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Caisse de Compensation : La réforme bloquée par les lobbies
Publié dans Challenge le 24 - 11 - 2007

La Caisse de Compensation a, depuis toujours, représenté un défi pour les gouvernements successifs. D'où la difficulté de la réformer...
Aucun gouvernement ne s'est risqué à réformer la Caisse de Compensation, cette caisse qui a servi à tout, jusqu'à soutenir le pouvoir d'achat des riches. Vous avez bien lu, il ne s'agit pas exclusivement de pauvres, mais de riches, d'industries, de lobbies… A la veille de chaque échéance électorale, la question de la Caisse de compensation est mise sur la table. On parle dès lors de réforme, d'économie au profit du budget, de réaffectation des ressources… Et réaffecter 20 milliards de DH, avouons-le, le pari est tentant. Mais, personne ne veut s'y aventurer. Posons la question cruciale : pourquoi les gouvernements successifs n'ont pas réformé la Caisse de compensation et les mécanismes de subvention des prix de certains produits ? Pour deux raisons essentielles : les uns n'avaient pas le courage politique nécessaire, les autres n'en voyaient pas la nécessité, surtout quand les prix de la matière première connaissent une détente à l'international. Les uns comme les autres ont laissé la patate chaude à Abbas El Fassi, l'actuel Premier ministre. Qu'en fera-t-il ?
Une histoire de gâchis et de manque de clairvoyance
Pour comprendre la crise de la compensation, il faut remonter à ses origines. Au Maroc, la Caisse de compensation, qui est l'organisme public chargé de la péréquation des prix et de la gestion du système des subventions à la consommation, existe depuis 1941, mais la question des subventions des produits alimentaires de base n'a commencé à se poser avec acuité qu'à partir du milieu des années 70. Selon Najib Akesbi, économiste et universitaire, cette Caisse a vécu des décennies dans la «discrétion», parce qu'elle ne posait pas de problème du point de vue de son équilibre financier, étant régulièrement excédentaire. «À partir de 1965, son statut change. Elle devient un établissement public avec autonomie financière et personnalité morale, mais dans les faits, elle continue de fonctionner comme une sorte de «boîte aux lettres», parce que les commissions techniques chargées de gérer concrètement le système relevaient de différents autres départements ministériels, elles-mêmes n'étant que l'instance formelle à travers laquelle les décideurs en haut lieu mettaient en œuvre leurs choix», dit-il.
En effet, durant les années 60, explique Najib Akesbi, ces choix revenaient en gros à tout stabiliser, sinon tout figer pour éviter tout risque d'inflation, de modification des prix relatifs, et partant des rapports économiques et sociaux sur lesquels reposaient les équilibres d'alors. «On s'appliquait à maintenir des prix stables pour être en mesure de continuer à geler les salaires. L'équilibre était maintenu par le bas, et cette forme de régulation ne pouvait que générer une croissance pour le moins médiocre. Le résultat est que la Caisse de compensation fait irruption sur la scène publique en 1974 parce qu'elle est en déficit certes, mais surtout parce que le problème qu'elle engendre devient structurellement porteur de dangers», précise-t-il. En fait, à partir du début des années 70, deux faits essentiels vont bouleverser la situation. Le premier se situe à l'amont et concerne la politique des prix des produits agricoles. L'idée qui s'installe alors, au demeurant largement promue par la Banque mondiale, est que les prix des producteurs agricoles sont trop faibles et que c'est cette faiblesse qui est responsable de la mauvaise productivité, de l'archaïsme des systèmes de production, etc. D'où l'idée des prix dits rémunérateurs : il faut augmenter les prix à la production et cette augmentation des prix est censée se traduire par une stimulation du producteur à accroître son rendement, à se moderniser.
