Le ministre délégué auprès du chef de gouvernement chargé des Affaires générales et de la gouvernance s'est voulu rassurant dimanche dernier sur la chaîne de télévision «Médi1 TV». Si le niveau de vie d'une majorité de marocains devait baisser suite à une libéralisation des prix des produits de première nécessité, cette baisse se ferait selon un modèle marocain, a-t-il, en substance, expliqué. Pas besoin du FMI ou autre organisation financière internationale pour prescrire aux Marocains une cure d'amaigrissement. Ils vont se serrer eux-mêmes la ceinture, pour ceux qui en ont une Il reste maintenant à savoir si l'auto-privation saurait être moins douloureuse et jusqu'à quel point la démarche proposée aux Marocains serait d'un apport consistant pour l'avenir de la nation. Mais il ne faudrait surtout pas croire que le gouvernement Benkirane ne laisse pas le choix aux Marocains en matière de démantèlement du système de compensation. Ils peuvent choisir en toute liberté entre la thérapie de choc qui consiste en une libéralisation brutale des prix des produits subventionnés, celle «graduelle» sur trois ou quatre ans, ou plus simplement la libéralisation du seul prix du sucre. En fait de multiplicité des choix, le gouvernement sait pertinemment que la première «solution» n'en est pas une en fait. Si l'on devait laisser du jour au lendemain le marché décider des prix du gaz butane et des carburants, l'inflation risque vite de grimper à 7% selon les estimations. Echelonnée sur trois ou quatre ans, la disparition des subventions entraînerait une hausse de l'inflation «limitée» à 4%. Si seul le prix du sucre est concerné, il n'est pas prévu d'impact notable sur le coût de la vie en général. Mais cette troisième solution ne serait qu'un pis allé, car jugée trop modeste pour pouvoir réellement alléger la charge de la compensation supportée par le budget public. En fin de compte, il n'est proposé aux citoyens qu'un seul choix véritablement ciblé, celui dit «graduel», même s'il est légitime de se demander si un échelonnement du démantèlement du système des subventions sur trois à quatre ans seulement peut être considéré comme «graduel». Si les hauts commis bien payés de l'Etat estiment que trois à quatre ans sont suffisants pour que les ménages marocains «s'adaptent» au renchérissement galopant des prix, ils peuvent toujours faire le calcul pour un smigard et se rendre compte qu'en l'absence d'augmentations de salaires aussi progressives et conséquentes, une libéralisation des prix sur trois ou quatre ans n'est pas aussi socialement supportable qu'elle pourrait en avoir l'air. Or, une hausse significative des salaires ne manquerait pas de nuire à la compétitivité des produits marocains sur les marchés extérieurs. Vu le volume du chômage dont souffre déjà le pays, des fermetures d'usines et de centres d'appels et leur corollaire, les suppressions d'emplois, ne sont ni dans l'intérêt du peuple ni dans celui de l'Etat, qui verrait ses recettes en devises et fiscales régresser et les tensions sociales connaître la courbe inverse. Nul besoin pour le gouvernement Benkirane de souligner la nécessité de réformer la caisse de compensation. Ce n'est pas le premier gouvernement à avoir soulevé le sujet, les Marocains ont eu droit à suffisamment d'explications pour comprendre qu'il s'agit d'un système socialement inéquitable et budgétairement insoutenable et il y a déjà unanimité sur le besoin de trouver une solution. Tout le problème résidait jusqu'à présent sur la manière de s'y prendre. Le gouvernement de M. Benkirane ne devrait surtout pas croire que la démarche proposée, dictée par des considérations d'orthodoxie financière dans le pur style libéral, ait échappé à ses prédécesseurs. Sauf qu'elle est si socialement coûteuse que personne jusqu'à présent n'avait osé franchir ce pas. Il a fallu attendre les islamistes du PJD, dont la base électorale est pourtant essentiellement recrutée dans les couches moyennes, principales perdantes d'une libéralisation rapide des prix des produits subventionnés, pour avancer allégrement sur ce champ socialement miné. Le ministre délégué auprès du chef de gouvernement chargé des Affaires générales et de la gouvernance a quand même souligné que ce démantèlement du système de subvention des produits de première nécessité devrait être équilibré par des mesures d'accompagnement, mais sans entrer dans plus de détails à ce sujet. La seule mesure d'accompagnement dont il est clairement question depuis que le sujet a été de nouveau suscité par l'actuel gouvernement, c'est celle d'une aide directe aux familles les plus démunies. Il apparaît ainsi clairement que la «solution» islamiste pour résoudre le problème de la pauvreté n'est autre que l'aumône, alors que les Marocains escomptaient plutôt une vision basée sur la création d'emplois, puisque l'Islam prône l'autonomie du croyant plutôt que sa dépendance envers le soutien d'autrui, fût-ce celui de l'Etat, s'il n'est pas dans l'incapacité de travailler.