Les prix des figues de barbarie ont atteint des sommets, privant les familles démunies de ce fruit exceptionnel, mais aussi les commerçants d'un gain de pain auparavant très prisé. Reportage Il est 18 heures ce lundi 12 août 2024, à Rabat, le marché de plein air, Lamharig, situé au fameux quartier G5, vibre au rythme de l'atmosphère estivale. A cette heure, les rues s'animent et tout le monde cède à son propre plaisir, celui de chercher la fraîcheur ou de la servir. Au cœur de ce marché vibrant, on peut entendre de loin les cris d'un marchand qui étale ses talents de marketeur pour se faire remarquer parmi un contingent de marchands: "Lhandia jat", "Lhandia qlila o Ledida"... Sur le petit stand ambulant, les figues de barbaries, communément appelées "Handia" ou "Zaaboul", se mêlent harmonieusement pour apporter une note de mystère et d'exotisme au décor, suscitant la curiosité des passagers en quête de fraîcheur. Les passagers, visiblement séduits par les couleurs chatoyantes de ce fruit devenu rare, ne sont pas facilement séduits par "la handia". Une fois le prix de l'unité tombé à l'oreille, les passagers quittent le lieu murmurant: "non c'est trop". Une telle réaction ne surprend pas ce jeune marchand qui semble habitué à cela depuis que le prix de "la handia" a atteint des sommets. Alors qu'elle coûtait à peine quelques centimes l'unité, la handia coûte désormais entre trois à six dirhams l'unité. Et pour cause, ce fruit exceptionnel subit aujourd'hui les aléas de la cochenille, un redoutable parasite qui a décimé les cactus du Royaume, impactant considérablement la production des figues de barbarie et de facto son prix sur les marchés. "J'achète une cagette de figues de barbaries purement Doukkali à près de 600 dirhams, contre 250 dirhams auparavant. C'est vrai que le prix est très élevé, mais je m'attache à m'en procurer, car des personnes en veulent quand même en cette saison estivale", nous raconte Hakim, commerçant de figues de barbaries depuis 2008. Lequel obtient les figues directement auprès d'un agriculteur pour éviter le passage souvent éprouvant au marché de gros.
Plus onéreux, donc moins séduisant Cependant, l'intérêt des consommateurs pour ce fruit sucré et très nourrissant s'est rapidement dissipé principalement à cause du prix élevé et des rumeurs concernant le parasite qui l'affecte. « Les passagers qui se renseignent sur les prix de la Handia sont finalement plus nombreux que ceux qui en achètent réellement », nous a confié Hakim avec une touche d'humour, tout en épluchant quelques figues de barbarie pour deux clientes. Les deux clientes, manifestement impressionnées par le goût rafraîchissant de ces six pièces de Hendy, se mettent spontanément à évoquer leurs souvenirs d'enfance, où ce fruit était un incontournable des repas de leurs familles modestes. "Six pièces du Hendy à 30 dhs. C'est du jamais vu ça", murmurent avec amertume les deux clientes en quittant le lieu, après avoir savouré un repas fruitier bio. Face au rythme de vente, le jeune commerçant a considérablement baissé la quantité de Hendy qu'il se procure à chaque fois. "Une cagette de 20 kilo nécessite quatre jours d'aller retours dans la ville, alors qu'elle ne nous coûtait qu'une journée de travail il y'a trois ans", se rappelle Hakim qui ne cesse de rassurer les clients sur la qualité de cette Hendia Doukali, malgré les traces qui y sont laissées par la cochenille. Ces traces suscitent toujours le doute des passagers quant à la qualité des figues.