Le second fait est inhérent à l'après «guerre du pétrole» de 1973, avec la flambée des cours mondiaux, en particulier des denrées alimentaires de base (céréales, sucre, huile...). Pour Akesbi, la conséquence est qu'elle a entraîné l'augmentation des prix à l'importation, lesquels, s'ils avaient été répercutés sur les consommateurs, auraient fortement détérioré leur pouvoir d'achat, et conduit, du moins au niveau du secteur organisé de l'économie, à alimenter les conflits sociaux et à aiguiser les revendications salariales. Or, c'est là que le pays se retrouvait face à un autre problème majeur : le risque d'handicaper la compétitivité des exportations, alors que le Maroc venait, avec le plan 1973-77, d'opter résolument pour une stratégie de promotion des exportations. Ainsi, opter en même temps pour une politique des prix et des salaires qui portait atteinte à la compétitivité des exportations, et vouloir promouvoir un modèle économique qui s'ouvrait sur l'extérieur et recherchait la compétitivité, apparaissait comme une contradiction. Pour lever cette dernière, l'Etat va intervenir financièrement et redéployer le système des subventions à la consommation. «Pour garantir des prix rémunérateurs aux producteurs agricoles et en même temps mettre sur le marché des produits à des prix abordables pour le consommateur, il fallait nécessairement solliciter le budget de l'Etat. Les montants des subventions vont considérablement s'accroître à partir de cette époque», souligne Akesbi.
Force est de constater donc qu'au départ, cette politique, et l'effort budgétaire de l'Etat qui l'accompagne, n'est pas spécialement motivée par une quelconque lutte contre la pauvreté. Elle est avant tout l'expression d'un mode de régulation spécifique.
L'action par la subvention des prix des produits de base avait pour avantage de bénéficier à tout le monde. Elle était aussi un choix pour un certain équilibre entre le monde rural et le monde urbain : si le premier était supposé bénéficier de la hausse des prix à la production, le second était prémuni contre ses conséquences sur son pouvoir d'achat… Jusqu'au tournant des années 80, le système avait plus ou moins fonctionné sans trop de problème. Mais avec la crise financière qui s'installe depuis, et l'intervention des organismes financiers internationaux dans l'ajustement structurel de l'économie qui en découle, le système des subventions en question focalise d'une certaine manière une véritable «idéologie de la réforme» : source de tous les problèmes (distorsion des prix, entraves aux mécanismes du marché, inefficacités…), sa suppression devait ouvrir la voie à toutes les restructurations salutaires pour mettre l'économie nationale sur le sentier d'une croissance forte et durable… La solution apparut donc limpide: il fallait dans un premier temps augmenter les prix pour les ajuster au moins aux coûts et atteindre «la vérité des prix», et dans un second temps, tendre vers la suppression de toutes les subventions. Le fait est qu'un tel projet s'est d'abord heurté à la résistance de la rue. Les
«émeutes de la faim» qui avaient éclaté en 1981 et 1984 dans différentes villes du pays avaient brutalement mis en évidence la sensibilité de la réforme du système de subvention des prix, surtout dans l'état de pauvreté où se trouvait la population. «En réagissant dramatiquement aux tentatives d'abandon des subventions à la consommation de denrées qu'elle considérait comme vitales, la population pauvre, surtout dans les villes, sonnait l'alarme et traçait d'une certaine manière les limites à ne pas franchir… Ces émeutes avaient donc mis en évidence la dimension politique de la question, et donné à réfléchir à plus d'un responsable politique. Qualifiée d'hautement sensible, cette question allait désormais être traitée avec la plus grande prudence», explique Najib Akesbi.
Dès lors, on comprend aisément que rien n'ait été fait pendant de longues années. Puis, lorsque les pressions externes se sont faites plus pressantes, les différents gouvernements se sont contentés de quelques actions partielles et d'importance inégale : libéralisation des prix des produits laitiers et de la farine dite «de luxe », plafonnement des quantités de farines ordinaires subventionnées, plafonnement en valeur absolue de la subvention unitaire du sucre, récupération des subventions contenues dans le prix du sucre dont bénéficient certaines industries agroalimentaires (mesure sur laquelle le gouvernement suivant est revenu sous la pression d'un lobbying intense des intérêts concernés), et libéralisation des prix de l'huile de table en 2001. Autrement dit, au lieu de s'attaquer au problème de fond, ils agissaient à la périphérie.
