En marge de la compétition officielle du 21e Festival international du film de Marrakech, le public a été convié à plusieurs projections d'œuvres marocaines et étrangères. Parmi les pépites sélectionnées, le dernier long métrage de Abdeslam Kelai. Lecture. Chaque réalisation de Abdeslam Kelai est un rappel à l'ordre. C'est qu'il filme avec ses tripes, sasse et resasse avant d'annoncer le premier clap. Il écrit avec un calme rare -ce qui se traduit sur l'écran- quoique dans sa tête ça bouillonne à plein régime. S'il est le cœur pulsant de ses œuvres, il finit par transmettre sa fougue à ses collaborateurs, les acteurs en tête du peloton. Sans bruit, sans fracas, il signe des sorties fracassantes. Ses créations s'inscrivent dans une logique emplie de sincérité, jamais ressemblantes. Le doigté est là, la narration est le socle d'une réflexion en perpétuelle mouvement. Avec « Sonate nocturne », il raconte une histoire de bout en bout, sans chichi, avec profondeur et un cœur grand comme ça. Un film intimiste, jonché de questions faciles à déclamer mais lourdes de sens. On y croise l'amour inassouvi, la trahison mentale, la tristesse, la joie et beaucoup de remises en question. Kelai a le don de la fluidité même lorsqu'il convoque le flash-back. Il capte du premier plan au générique de fin. « Un jeune poète solitaire aime flâner le soir dans les rues de la ville, posant son regard sur les maisons environnantes et dévisageant les passants. Un soir, il sauve une jeune fille d'une tentative de suicide. Liés par cette rencontre fortuite, ils font connaissance et se racontent leurs histoires mutuelles avec une sincérité profonde. Elle attend depuis un an son amant, qui lui a promis le mariage. Malgré cela, le jeune poète tombe alors amoureux d'elle, mais les événements vont prendre une tournure inattendue », raconte le synopsis. « Sonate... » est un exercice loin de l'aisance. Il s'inscrit dans les projets enfantés dans la belle souffrance, celle qui permet au cinéaste de jubiler quand le film est prêt à être montré. Ici, une belle part est accordée aux regards, aux gestes, aux émotions. Avec des larmes qui viennent s'écraser dignement et légitimement sur des joues boursoufflées de tendresse.
Pure métamorphose Dans « Sonate... », Nada Haddaoui et Saad Mouaffak (respectivement Hind et Alae) sont méconnaissables. Abdeslam Kelai nous les montre dans un registre fascinant et douloureux. Hind pratique la couture et Alae a du mal à publier ses écrits. Les personnages qu'ils campent poussent à la compassion. Une pure métamorphose de deux jeunes acteurs qui doivent gérer avec intelligence la suite de leurs carrières. Plus le droit de stagner ou de faire marche-arrière. La barre confectionnée par le réalisateur est mise haut. A eux maintenant de faire les bons choix. Sans oublier Malika El Omari qui, du haut de son long et riche parcours, aveugle par la justesse qu'elle dégage. Il y a aussi le cadre du tournage. Kelai ne filme que dans sa ville chérie et ses environs, Larache. Dans chacune de ses réalisations, il convie le public à découvrir ou à redécouvrir coins et recoins ce cette cité nordique, sa mer et ses plages. L'accent de la région est également de la partie, injecté d'une manière aérienne. En somme, un film captivant, contenu et contenant.
Parcours et prix Outre ses œuvres télévisées qui ont retenu l'attention du public et de la critique, Abdeslam Kelai a réalisé quatre courts métrages pour le cinéma : « Happy Day », « Un formidable voyage », « À ton chevet » et « Engagement », avant de réaliser son premier film, « Malak », qui a remporté de nombreux prix au Maroc et au niveau international. « Poissons rouges », son deuxième long métrage, a remporté plusieurs prix au Festival National du Film de Tanger, au Festival International du Film de Bruxelles et le Prix du Meilleur film sur les droits de l'homme décerné au Festival International des Films de Droits de l'Homme KARAMA. « Sonate nocturne » est son dernier film et représente un nouveau tournant dans son style cinématographique.