De moins en moins de « handia » sur le marché Dans les années 2010, les 150.000 hectares de cactus que comptait le pays produisaient entre 1,2 et 3,5 millions de tonnes de figues de Barbarie, avec un rendement compris entre 8 et 25 tonnes/hectare. Toutefois, la cochenille a eu raison des cactus du Royaume, détruisant plusieurs dizaines de milliers de pieds de cactus à Doukkala, Sidi Ifni, Al Hoceima, Tétouan, sources incontournables de Hendia. Ces provinces peinent aujourd'hui à assurer un approvisionnement suffisant du marché national malgré les efforts d'entretien déployés par les producteurs pour sauver cette culture, comme en témoigne Louafi, pépiniériste de figues. Pis encore, les saisons de récolte des figues ont connu un changement drastique, passant de trois mois à deux mois seulement, soit juillet et août. "Ainsi, Handia devrait disparaître du marché dans quelques semaines, devenant un fruit rare au vrai sens du terme", regrette un détaillant du marché Lamharig. Heureusement, cette situation, aussi grave qu'elle soit, n'est pas irrémédiable. Les producteurs ont fait recours à un traitement phytosanitaire pour lutter contre la prolifération de la cochenille. De nouveaux traitements biologiques contre ce ravageur ont fait également leur apparition, notamment ce qu'on appelle "la coccinelle trident". Ainsi, des lâchers de cet insecte originaire du Mexique ont été effectués avec succès dans la région de Sidi Ifni et dans le nord du Royaume, permettant de régénérer très vite le cactus. Bien que les échos concernant ce traitement écologique aient ravivé l'espoir des producteurs pour la préservation des cactus, ils ne sont pas encore accessibles à l'ensemble des agriculteurs, selon un producteur de figues de barbarie dans la région qui galère au jour le jour pour sauver ses cactus. En attendant de pouvoir accéder à ces lifesavers, les agriculteurs sont en course contre la montre pour préserver les champs de cactus restants pour alimenter le marché national l'été prochain. Le challenge est de faire baisser le prix des figues au bonheur du consommateur mais également des coopératives spécialisées dans la production de son huile miraculeuse. Trois questions à Mohamed Elouafi : "Il nous faut au moins deux ans pour que le prix de la Handia revienne à la baisse" * Comment les agriculteurs luttent-ils contre la cochenille qui a ravagé leurs cactus ?
Dans les environs d'El Jadida, les agriculteurs ont perdu des dizaines d'hectares de cactus à cause de la prolifération de la cochenille. Heureusement, les petites quantités de figues encore disponibles sur le marché ont été préservées grâce à un traitement phytosanitaire. Sans cela, il n'y aurait pas de Handia sur les étals. Le traitement phytosanitaire est efficace, mais il suscite encore des préoccupations parmi les acheteurs. Lesquels se soucient de la qualité du fruit en raison des taches blanches laissées par la cochenille sur les figues.
* Les consommateurs s'inquiètent de la cherté de ce fruit. Les figues seront-elles moins chères l'année prochaine ?
La cherté de ce fruit inquiète tout le monde, y compris nous. Pour acheter une ligne de cactus de 100 mètres pour assurer la pérennité de notre activité, nous avons besoin de débourser près de 10.000 dirhams. D'après la cadence poursuivie par les agriculteurs à ce jour, le marché des figues se redressera dans près de deux ans. Cela dit, il nous faut encore deux ans pour que la Handia retrouve son prix initial.
* Pourquoi n'avez-vous pas essayé de faire recours à la plantation de variétés de cactus résistants à la cochenille ?
À la commune rurale de Khemis Mettouh, située à 12 km de Had Ouled Ferej, environ 30 hectares de sept nouvelles variétés de cactus résistants à la cochenille ont été plantés. Nous avons déjà goûté la Handia issue de ces cactus, mais nous ne sommes pas vraiment convaincus car elle est semée de graines. Les consommateurs préfèrent généralement la Handia locale, ou « beldia ». Nous sommes donc pressés d'accéder à des traitements écologiques contre la cochenille afin de protéger nos champs de cactus. Plusieurs solutions sont mentionnées, mais elles ne sont actuellement pas disponibles sur le marché. Il est crucial de les rendre accessibles dans toutes les régions productrices de figues.