Une situation ordinaire, mais peu flexible
Pourtant, au cours des années 90 et jusqu'en 2003, les cours mondiaux se maintenaient à des bas niveaux. Les gouvernements de l'époque préféraient laisser s'aggraver la dépendance alimentaire du pays et s'accommoder des niveaux croissants des importations parce que ces dernières leur rapportaient des ressources considérables sous forme «d'équivalents tarifaires» élevés. C'était l'époque où une sécheresse et une mauvaise campagne agricole étaient plutôt une «bonne affaire» pour le ministère des Finances !
Il reste qu'aujourd'hui encore, le «noyau dur» du système des subventions à la consommation des produits alimentaires de base demeure. D'importantes subventions subsistent, notamment en faveur de la farine de blé tendre, du sucre et des produits pétroliers, dont le gaz butane. De sorte que le débat, ouvert en fait il y a près de trente ans, reste toujours actuel, surtout depuis que le prix du baril de pétrole a pris l'ascenseur.
Notons d'emblée que les chiffres de la compensation font actuellement l'objet d'une guerre de tranchées. Selon des sources bien informées, les bureaucrates de Rabat avancent des estimations contradictoires. Pour certains, la compensation sera cantonnée à 18 milliards de DH à fin 2007. Dans ce scénario, le budget 2008 devra prévoir 2 milliards de DH additionnels pour boucler ses prévisions de compensations estimées à 20 milliards de DH. L'autre version des faits attribue à la compensation 23 milliards de DH pour l'année 2007 et à ce stade d'engagements financiers, le budget 2008 sera plus clément. Les deux versions démontrent une seule chose : le budget 2008 n'apporte rien de nouveau et ne sera pas mis à l'épreuve par la compensation, d'autant que les recettes fiscales augmentent à plus de 20% par an. Il n'en demeure pas moins qu'il faut à tout prix alléger le poids de la compensation, tout en évitant qu'elle soit déviée de ses objectifs initiaux. Sauf que la réforme de la Caisse de compensation est le genre de dossier dont on ne cesse de repousser le traitement. Pourtant, lorsque le gouvernement Jettou avait pris les rênes en 2002, la révision de la politique de compensation figurait en bonne place sur la liste des mesures stratégiques, s'inscrivant ainsi dans la continuité du chantier entrepris par le gouvernement d'alternance de Youssoufi. Mais Jettou part également en laissant une fois encore dans les tiroirs des scénarios de refonte ficelés depuis au moins trois années. Nizar Baraka, ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des affaires économiques et générales ne s'en cache pas. Le dossier le plus chaud trouvé au lendemain de sa nomination est celui des prix et de la compensation. «C'est un dossier légué de gouvernement en gouvernement et qui n'a pas été pris à bras le corps ni par les uns ni par les autres au moment où nous étions dans un environnement positif». Le flou qui entoure cette question, alimenté par l'impuissance des gouvernements passés, est tel qu'on se demande si on a vraiment besoin de cette caisse. La question revient avec persistance depuis que le nouveau gouvernement d'Abbas El Fassi a décidé, lui aussi, de repenser la politique des subventions des produits alimentaires de base. Le 19 novembre 2007, Salaheddine Mezouar, ministre de l'Economie et des Finances, qui répondait aux questions des députés soulevées lors de l'examen du budget au sein de la Commission des finances et du développement économique, a annoncé la tenue prochaine des Assises consacrées à la réforme de la Caisse. Le ministre des Affaires générales tient à rassembler tout le monde, car il sait qu'il y a unanimité sur le caractère dépassé du système actuel de subvention des produits alimentaires. Mais il sait surtout qu'il y a