Des milliers de personnes sont à nouveau descendues dans les rues d'Istanbul dans la nuit de samedi à dimanche, érigeant des barricades de fortune et allumant des feux après l'intervention des forces anti-émeutes dans le parc de Gezi, épicentre de la contestation contre le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. Dans la soirée, des forces de police appuyées par des blindés ont bouclé la place Taksim tandis que des unités intervenaient à l'aide de gaz lacrymogènes et de canons à eau dans le parc voisin. L'intervention dans le parc Gezi avait été précédée par un ultimatum lancé dans l'après-midi par Erdogan qui exigeait que les manifestants quittent la place où ils se réunissent régulièrement depuis deux semaines. «Notre parti organise un rassemblement à Istanbul demain. Je le dis clairement: la place Taksim doit être évacuée faute de quoi les forces de l'ordre sauront comment y parvenir», a-t-il affirmé. Face à ce retour d'un ton ferme et une nouvelle intervention policière, les manifestants sont revenus dans la rue. Ils ont érigé des barricades et mis le feu à des poubelles dans plusieurs quartiers d'Istanbul. La télévision locale a montré des groupes de manifestants qui bloquaient la principale voie rapide menant à l'aéroport Ataturk dans la partie occidentale de la ville. Dans le même temps, plusieurs centaines de personnes se dirigeaient vers le principal pont enjambant le Bosphore et menant à Taksim, dans la partie est de la ville. Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées dans le quartier populaire de Gazi qui avait été le théâtre de violents heurts avec la police dans les années 90. «La brutalité policière vise à dégager les rues d'Istanbul pour laisser le champ libre au rassemblement prévu par Erdogan demain. Mais cela ne marchera pas. Les gens se sentent trahis», a commenté Oguz Kaan Salici, président du Parti républicain populaire, principale formation de l'opposition. C'est une intervention musclée de même nature dans le parc Gezi il y a deux semaines qui avait provoqué la contestation populaire. La manifestation, qui visait à l'origine un projet d'aménagement urbain dans le seul espace vert du centre-ville, s'était transformée en critique de l'autoritarisme d'Erdogan. Face à l'intervention des policiers, de nombreux manifestants ont évacué en panique la place Taksim. «Nous avons tenté de fuir et la police nous a pourchassés. On aurait dit la guerre», a commenté Claudia Roth, coprésidente du parti des Verts allemands qui était venue au parc Gezi pour exprimer son soutien aux manifestants. Cette reprise de la violence intervient alors que le principal syndicat de la fonction publique, Kesk, qui compte quelque 240.000 membres, a appelé à une journée de grève nationale lundi. Une autre organisation, la Confédération des syndicats révolutionnaires (DISK), s'est réunie en urgence pour discuter d'une participation à l'action proposée par les fonctionnaires. L'intervention des forces de l'ordre samedi soir a surpris beaucoup de manifestants car elle est intervenue peu de temps après la nouvelle allocution d'Erdogan. Elle a d'autant plus surpris que dans la journée le président Abdullah Gül avait adopté un ton beaucoup plus conciliant, affirmant que les négociations progressaient entre le gouvernement et les contestataires. «Le fait que les canaux de la négociation et du dialogue soient ouverts est un signe de maturité démocratique. Je pense que ce processus donnera de bons résultats», avait estimé le chef de l'Etat sur son compte Twitter. Mais lors du premier des deux rassemblements du Parti de la Justice et du Développement (AKP) prévus ce weekend, Erdogan a repris un ton véhément, affirmant devant plusieurs dizaines de milliers de partisans à Ankara qu'il écraserait ses adversaires lors des prochaines élections. Des manifestants se sont également rassemblés à Ankara dans le parc Kugulu au centre de la capitale et ont été rejoints par des parlementaires de l'opposition.