes des colloques. L'Opinion: Quelles activités concernant spécifiquement les relations entre le Maroc et l'Espagne ? Fatiha Benlabbah: Nous avons organisé plusieurs rencontres sur les relations entre le Maroc et l'Espagne. Sur ce sujet nous avons publié trois livres en espagnol et en arabe et nous avons un quatrième sous presse sur la problématique coloniale espagnole au Maroc. L'Opinion: Que dire de l'intervention de l'IEHL dans le domaine lusophone ? Fatiha Benlabbah: En ce qui concerne le Portugal, nous essayons de toucher aux aspects les plus pertinents sans oublier le patrimoine architectural partagé entre le Maroc et le Portugal. Nous avons publié plusieurs ouvrages sur ce sujet et nous pensons lancer des études d'exploration d'autres aspects de ces relations. D'autre part, nous avons actuellement, en cours de publication, un ouvrage inédit sur l'Afrique, le Portugal et le Brésil. Cela s'intitule «Trajectoire, mémoire et identité». C'est un ouvrage comportant des études sur l'Afrique lusophone, sur l'esclavage, le Brésil et l'Afrique, les Arabes etc. C'est un ouvrage très attendu compte tenu de son importance dans un domaine de recherche relativement peu exploré. Toujours pour le domaine lusophone, nous venons de publier simultanément trois versions d'un même ouvrage. Il s'agit d'une étude sur un autre thème inédit à savoir les musulmans au Brésil. J'ai été personnellement, entre fin mai et début juin derniers, en Amérique Latine notamment en Argentine et au Brésil pour présenter ce livre qui a suscité beaucoup d'intérêt chez le public s'intéressant à l'islam. C'est pour nous une première pour un ouvrage publié en même temps en trois versions portugais, espagnol et arabe. Résultat de travaux de recherche de terrain inédits, ces études ont été effectuées par des chercheurs d'Argentine et du Brésil. La version arabe de l'ouvrage a été réalisée par les soins de l'équipe de l'IEHL. Les textes originaux sont en portugais. Il s'agit d'une coédition entre l'IEHL et l'Université Rosario Argentine qui s'est chargé elle de la version espagnole. L'Opinion: Quel positionnement des langues ibériques à l'Institut ? Fatiha Benlabbah: L'espagnol est la langue principale utilisée à l'IEHL et un peu le portugais. L'équipe lusophone est en train de s'étoffer. L'espagnol est pour nous une langue omniprésente de communication avec les ambassades, les institutions universitaires du monde hispanique et autres. Pour les ouvrages publiés à l'IEHL, la part du lion revient à l'espagnol. Par exemple jusqu'à aujourd'hui entre les ouvrages propres de l'IEHL et ceux de nos collègues des départements de langue espagnole des différentes universités marocaines que l'Institut édite, nous avons publié de 2009 à 2013 pas moins de 39 ouvrages dont 23 sont des études relatives spécifiquement à l'Espagne. L'espagnol est donc pour nous la principale langue de communication et aussi de travail. D'ailleurs nous sommes en train de finaliser notre projet d'enseignement de l'espagnol, mais aussi dans une moindre mesure du portugais. Nous dispenserons aussi des cours d'arabe (dialectal et classique) dont la demande est exprimée par des étrangers. Nous allons donc commencer à enseigner ces langues ici à l'Institut à partir de la prochaine rentrée universitaire. L'espagnol au niveau de l'enseignement au secondaire et au supérieur au Maroc est loin d'occuper la première place en tant que langue étrangère devant le français et l'anglais. Il n'en demeure pas moins qu'il occupe une place importante. D'années en années on remarque que le nombre des marocains qui s'inscrivent pour entamer une carrière en espagnol dans les universités marocaines, est en constante augmentation. L'Opinion: Y a-t-il une idée plus précise sur cette évolution ? Fatiha Benlabbah: Un exemple, dans la faculté de lettres Ibn Zohr à Agadir le nombre d'étudiants dans le département hispanophone augmente constamment passant de 300 environ en 2010 à 500 environ en 2013. Par contre il y a plus de 2000 étudiants inscrits dans le département d'anglais dans la même faculté. Il y a plus de demande pour le français et l'anglais que pour l'espagnol cela a toujours été ainsi. Pour l'espagnol on n'a jamais vu d'augmentation d'inscriptions en masse. Mais il y a toujours eu une évolution, très douce certes mais constante et assez sensible du nombre d'étudiants qui suivent un cursus en espagnol dans les universités marocaines. L'Opinion: Peut-être que les universités du Nord du Maroc connaissent plus d'engouement pour l'espagnol compte tenu de l'Histoire et de la proximité? Fatiha Benlabbah: Je n'ai pas de chiffres précis mais je pense qu'en général c'est partout presque une évolution similaire. Nous avons ici à Rabat moins d'étudiants qu'à Agadir. Ceci dit le Nord du Maroc reste l'espace où l'espagnol est plus vivant même si ces derniers temps on a senti comme un certain détachement. Avant on utilisait plus souvent l'espagnol au Nord, région de Tanger et de Tétouan, aujourd'hui de moins en moins. Les espagnols sont conscients de cet état de fait. L'Opinion: Qu'en est-il des traductions de l'espagnol à l'arabe ? Fatiha Benlabbah: Nous essayons de ne pas oublier l'arabe parallèlement à l'espagnol et le portugais. En 2009 nous avons publié un ouvrage de référence en ce qui concerne les études sur les relations entre le Maroc et l'Espagne «Sud de Tarifa, Maroc et Espagne malentendu historique». C'est un livre qui avait été écrit par un diplomate, ancien ambassadeur d'Espagne au Maroc. Nous avons traduit par nos soins cet ouvrage en arabe. D'autres ouvrages «Rêver à voix haute» sélection de contes traduits en arabe. Nous publions aussi «Ronda l'andalouse au temps des Mérinides» un livre en arabe de l'historien Abdelhadi Tazi. Nous avons traduit du catalan à l'espagnol le livre de littérature de voyage d'Aurora Bertrana, anti-colonialiste convaincue «Maroc sensuel et fanatique». Il s'agit d'un récit du voyage que l'auteur avait effectué au Maroc en 1935. Nous pensons en réaliser une traduction en arabe. Nous organisons des colloques où nous invitons des collègues qui ne sont pas hispanisant. Nous avons de bons historiens au Maroc dans les universités marocaines à Meknès, Rabat, Marrakech, des historiens qui travaillent sur les questions de relations entre le Maroc et l'Espagne, le Sahara, Sebta et Mellila et nous les invitons aussi. Nous sommes un pont et notre espace est une plateforme ouverte, nous souhaitons en faire un espace fédérateur des compétences marocaines. Le fait de ne pas connaitre l'espagnol ne doit pas constituer un frein ou un obstacle pour donner la parole à des chercheurs marocains auxquels nous permettons le contact et le dialogue avec des chercheurs espagnols ou latino-américains. Nous sommes tout le temps en train de jeter des ponts. L'Opinion: Quelles autres activités en perspective ? Fatiha Benlabbah: Nous avons le projet d'un grand congrès sur les « Orients désorientés » en partenariat avec l'Université Blaise Pascal fin 2014 année de la célébration du 50ème anniversaire de coopération entre le Maroc et le Pérou. Nous envisageons de mettre en œuvre plusieurs activités à cette occasion autour des relations entre le Maroc et le Pérou.