grande divergence sur la manière de réformer. Chaque partie prenante (producteurs, lobbyistes, gouvernement, consommateurs…) interprète les chiffres à sa manière pour les mettre au service de sa thèse. À tel point que, à écouter les uns et les autres, la question principale «faut-il supprimer ou garder la Caisse de compensation voire la réformer ?» demeure plus que jamais complexe. Sur la question, Hassan Bousselmane, directeur des prix et de la concurrence au ministère des Affaires économiques et générales tranche net. «Il n'est point question de suppression de la Caisse. Il s'agit plutôt de revoir les mécanismes en intégrant la composante sociale. Ce qui devra inéluctablement conduire à la réduction des coûts d'intervention de l'Etat. En attendant, le mode de gestion actuel se poursuivra. Il en sera d'ailleurs ainsi pour le budget 2008 de la Caisse, pour lequel le gouvernement a prévu 20 milliards de DH», dit-il. Au ministère des Affaires économiques et générales, à écouter les responsables sur la question, l'on a comme l'impression que la machine de réforme globale de la Caisse de compensation est enclenchée. Mais la méthode laisse sceptique. Le département a, en effet, lancé au niveau de l'inspection générale des finances (IGF) un audit de performances pour voir si les objectifs d'équité dévolus à la Caisse ont été atteints ou pas, afin d'établir un diagnostic sur l'ensemble de ses mécanismes. Or, nous savons tous que ses objectifs n'ont pas été atteints. «Il s'agit de la performance par rapport aux mécanismes et par rapport aux cibles à atteindre, mais aussi de voir quel pourrait être le gain à générer», réplique Hassan Bousselmane.
Les pistes possibles
ne sont pas sûres
Au bas mot, le gouvernement déclare vouloir faire une remise à plat de tous les processus pour limiter les dépenses de compensation et mettre en place des filets sociaux, permettant ainsi aux populations démunies d'en bénéficier. Pour le ministère des Affaires économiques et générales, le processus est trop complexe, car il y a des problèmes de dysfonctionnement, de mécanismes, de tarification, de ciblage… mais aussi des problèmes liés à la fiscalité, qui intervient à plusieurs niveaux en amont et en aval. «L'approche consistera à faire participer tous ceux qui sont concernés de près ou de loin par la Caisse de compensation, notamment les producteurs, «l'intelligence locale»… D'où l'idée des prochaines assises. Toutes les études et scénarii réalisés par les gouvernements précédents seront examinés. L'objectif de tout cela est de sortir avec un système optimal», souligne le directeur des prix et de la concurrence au ministère des Affaires économiques et générales. Autrement dit, toutes les solutions pour réformer la Caisse seront les bienvenues. Dans ce sens, le gouvernement compte initier un processus d'identification qui concernera entre 8 et 9 millions de personnes. Cette expérience qui concernera, dans un premier temps, la région de Tadla Azilal, lui permettra de mettre au point le mécanisme adéquat pour faire profiter les populations vulnérables. Rappelons que cette action s'inscrit dans le cadre du Régime d'Assistance Médicale (Ramed).
Ainsi, avec les cartes d'accès aux soins qui seront attribuées à cette cible, il sera possible, progressivement, d'étendre le même mécanisme pour l'accès à d'autres produits de base.
Pour l'heure, les responsables du département des affaires économiques et générales ne veulent pas s'aventurer sur les scénarios possibles. «Ils sont très nombreux et tout dépendra de ce qui sortira de l'approche que nous venons d'adopter. Outre l'aide directe, on peut citer par exemple le système de différenciation fiscale de produits destinés aux pauvres et aux riches», se contente de lancer Hassan Bousselmane.
