Dans l'édition du 17 juillet 2011, nous avons publié le premier article d'une série qui ambitionne de présenter aux lecteurs la synthèse d'études et de recherches consacrées aux codes et chartes dédiées à la rue, invitant tout d'abord le lecteur à ne pas les confondre avec le code de la route ; dans la mesure où le code la rue est fondé sur le principe du partage équitable de la voie publique et qu'il réorganise les rapports conflictuels nés de l'usage de la voie sur de nouvelles bases. Et dans l'édition du 8 août 2011, nous avons développé quelques idées saillantes autour de l'esprit du code et de la charte de la rue. Aujourd'hui, nous entrons dans le vif de notre plaidoyer avec le statut reconnu ou non reconnu à nos trottoires. Le trottoir est une composante essentielle du domaine public et une aire spatiale vitale de l'espace public. C'est la partie de la voie publique dédiée au piéton, avec tout ce qui en découle comme réglementation, équipement, entretien et gestion. Ainsi, le trottoir est le refuge du marcheur qui ne peut marcher au milieu de la chaussée, entre les engins motorisés, au prix de courir l'énorme risque de sa vie. La première qualité reconnue un trottoir est qu'il constitue une zone sécurisante ; mais le trottoir possède d'autres qualités que tout le monde ou presque semble oublier ; c'est l'aire où l'essentiel des activités urbaines s'y organise par droit ou par omission. Dans beaucoup de villes européennes, le trottoir jouit d'un statut officiel et d'une réglementation détaillée. Ainsi, le trottoir doit obligatoirement disposer d'une largeur au moins de deux mètres et demi ; cette largeur est strictement protégée et dégagée de tous genres d'obstacles, dont les obstacles dangereux. A titre d'exemple, le trottoir doit obligatoirement être dégagé des conteneurs à poubelle, des poteaux électriques mal placés, des plaques de signalisation du code de la route, des enseignes publicitaires, des chaises et tables des restaurants (à moins que le devant du restaurant dispose d'un trottoir large de plus de quatre mètres et demi et plus), des voitures stationnées illégalement, des marchands ambulants, et des pots de fleurs ou potelets de protection. Aussi, le trottoir doit être très bien fait, bien aménagé, bien nivelé et sans ruptures causées par les entrées aux caves qui forment un trou atteignant parfois les 80 cm, donnant ainsi l'aspect de vraies fossés ou de vrais puits très dangereux vis-à-vis des enfants qui courent sans faire attention, ou vis-à-vis des aveugles, des handicapés sur leurs chaises roulantes freinés dans leur élan, ou vieillards incapables de franchir ces obstacles ou encore les femmes enceintes ou les femmes traînant les poussettes de leurs bébés. Nous constatons malheureusement que nos trottoirs continuent à cuber de tous les maux et qu'ils sont parmi les plus terribles et les plus impraticables de tous les trottoirs qu'on connait. Tout d'abord, il est difficile de parler de la présence effective du trottoir parce que le plus souvent il n'y en n'a point, et parce que notre pays ne dispose pas d'une réglementation en bonne et due forme régissant cette partie cardinale et névralgique de l'espace public. En Belgique, des aménagistes ont passé à la vitesse supérieure avec l'invention du trottoir continu qui permet au piéton de marcher sans jamais s'arrêter quand il le veut, parce qu'il n'est plus contraint de traverser la chaussée à chaque coupure édictée par la présence d'une rue ou ruelle perpendiculaires à la voie principale. Dans ce cas de figure, ce n'est plus la chaussée qui traverse le trottoir pour rejoindre le bout de l'autre chaussée secondaire ; mais c'est le trottoir qui traverse la chaussée. En d'autres termes, la chaussée principale n'est plus en contact direct avec la chaussée secondaire puisque le trottoir continu est venu leur barrer le contact. De cette manière, le trottoir n'est plus coupé en morceaux, et le piéton n'est plus en contact avec les véhicules. Et c'est l'automobiliste qui