Des milliers de syndicalistes turcs ont défilé mercredi vers la place Taksim à Istanbul, épicentre des manifestations contre le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, et la "dérive autoritaire" de l'AKP, parti au pouvoir depuis plus de dix ans. Une douzaine de syndicats se sont joints au mouvement de protestation qui s'est durci depuis vendredi dernier à la suite de la répression menée par les forces de police. Deux manifestants ont été tués dimanche et lundi et plus de 3.000 personnes ont été blessées. A l'origine de ces manifestations, les plus graves depuis l'arrivée au pouvoir en 2002 du Parti de la justice et du développement (AKP) issu de la mouvance islamiste, l'opposition des écologistes et des partis laïques à un projet de rénovation urbaine de la place Taksim. Les travaux prévoient notamment la construction d'une mosquée et d'une réplique d'une caserne de style ottoman, avec l'arrachage d'une douzaine d'arbres du parc Gezi qui borde la place. Les partis laïques et de gauche, notamment le CHP (Parti républicain du peuple) fondé par Mustafa Kemal Atatürk, le père de la Turquie moderne, rappellent le caractère symbolique de la place Taksim, lieu de rassemblements politiques depuis des décennies, notamment à l'occasion du 1er-Mai. Lors de la Fête du Travail en 1977, une trentaine de manifestants y avaient été tués. La Confédération des syndicats de la fonction publique (Kesk) mène depuis mardi une "grève d'avertissement" de quarante-huit heures pour protester contre les violences policières. Elle représente onze syndicats et compte 240.000 adhérents. Une autre organisation, la Confédération turque des travailleurs révolutionnaires, a appelé ses adhérents à une journée de grève ce mercredi. Le défilé syndical vers la place Taksim s'est déroulé aux cris de "Tayyip démission!" et au son des tambours. Une manifestation antigouvernementale a également été organisée dans le parc de Kizilay à Ankara, la capitale. Dans la nuit de mardi à mercredi, des groupes de jeunes ont continué à affronter la police dans plusieurs villes du pays. Le Premier ministre turc, en visite officielle au Maghreb, regagnera son pays jeudi. Il a qualifié les manifestants de "pillards" qui marchent "main dans la main avec les terroristes". Son vice-Premier ministre, Bülent Arinç, a adopté un ton plus conciliant, demandant pardon pour les brutalités policières de vendredi dernier, au début du mouvement, et a rencontré mercredi une délégation d'architectes opposés au projet de la place Taksim. Il a également reçu une délégation de militants qui a réclamé la remise en liberté des manifestants arrêtés, l'arrêt du recours au gaz lacrymogène et le limogeage des officiers qui ont supervisé la répression. Bülent Arinç, qui assure l'intérim du chef du gouvernement en son absence, a consulté mardi le président Abdullah Gül, qui a lui aussi adopté une position plus conciliante qu'Erdogan depuis le début des événements. Ces ouvertures, saluées par la presse turque qui parle de "rameau d'olivier", sont jugées trop tardives par les manifestants. "Nous allons montrer que nous ne nous coucherons pas devant le fascisme de l'AKP", disent dans un communiqué commun deux confédérations syndicales. "L'AKP cherche à intimider une grande partie de la société pour réaliser ses rêves de puissance en limitant les droits et les libertés." Sur la place, des milliers d'opposants restent installés dans un campement de fortune. De petites tentes ont fait leur apparition et l'on vend de la nourriture et des masques chirurgicaux. Une librairie est en train de se monter. Des militants du collectif de cyberpirates Anonymous ont dit avoir attaqué des sites du gouvernement turc et obtenu des détails confidentiels sur des membres des services du Premier ministre. Des affrontements ont eu lieu dans la nuit de mardi à mercredi dans la province de Tunceli, dans l'est du pays. La police a eu recours aux gaz lacrymogènes et aux canons à eau contre des centaines de manifestants qui avaient érigé des barricades et lançaient des pierres. A Izmir, la grande cité portuaire de la mer Egée, la police a effectué une quarantaine de perquisitions et interpellé 25 personnes soupçonnées d'avoir appelé à l'insurrection sur les réseaux sociaux, a rapporté Alaattin Yüksel, numéro deux du CHP. Le vice-président américain Joe Biden a demandé mardi au gouvernement turc de respecter les droits des manifestants. "L'avenir de la Turquie appartient au peuple turc et à personne d'autre", a-t-il dit.