À peine avancée par le gouvernement, cette approche commence à être critiquée par certains experts, qui doutent de la capacité des pouvoirs publics à la dérouler sur le terrain. Car, disent-ils, les quelques expériences de «subventions ciblées» tentées çà et là dans le monde ne se sont généralement guère révélées concluantes. Par exemple, citent certains d'entre eux, le système des «bons» et des «magasins témoins» s'est souvent montré plus apte à promouvoir les réseaux de népotisme, de trafic d'influence et de corruption qu'à aider les vrais pauvres à survivre. «Techniquement c'est impossible», estime Driss Benali, économiste. «Pour donner des bons, par exemple, à des gens nécessiteux, il faudra une bureaucratie forte. Sans compter la corruption qui s'en suivra», estime-t-il. Pour lui, la seule et vraie alternative qui reste est qu'on «agisse directement sur le chômage et la misère, principales sources du problème».
Aujourd'hui, les partisans de la suppression des subventions en question déplorent généralement leur coût budgétaire devenu selon eux excessif, insoutenable, et responsable de déficits budgétaires inacceptables. Leurs adversaires répondent à cela en appelant à le relativiser. Selon ces derniers, aussi paradoxal que cela puisse paraître, la plupart des produits concernés sont d'abord taxés avant d'être subventionnés ! Si, par souci de rigueur dans la démarche, on soustrait les taxes et/ou les droits de douane prélevés sur les mêmes produits, le montant des subventions nettes revient à des niveaux et des proportions plus modestes. Mezouar n'a-t-il pas signalé devant la Commission des Finances du Parlement que les recettes fiscales des produits subventionnés couvrent 55 % des besoins de la Caisse ?
À côté de ceux-là, il y a ceux qui plaident pour un système de «vérité des prix», naturellement incompatible avec le maintien des subventions, leurs détracteurs n'ont alors guère de mal à leur opposer «la vérité des faits». Abstraction faite du débat de fond sur le marché et sa logique, et même lorsqu'ils supposent l'adhésion à l'économie de marché acquise, ces derniers n'ont pas de mal à montrer que justement dans le domaine concerné, les conditions de cette économie-là ne sont guère réunies. «Il n'est en effet guère difficile de montrer que les secteurs des produits subventionnés sont précisément ceux où, même après libéralisation des prix et suppression des subventions, les mécanismes du marché ont le moins de chance de jouer et de produire leurs effets attendus. Cela pour une raison simple : ces secteurs sont parmi les moins concurrentiels de l'économie, étant pour l'essentiel accaparés par des structures oligopolistiques, voire monopolistiques, en tout cas difficilement favorables au libre jeu des mécanismes du marché et de la concurrence», estime Akesbi. Ainsi au Maroc par exemple, toutes les sucreries appartiennent à l'ONA, qui détient ainsi un monopole de fait dans le secteur après la privatisation des unités industrielles. Quant à la farine de blé, elle est généralement traitée par des minoteries industrielles en situation plus ou moins oligopolistique au niveau régional. Toujours est-il qu'en raison de cette réalité-là, ce sont ces entreprises qui ont en vérité toujours «administré» les prix. Ce sont elles qui maîtrisent le processus de formation des coûts, elles qui déterminent leurs «marges» et partant le niveau des subventions. Si les subventions sont supprimées et les prix libéralisés, ces entreprises dominantes continueront d'imposer leur «loi», et leurs prix, de sorte que le seul changement qui risque de se produire est la substitution du consommateur au contribuable pour continuer de payer… Finalement, à ceux qui parlent de «vérité des prix», d'autres opposent le préalable de «vérité des coûts». Or, comment approcher cette «vérité des coûts» dans un système aussi opaque, aussi peu fluide, et pour tout dire, aussi peu concurrentiel ?
Au-delà, la dimension sociale du débat est curieusement celle où les partisans de la suppression des subventions à la consommation apparaissent les plus pertinents, avec un argumentaire difficilement contestable, au niveau des faits en tout cas, à en croire Najib Akesbi. Ceux-ci peuvent se résumer en un constat que différentes études et enquêtes ont confirmé : les riches profitent plus des subventions que les pauvres. De sorte que, non ciblées, les subventions n'atteindraient pas leur objectif, ou du moins un de leurs principaux objectifs qui est la lutte contre la pauvreté, mais seraient détournées pour une grande part au profit de catégories sociales aisées qui n'en ont guère besoin. Le phénomène est en effet avéré.
