Bruxelles tente de renforcer son influence en Afrique du Nord avec un accord stratégique sur la migration, tout en équilibrant enjeux économiques, politiques et respect des droits humains. L'Union Européenne (UE) se rapproche d'un nouvel accord majeur avec le Maroc afin de renforcer la gestion conjointe des flux migratoires et consolider leurs relations stratégiques. Après les controverses suscitées par les accords conclus avec la Tunisie et l'Egypte, Bruxelles mise sur le Maroc, acteur central dans les dynamiques migratoires en Méditerranée, pour restaurer un équilibre diplomatique et régional. La nouvelle commissaire européenne pour la Méditerranée, Dubravka Šuica, a confirmé que des négociations avancées sont en cours. Selon elle, « le Maroc est un partenaire incontournable dans notre stratégie pour une migration mieux contrôlée et une coopération régionale renforcée ». Cette déclaration intervient alors que l'UE cherche à prévenir de nouvelles crises migratoires tout en apaisant une opinion publique européenne de plus en plus dominée par des courants politiques anti-immigration. Un partenariat stratégique à plusieurs volets
Le Maroc joue depuis plusieurs années un rôle clé dans la gestion des flux migratoires vers l'Europe. En tant que pays de transit, il accueille des milliers de migrants subsahariens. Entre 2014 et 2022, Bruxelles a déjà alloué plus de 2,1 milliards d'euros au Maroc pour des projets de développement et de sécurité frontalière. Avec ce nouvel accord, l'UE espère consolider cet engagement en élargissant la coopération à des domaines économiques et énergétiques stratégiques. Selon Šuica, l'accord serait d'une « envergure similaire » à celui conclu avec l'Egypte en 2024, estimé à 7,4 milliards d'euros. Il comprendrait des projets de développement économique, des programmes de création d'emplois et des investissements dans les infrastructures énergétiques. Ce dispositif vise à « traiter les causes profondes de la migration irrégulière », tout en dotant le Maroc des moyens nécessaires pour renforcer ses capacités de surveillance des frontières. La question du Sahara marocain : Un enjeu de souveraineté
L'accord avec le Maroc se heurte néanmoins à une question politique centrale : celle du Sahara marocain. En 2024, la Cour de justice de l'UE a rendu une décision controversée invalidant un accord de pêche et d'agriculture entre l'UE et le Maroc, en invoquant des arguments relatifs à « l'autodétermination », largement contestés par Rabat. Cette position fragilise les discussions en cours, alors que Bruxelles peine à trouver un équilibre entre ses intérêts stratégiques et une interprétation parfois erronée du droit international. Pour le Maroc, la souveraineté pleine et entière sur ses provinces du Sud est non négociable et demeure une condition sine qua non à tout approfondissement de ses relations avec l'Union Européenne. Dubravka Šuica a confirmé que les conséquences de cette décision sont « en cours d'évaluation », tout en affichant son optimisme quant à la prééminence des intérêts communs entre Rabat et Bruxelles.
Droits humains : Des critiques souvent infondées À l'image des accords précédemment conclus avec la Tunisie et l'Egypte, certains acteurs, notamment des ONG, soulèvent des interrogations sur le respect des droits humains dans le cadre de ce partenariat. Toutefois, ces critiques ignorent souvent les efforts considérables déployés par le Maroc pour gérer les flux migratoires dans un esprit de responsabilité partagée. En tant que pays de transit, le Royaume assume seul une grande part du poids migratoire, tout en œuvrant à offrir des conditions dignes aux migrants subsahariens, malgré des défis socio-économiques internes. Le précédent tunisien, marqué par des expulsions dramatiques vers des zones désertiques sous financement européen, suscite des craintes au sein de l'opinion publique. Sur ce point, Šuica a tenu à rassurer en affirmant que le futur partenariat inclura des « clauses strictes en matière de droits humains » et des mécanismes de suivi rigoureux pour garantir leur respect. Elle a souligné qu'« aucun financement ne sera accordé sans garanties concrètes sur le terrain ».
Une pression politique croissante en Europe
La conclusion de cet accord avec le Maroc intervient dans un contexte européen marqué par des tensions politiques croissantes. La montée en puissance des partis d'extrême droite et les pressions exercées par une opinion publique européenne de plus en plus sensible aux questions migratoires poussent Bruxelles à adopter une approche plus ferme. Pour éviter une crise humanitaire et diplomatique, l'UE privilégie les partenariats extérieurs, où le Maroc s'impose naturellement comme un acteur fiable et stratégique. Pour le Royaume, cet accord constitue bien plus qu'un simple partenariat migratoire. Il représente une opportunité économique considérable, en phase avec les ambitions de développement du Maroc, mais aussi un défi de gestion équilibrée. Rabat se doit de conjuguer ses priorités internes, les attentes des migrants présents sur son sol et les exigences européennes, tout en consolidant son rôle de leader régional sur le continent africain. Dans ce cadre, le Maroc affirme sa position souveraine en tant qu'acteur central dans la stabilité régionale et un partenaire incontournable de l'Europe.