est contraint désormais de ralentir au maximum pour pouvoir monter la petite pente du trottoir afin de le traverser pour rejoindre l'autre bout de la chaussée secondaire. L'instauration du trottoir continu a révolutionné les ordres de priorité et a changé complètement la physionomie de la voie publique. C'est une invention géniale qui est venue renforcer le principe de prudence maximale et celui de la priorité du faible face au fort, (allusion faite au rapport conflictuel opposant le piéton à l'automobiliste et dont le duel était toujours en faveur de l'automobiliste). Ce sont ces rapports conflictuels qui sont à l'origine des chartes qu'on est en train d'appliquer dans la plupart des villes européennes ; à savoir la charte du piéton, la charte du cycliste, la charte de l'handicapé sur chaises roulantes, la charte de l'aveugle… Nous allons essayer de présenter à nos lecteurs la synthèse de toutes ces chartes dans les prochaines éditions. Mais avant d'en arriver là, rappelons le martyr dont souffrent les personnes à mobilité réduite et les personnes aux besoins très spécifiques. A vrai dire, la rue et la voie publique ne sont pas faites à toutes ces personnes dans nos villes ; et c'est pourquoi on ne les rencontre qu'accidentellement et on ne les croise que rarement. Il existe un paradoxe entre les nouvelles inventions qui aident les piétons à se déplacer et le statut quo imperturbable de l'état de nos trottoires. Aujourd'hui on a inventé la valise à roulette qui facilite le déplacement du voyageur, le cartable à roulette pour permettre à l'écolier de ne plus se charger du fardeau de son cartable rempli de livres, le panier à roulette qui permet à celui qui se rend au marché de ne plus souffrir à cause du poids de ses marchandises, et sans oublier les chaises roulantes, les voiturettes des bébés et les patins à roulettes. Or, le malheur de tous ces gens est qu'ils ne trouvent pas le terrain favorable pour faire rouler leurs petits engins ; car le plus souvent les trottoirs sont impraticables à cause d'une négligence irritante de la part des services chargés de leur entretien. Et quand ces trottoirs existent quelques parts, ils sont pris d'assaut par un nombre de prédateurs de l'espace public qui sont soit les marchands ambulants qui ont investi de facto tous les trottoirs des grandes artères, soit par l'apparition de véritables marchés qui occupent et les trottoirs et les chaussées, soit par les automobilistes et les chauffeurs de taxis qui utilisent les trottoirs comme aire de stationnement, et sans oublier les cafés, les restaurants, les magasins qui ont pris la mauvaise habitude de considérer l'aire du trottoir en face de leurs magasins ou cafés comme leur domaine privé. Sommes nous bien placé à tirer la sonnette d'alarme et condamner. Ces pratiques vandales et ces comportements de colons qui doivent incessamment cesser ? Est-il vraiment besoin d'attirer l'attention des autorités urbaines, des conseils des villes, et des associations civiques à l'égard de cette nouvelle forme de « Siba » qui est en train de s'installer dans nos rues, et par-delà les rues, dans nos mœurs ? A cause de cette nouvelle forme de « Siba », des milliers de piétons qui n'ont que le trottoir comme refuge pour ne pas être écrasés sous les pneus des véhicules affolés, se trouvent chassés de cette aire qui leur revient en droit. Ils ne peuvent pas marcher sur la chaussée c'est évident ; mais ils ne peuvent pas non plus marcher sur le trottoir c'est le comble de la folie imposée par une poignée de citoyens en mal de citoyenneté qui se croient tout permis. Désormais l'ordre du jour de toute la société civile, aidée en cela par la force coercitive des pouvoirs publics, devra être un appel à la solidarité de tous aux fins d'une reconquête de l'espace public en général et la délivrance du trottoir en particulier. A partir de là, la reconquête de tous les espaces privatisés ou privatisables devient une cause urbaine pour toutes les composantes vives de la ville.