Consommant proportionnellement plus que les pauvres, les riches bénéficient naturellement plus des subventions contenues dans les prix des produits qu'ils achètent. Ainsi au Maroc par exemple, une étude réalisée en 1995 par une mission de la Banque mondiale avait montré que les 20 % les «plus pauvres» de la population n'avaient bénéficié que de 15 % des subventions en question, alors que les 20% les «plus riches» s'étaient octroyés 25% des mêmes subventions. Pour sa part, le ministère des Affaires générales du gouvernement a révélé en 2000 le résultat d'une autre étude, qui souligne que les catégories aisées de la population bénéficient au titre des subventions aux produits alimentaires de base de 300 DH par personne et par an, soit le double de ce qui revient aussi par personne et par an aux catégories sociales modestes. Aujourd'hui, avec les prix actuels à la pompe, ce fossé se creuse.
Pourtant, si les faits sont difficilement réfutables, sur le fond il y a néanmoins matière à débat. Les adversaires de la suppression des subventions rappellent d'abord qu'on ne peut s'empêcher de se poser cette simple question de bon sens : faut-il priver les pauvres d'une subvention vitale sous prétexte qu'elle profite aussi aux riches ? La priorité consiste-t-elle à lutter contre la pauvreté ou à supprimer certains privilèges ? Car on peut aisément convenir que le fait de bénéficier davantage aux riches qu'aux pauvres ne signifie nullement que le système en question n'atteint pas son objectif de contribution à la lutte contre la pauvreté. Même s'ils en profitent moins qu'on l'aurait souhaité, les pauvres tirent avantage de ce système, puisqu'il leur permet tout de même d'accéder à des denrées de première nécessité à des coûts plus faibles. On peut même dire que, précisément compte tenu de la faiblesse de leurs moyens, la «valeur » qu'ils accordent à un tel avantage est autrement plus importante que celle que peuvent lui accorder les riches (qui, à la limite, peuvent ne même pas s'en rendre compte…).
Toujours est-il que pour Najib Akesbi, on peut aussi apprécier cette question au regard des solutions alternatives possibles. «On peut même se demander si le système des subventions à la consommation n'est pas, disons le moins mauvais, dans le contexte de pays en développement comme le Maroc. Car il faut bien se rendre compte qu'en la matière, aucune des solutions alternatives envisageables n'est réellement satisfaisante. On peut même dire que nous n'avons à notre portée que des mauvaises solutions, et que la question n'est pas de chercher la bonne solution, mais de se contenter de la moins mauvaise», dit-il.
Rappelons que la solution du relèvement des salaires, outre son impact sur la compétitivité de la production locale, ne risque de concerner dans le meilleur des cas qu'une faible proportion de la population (alors que toute la population consomme et devrait faire face à la hausse des prix engendrée par la suppression des subventions…). Le relèvement des prix à la production agricole n'est plus possible, non seulement en raison de la libéralisation des économies et des échanges (dans le contexte des engagements pris à l'OMC notamment), mais aussi parce que chacun sait désormais que le véritable problème à ce niveau demeure celui de la faible productivité agricole, laquelle ne s'est guère significativement améliorée au Maroc. Reste alors l'alternative de «l'aide directe», préconisée actuellement par de très nombreux experts. «J'estime que c'est la moins mauvaise solution. Il s'agira d'instaurer un package qui reposera sur l'utilisation d'une sorte de Revenu minimum d'insertion (RMI). Sur la base d'une population de 5 millions de pauvres, et donc à peu près 1 million de ménages nécessiteux, si on versait 1000 DH par mois (12.000 DH par an) à chaque ménage au titre d'une aide directe destinée à compenser la suppression des subventions à travers les prix, cela coûterait à l'Etat 12 milliards de DH, soit 8 milliards de moins que ce qui est prévu pour la Caisse de compensation en 2008», souligne Najib Akesbi. Quid de l'application ? «Depuis quatre ans, beaucoup d'études sur la pauvreté au Maroc ont été réalisées, ce qui facilite le déploiement de cette solution. Déjà le Ramed permet de mettre en place ce dispositif. On pourrait même conditionner cette aide par la scolarisation des enfants et l'assurance médicale de base», dit-il. Finalement, suppression, maintien et ciblage, système actuel… Le problème demeure. Une situation que résume cette boutade d'un économiste : «les Marocains ont toujours ce courage de bien poser les problèmes et de ne pas les résoudre». Abbas El Fassi le sait bien puisque, face à la complexité du problème, il s'est fixé un deadline assez large. Il nous promet une solution en… 2012.
Le casse-tête du lobby industriel
La réforme de la Caisse de compensation ? Plus facile à dire qu'à faire ! Industriels opérant dans les secteurs des produits subventionnés ou utilisant ces derniers, distributeurs de carburant, pour tout ce beau monde, la subvention est quelque chose de sacré et personne ne doit y toucher. On se rappelle le bras de fer engagé, en avril 1999, entre le gouvernement de l'Alternance et les industries utilisant le sucre comme intrant. Ces dernières ont fini par se rendre à l'évidence en restituant à l 'État le montant équivalant à la subvention contenue dans ce sucre. Quelque 200 millions de DH. Seulement, ils ont continué la lutte. À coups de lobbying, ils ont fini par avoir gain de cause, quelques mois avant que le gouvernement sortant ne passe la main. Cette affaire, qui a fait beaucoup de bruit, démontre que la philosophie de la compensation a dévié de son objectif initial et que le gouvernement actuel aura fort à faire pour mener sa réforme. «Nous sommes conscients de la situation. C'est pourquoi d'ailleurs les industriels et producteurs seront grandement impliqués dans la réflexion», rassure Hassan Bousselmane. En tout cas, Ahmed Lahlimi, ex-ministre des Affaires économiques et sociales, qui avait réussi à «forcer» la main aux industries utilisant le sucre comme intrant, en sait quelque chose (voir entretien), lui qui avait également négocié avec les producteurs d'huile. Il faut dire que ce n'était pas une entreprise facile de convaincre les neuf principaux opérateurs de cette filière. Que ce soit pour les filières du sucre ou encore du blé, les opérateurs ne sont pas prêts à accepter d'être «gênés» par la concurrence étrangère. Ainsi, en raison du caractère très sensible de ces secteurs en question, ceux-ci continueront sans doute pour de nombreuses années encore à bénéficier de protections tarifaires conséquentes. Rappelons que le Maroc fait toujours prévaloir une surprotection de 22 % pour le sucre et 190 % pour le blé. Pour le premier, la Cosumar, devenue seul opérateur de la filière sucre, a derrière elle une population de 80 000 agriculteurs, à qui elle doit racheter toute la production de betterave et de canne à sucre, alors qu'elle peut s'approvisionner en sucre brut ailleurs et à moindre coût. Du coup, la filiale de l'ONA tient par cette «armée de paysans» un argument de taille. Rappelons que les prix de la matière première et du produit final sont fixés et que la Cosumar doit faire en sorte qu'entre les deux, elle puisse retrouver ses marges. Déjà, depuis l'année dernière, quand les cours mondiaux du sucre ont commencé à flamber, la Cosumar tente coûte que coûte de réviser cette donne. Elle avait même obtenu l'accord de principe de l'ex-Premier ministre Driss Jettou. Quant aux minotiers (farine nationale), ils continuent de crier à qui veut les entendre que le niveau de subvention est figé depuis 1989. Il est calculé sur la base de frais de mouture estimés à l'époque à 16,50 DH le kilogramme. Or, disent-ils, leurs charges de fabrication ont augmenté depuis.


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